Tel un violent couperet, le verdict final avait été rendu par le juge, et était sans appel. Nathan l’avait relu à plusieurs reprises, mais chaque lecture ne faisait qu’amplifier encore plus sa rage et sa frustration. Sa frustration contre lui. Sa frustration contre un système complètement débile qui, sous prétexte que l’agent de police ayant interpellé un dealer n’était pas parfait, choisissait de relaxer ce dernier, de faire payer à la faute de la société les erreurs personnelles d’un agent. Nathan reconnaissait tout à fait être en tort dans cette histoire, ce qui ne faisait que le rendre encore plus furieux.
Assis sur son siège, il observait le jugement, le teint livide, et relut le passage le concernant :
« Considérant que les aveux obtenus par le prévenu ont été obtenus sous l’effet de la menace et d’actes caractéristiques de gestes violents, susceptibles d’altérer le comportement du prévenu, et de le contraindre à dénaturer les faits ; que les différents tests menés sur l’agent de police responsable de l’interrogatoire ont relevé un taux d’alcoolémie anormalement élevé ; que [...] »
Le dealer avait été relaxé, et tous les procès-verbaux dans lesquels il avouait pour qui il travaillait annulés, pour vice de procédure. Nathan avait récemment interrogé, avec l’aide de la brigade, un dealer, une petite frappe qui vendait sa merde à des étudiants de la fac’ de Seikusu, ainsi qu’à des lycéens, notamment de Mishima, mais également d’autres lycées. Le dealer avait été arrêté chez lui, et on avait retrouvé des stupéfiants chez lui. Nathan avait été chargé de l’interrogatoire, mais il était tombé sur un jeune con. En deuxième année de droit, l’étudiant dealer se moquait sans hésitation de Nathan, affirmant qu’il ne dirait rien sans la présence de son avocat, et qu’il ne reconnaissait qu’être coupable de détention de stupéfiants, ce qui, selon lui, ne constituait qu’un délit mineur. Il affirmait que la drogue n’était pas à lui, mais à un ami. L’ami en question niait, et un test sur l’homme avait relevé l’absence de drogues dans le sang.
Il avait été placé en garde-à-vue, et cuisiné à plusieurs reprises. Nathan avait fini par s’énerver, et l’avait un peu secoué. Au nom du Christ, il jurait ne pas avoir tapé ce petit con, même si ce n’était pas l’envie qui lui en manquait. Cependant, quand le dealer avait été arrêté, Nathan avait bu quelques verres en trop. L’avocat du dealer, un jeune avocat commis d’office, avait demandé, lors de la garde-à-vue, à ce que Nathan soit soumis à un test d’alcoolémie, devant les menaces qu’il avait formulé. Le test s’était révélé positif, et l’avocat était parti en croisade devant le juge, sur cette seule base, pour faire invalider toute la procédure. Or, l’enquête autour du dealer avait réussi à s’épaissir, car la police avait obtenu, sur la base des procès-verbaux résultant de la garde-çà-vue, l’autorisation de mener une perquisition de l’appartement du dealer, appartement qui avait permis de trouver des notes sur ses clients, ainsi que des informations susceptibles de remonter à ses fournisseurs. Le dealer avait paniqué entre la perspective d’être chargé par le Ministère public au barreau, ou de bénéficier d’une mesure de composition pénale, s’il divulguait le nom de ses complices, notamment de ses fournisseurs. L’avocat avait botté en touche, en attente du délibéré.
Le jugement était donc tombé, annulant les procès-verbaux, et, du coup, tout ce qui en découlait, comme la perquisition, et les preuves obtenues. La police n’avait plus rien contre lui, et devait donc relancer une nouvelle procédure, en sachant que, cette fois-ci, l’homme serait prudent. Juridiquement parlant, la décision du juge se fondait sur l’état d’ébriété d’un des agents, alors même que les actes de violences allégués n’existaient pas, se résumant à des «
gestes ». Il n’y avait même pas un seul certificat médical venant étayer ce dernier ! Concrètement, la raison de cette décision, proprement scandaleuse, tenait au fait que le trafic de stupéfiants était géré par de puissants clans yakuzas, et que le juge était sûrement corrompu, et avait trouvé une brèche, une minuscule petite brèche. Le Ministère public hésitait à faire appel de la décision, dans l’espoir qu’elle soit annulée, mais il se passerait des mois, et, pendant ce temps, cette piste-là serait épuisée.
En somme, Nathan avait l’impression d’être le dindon de la farce, sentiment d’autant plus renforcé que l’une des décisions du jugement était un «
suivi psychologique obligatoire » à son encontre. Son chef lui avait donc dit que, une fois par semaine, il verrait un psy’ pendant une durée de plusieurs mois, et que, s’il ne tenait pas à finir à la circulation, il avait tout intérêt à s’y rendre, et à arrêter de boire comme un trou les Samedis soirs.
Autant dire que, quand 14 heures arriva, et que Nathan constata que ce putain de psy’ n’était toujours pas là, il fulminait sur place.
*
Tu essaies de défendre un système de corrompus et de lâches, Nattie-boy, rigolait en lui la voix nasillarde et caverneuse de la Bête.
Un système qui préfère défendre les criminels, plutôt que de protéger les victimes. Un système aveugle et corporatiste, hypocrite, un système qui est d’office voué à une lutte inutile. Sans les criminels, tu serais au chômage, Nattie-boy... C’est là toute l’ironie de la vie.*
La Bête se gaussait, et Nathan devait rester calme. Il ne fallait pas qu’il perde le contrôle de cette créature, et c’était bien pour ça que, ce midi, il avait encore pris un petit coup. L’alcool l’aidait à se calmer, et, partant de là, à contrôler la Bête. Ce monstre n’avait besoin que d’une brèche pour sortir, et il n’avait vraiment pas besoin de ça maintenant.
Il était 14h15 quand il la vit arriver. Nathan était assis sur une chaise devant la porte d’un bureau, qui était celui du psychologue de la boîte. Il vit une superbe silhouette avec une chevelure blonde, et sentit son irritation diminuer... Un peu.
«
Docteur Queen, je présume ? »
Le chef avait préféré lui assigner une
gaijin, comme lui, en pensant que ça l’aiderait à se sentir en confiance. Sa belle poitrine et ses cheveux blonds l’aidaient beaucoup à se détendre, en tout cas. Il tendit professionnellement sa main vers elle.
«
Je vous demanderais de faire vite, lâcha-t-il alors, mettant fin aux présentations.
J’ai pas mal de boulot, et je n’ai pas que ça à foutre de faire le con sur un divan à vous parler de madeleines et de tasses de cafés. »