Je doute un instant qu'elle accepte. Je comprendrais qu'elle ait peur de ce qu'elle pourrait trouver dans ma tête... moi-même, il y a certaines choses que je crains un peu, mais porté par mon enthousiasme, je n'y pense pas. Puis, lorsque je lis dans son esprit l'acceptation, mon visage s'illumine. L'instant qui précède, je la regarde fixement dans les yeux. Je n'ai plus vraiment de difficulté à le faire. Ça ne sert strictement à rien, sur un plan purement technique, cependant, j'essaie de soigner un peu la mise en scène. De toute façon, bientôt, ça n'aura plus d'importance. Elle verra indirectement ce que je vois, et plus encore.
Je suis déjà en communication avec son cerveau, il ne me reste plus qu'à abaisser le seuil. Je prends une grande inspiration, puis je m’exécute. Un moment, je ressens comme un blanc dans ma tête, comme si je retenais de formuler la moindre idée originale, par pudeur. Enfin, je ne peux me retenir plus longtemps, et les pensées fusent de nouveau, avec la vitesse qui les caractérise. J'espère, qu'elle sera capable de suivre, malgré tout. Mon rythme est plus élevé que la plupart des humains, même si une grande partie, traitée par la partie artificielle de mon encéphale, doit tout juste apparaître ; et qu'elle même, véloce et imprévisible dans ses raisonnements, n'est pas en reste. Je lui souris, avant d'ajouter une sorte de préface, qui se détache nettement de mes autres songes, sans être aussi nette qu'il y a quelques secondes.
C'est un peu étrange. Je sais continue à penser normalement, avec la même facilité. Beaucoup plus grande que celle que j'ai à parler. Pourtant, je sais que tu es avec moi, que tu m'écoutes. Je ne peux plus rien penser qui ne te sois pas immédiatement retransmis. C'est assez stressant. Même moi, je ne peux pas juguler parfaitement mon esprit... du moins pas sans une concentration intense. Et même si je le pouvais facilement, ça ne serait ni honnête, ni vraiment intéressant. Si... si tu pouvais donc me pardonner... si, par hasard, tu tombes sur des choses un peu... troublantes.
Je la sens qui explore mon esprit, ma propre mémoire, à mesure qu'elle me revient à moi-même. Son regard vert, me rappelle d'autres regards. Ceux, inquiets, des enfants qu'elle protège et qu'elle nourrit, lorsqu'elle est revenue, blessée par un carreau, à demi-inconsciente. Je me sentais alors tellement coupable. Tout me semblait être de ma faute. J'avais été stupide, de vouloir la poursuivre, sans la connaître, sans connaître les motivations de ses agissements. J'ai failli, ce jour là, faire la plus grosse erreur de toute ma vie : j'ai failli condamner à mort la plus formidable personne qu'il ne m'ait jamais été donné de rencontrer. Elle est sceptique sur ce dernier point. Elle semble assez surprise d'avoir, à mes yeux, ce statut. Sa propre opinion d'elle n'est pas aussi reluisante, pourtant, je sais qu'elle doit bien se rendre compte que je suis sincère.
C'est sur une affiche, que la première fois, j'ai fait sa connaissance, ou plus exactement celle de double V. Rien ne me préparait à la confronter, en chair et en os. La grâce de son déplacement m'a presque tout de suite fasciné, mais dans un premier temps, mon émoi s'est arrêté là. La course-poursuite accaparait la plupart de mes pensées. Était-ce parce que je ne l'avais pas encore rencontrée ? Parce que je n'étais pas encore tombé amoureux d'elle ? Mes raisonnements, alors, étaient d'une froideur qui me surprend moi-même. Étais-je vraiment aussi sec et distant ? Comme une machine ?
Je crois que j'ai pas mal évolué, en très peu de temps. Je me suis ouvert, je suis devenu beaucoup plus humain... plus sentimental, aussi. C'est entièrement grâce à elle, voire à cause d'elle. Mon moi d'avant, c'est certain, n'aurait pas approuvé. Paradoxalement, alors que je campais un mental glacial, et extrêmement calculateur, c'est elle, qui, à présent, à le plus de mal à accepter les sentiments que je lui porte, et qui sont, je le constate enfin, réciproques. Malheureusement, ils semblent retenus par son professionnalisme. Elle me l'a expliqué clairement, l'amour, ça n'est pas pour les voleurs. Elle a apprise à se fermer à ce genre d'émotion, à être rationnelle. Ainsi, c'est le robot qui tombe ouvertement amoureux, et l'humaine qui n'appréhende pas avec sérénité le concept. Drôle d'histoire...
Notre premier moment de proximité physique -lorsqu'elle me domine, de sa nudité presque complète, furieuse, bestiale- resurgit, avec un luxe de détails, jusqu'au son de sa voix, jusqu'aux lumières sur son corps, jusqu'à son odeur. Cette scène, je la connais parfaitement. C'est sur elle que j'ai... des images nocturnes, de plaisir, traversent mon esprit. J'essaie de les balayer, mais elles apparaissent assez nettement.
Ça n'est, enfin... Désolé.
Nous y sommes, après tout. Même si j'en ai un peu honte, c'est un élément comme un autre. Alors oui, je me suis masturbé, me servant du souvenir que j'avais d'elle. Elle ne réalise pas à quel point elle est désirable. L'a-t-elle seulement envisagé ? L'envie que j'ai, à cet instant, où nous sommes physiquement si proches, de la prendre dans mes bras, de ressentir sa peau sur la mienne ? Elle est si pure, je n'ai jamais surpris, dans sa tête, la moindre pensée qui aurait pu trahir la moindre libido. Le désir charnel lui est étranger, peut-être même n'en a-t-elle jamais ressenti. Pire, je sens que le sujet la dégoutte, la répugne, l'origine en est profonde. Une blessure d'enfance, sa mère, elle m'en a déjà parlé.
Je crois que tu en as assez vu. Je commence à fatiguer. Je vais arrêter là, d'accord ?
Le flux de pensées arrête de lui parvenir, la laissant un peu confuse. J'avoue que pour ma part, retrouver un peu d'intimité me rassure. Je n'ai pas été trop libidineux, ni trop obscène, tout en restant fidèle à moi-même et ne lui cachant pas les choses. L'expérience m'a laissé fatigué sur le plan de mes pouvoirs : transmettre autant de matière est épuisant, mais extatique sur un plan physique. Mon cerveau, après cette communion, cette fusion partielle, après avoir communiqué si étroitement avec un autre esprit, est surexcité... comme le reste de ma personne. Heureusement, elle ne peut plus se rendre compte directement en lisant mes pensées, et je suis suffisamment habillé pour que ça ne se voit pas trop. Je remarque sur le coup que j'ai choisi un pantalon peut-être un peu trop serré.
Puis, soudain, je sens son corps contre le mien. Je ne sais plus à quoi je pensais, pourquoi j'ai raté le cheminement qui l'a mené à prendre une telle initiative, mais sur l'instant, je m'en fiche. Le mouvement vient d'elle, de sa propre volonté, je n'ai rien eu à faire. Elle a enfin fait un pas vers moi, d'elle-même ! Il me semble que c'est la première fois que cela arrive. Je tremble d'émotion. Je laisse échapper un petit son, entre le gémissement et le glapissement, entre la surprise et le ravissement. Je l'étreins à mon tour. Ma bouche hésite, timide, frôle son menton. Je me relève légèrement de ma position assise, pour être à sa hauteur. Son corps est si proche, presque aussi proche que m'a paru son esprit un peu plus tôt... sans doute pas tout-à-fait. Je n'en ai rien à faire. Ma bouche remonte vers ses lèvres. Je ne veux pas la dénaturer, aller contre sa volonté. Tant pis, si elle n'en a aucune envie, je m'y ferais. J'espère juste que mon érection, qu'elle peut peut-être sentir, dans cette position, ne gâchera pas tout. Si je suis capable de contrôler mes actes, je ne peux pas maîtriser parfaitement mon organisme. Ma bouche trouve la sienne. Je ferme les yeux.