Hantise (PV)

Dormir ensemble. Ce n'était pas une mauvaise idée. Eclipse referma doucement le peignoir si fin qu'elle portait, avec une pudeur inutile. La fierté de la nécromancienne n'avait plus aucune valeur, à ce niveau là. Et elle ne se voyait pas dormir toute seule dans ce lit qui portait leurs odeurs. Si elle n'était pas une sentimentale, ce genre de détails lui gangrenait volontiers l'esprit. Elle lui répondit d'un hochement de tête, se frottant énergiquement les bras. La jeune femme n'avait pas forcément froid, mais occuper ses mains était devenue une nécessité. Oui, elle était anxieuse. Ces fantômes occupaient à nouveau son esprit. Elle était besoin de repos. Du bout des pieds, elle se dirigea vers la chambre, le regard vissé sur le sol. Eclipse qui devenait calme. Décidément, elle était bien lunatique.

La nécromancienne s'installa sur le lit, s'asseyant pour mieux retirer ses bas. Elle remonta son peignoir, doucement, lui faisant face. Quand cette action prit fin, elle resta assise, les paumes de ses mains sur ses cuisses. Eclipse le regarda un moment, sans rien dire, respirant avec un calme certain. C'était histoire d'apaiser son corps éreinté, surtout.

- Je ... veux que tu passes la nuit avec moi.

Déclaration suivie d'un hochement de tête.

- Et demain, je détruirais de mes mains ce putain de fantôme.

Ses mains, plaquées sur ses cuisses, se resserrèrent en deux petits poings cruels. Elle retira son peignoir, dévoilant son corps nu, si pâle, parfois rougis par les coups à certains endroits. Cela ne la gênait plus. Elle avait appris à accepter que son métier était dangereux. Vêtue, on aurait pu la prendre pour une simple femme, un peu frêle. Nue, on voyait la véritable Eclipse.

Ni une, ni deux, elle se glissa sous la couette, un peu fraîche. La jeune femme roula dans le lit, lui laissant une place. Éprouver la douceur d'un lit après autant d'agitation était salvateur. Elle se tourna une, deux, six fois, finissant par s'installer en position foetale, lui tournant le dos. Qu'il n'y voit pas un rejet ; s'il avait l'idée de nouer ses bras autour d'elle, elle n'en serait que plus heureuse. Si bien qu'elle se redressa sur un de ses coudes, un moment, pour le regarder.

- Serre-moi contre toi.

Un p'tit murmure, une douce supplication, plutôt qu'un ordre, avant qu'elle ne retourne dans sa position de base, les yeux mi-clos. Elle voulait s'endormir dans les bras de quelqu'un. Putain oui, ça lui ferait du bien.

Dormir dans un lit... A bien y réfléchir, ce serait nettement préférable à ses nuits à la belle étoile. Des nuits nerveuses et agitées, surtout quand on était seul, car on n’était jamais à l’abri de maraudeurs, ou de bêtes sauvages. Il fallait trouver un bon endroit pour se coucher, en ne dormant que d’un œil. Au moins, ici, il ne risquait pas d’être réveillé par le tranchant froid d’une lame sous sa gorge. Et, en prime, il dormirait même avec une belle femme. Que demande le peuple ? Cahir esquissa un léger sourire, et se rapprocha de la femme, rentrant dans sa chambre. Perturbée, Eclipse avait ôté ses bas trempés, et il s’écoula un long moment avant qu’elle n’accepte qu’il dorme avec elle. Il comprit qu’elle avait du peser le pour et le contre.

« Ne vous inquiétez pas, je ne ronfle pas » lâcha-t-il, comme pour essayer de détendre l’atmosphère.

Eclipse avait ôté son peignoir. Demain serait une autre journée. Il fallait que le duo se renseigne sur cette malédiction, afin de comprendre comment la conjurer. La nécromancienne fila sous la couverture, et lui laissa un peu de place. Étrangement, Cahir se sentait un peu gêné et honoré à l’idée de dormir dans un lit. Les soldats ne dormaient pas dans de confortables lits, mais sous des tentes puantes, au milieu de la sueur, des insectes, des grognements et des renâclements, le sommeil rythmé par les bruits de pas des patrouilles extérieures. C’est ainsi qu’un soldat se devait de dormir, pas dans un lit douillet, avec une délicieuse femme à côté de lui. Il rejoignit malgré tout la dame, sentant rapidement sa gêné disparaître, au profit d’éléments physiques et matériels : des frissons de plaisir remontant depuis ses jambes jusqu’à son dos. Le lit était confortable, et rappelait cruellement à Cahir son manque de sommeil. En même temps, dormir dans une cellule n’était jamais très facile, surtout quand on était suspendu.

Il se retourna vers la nécromancienne, qui s’était tournée un certain nombre de fois dans le lit. En souriant légèrement, Cahir se rappelait son ancienne femme, qui avait toujours pour manie de s’entortiller dans le lit... Une autre raison de préférer les lits de camp. Il la prit doucement, l’amenant à se retourner. Leurs regards se croisèrent, et il avança un peu plus ses mains, en posant une sur sa nuque. Eclipse était toute frêle, et il n’eut aucune difficulté à la prendre, et à la plaquer contre son torse trempé.

« Ne t’en fais pas, Eclipse. »

Il se coucha lentement sur le dos, Eclipse sur lui, la tenant entre ses bras, et vint délicatement lui caresser le dos. Ce n’est pas parce qu’on était un soldat qu’on était forcément une brute épaisse dénuée de la moindre sensibilité, et Cahir sentait la nervosité d’Eclipse. Il ne la comprenait pas. Traiter avec les fantômes, n’était-ce pas son domaine ? Il était convaincu qu’elle devait lui cacher quelque chose, qu’il y avait quelque chose qu’elle soupçonnait, et que lui n’avait pas compris. Il lui frottait donc le dos, afin de l’aider à se détendre, savourant cette peau douce et chaude. Le sommeil gagna aussi assez rapidement l’apatride.

*
*  *

Rêve ou réalité ? La nuance, parfois, est subtile. L’homme dormait toujours, et des flammes bleues léchaient le lit, enveloppant les deux éphémères amants. La pièce était plongée dans la pénombre absolue, à l’exception de ce corridor de petites flammes. Rien ne pourrait réveiller Cahir, mais ce n’était pas lui que le visiteur cherchait à réveiller. Nimbé dans l’obscurité, il observait la femme se trouvant sur lui, sentant un curieux sentiment l’envahir. Une sorte de plaisir... Un sentiment troublant, qu’il décida de partir.

« Eclipse... » lâcha-t-il d’une voix d’outre-tombe.

L’homme n’avait aucune réelle apparence. Il avait bien un corps, mais ses mains étaient noires, rabougries, décharnées. Quant à son visage, il était dissimulé dans l’ombre, et c’était sans doute mieux.

« Il ne se réveillera pas... » poursuivit-il, faisant allusion à son amant, à ce mystérieux homme.

Les flammes bleues étaient discrètes, faibles, éclairant simplement le couple.

« Tu empestes la vie, Eclipse, c’est si décevant... La peur, je la perçois... Mais elle est l’apanage des vivants, pas de ceux qui ont domestiqué la Mort. Comme toi... »

Le nécromancien connaissait Eclipse. C’était bien pour ça qu’il venait la voir. C’était une visite de courtoisie, en quelque sorte.

Sommeil de plume. Après s'être assoupie, la tête posée sur le buste de Cahir, Eclipse fut réveillée. Elle avait un sommeil assez léger, même quand elle était épuisée. C'était en majeure partie pour cette raison qu'elle vivait seule : quand elle voulait se reposer, il fallait que personne ne la dérange. Jamais. Un rien pouvait la tirer de sa torpeur. C'est pour cette raison que la voix qu'elle entendit la réveilla brusquement. Ses paupières se séparèrent l'une de l'autre, tandis qu'elle se redressait, appuyée sur un de ses coudes. La nécromancienne regarda les flammes bleues sans ciller, nullement effrayée. Elle avait juste la gueule dans le brouillard. La jeune femme se frotta les yeux, étouffa un bâillement, chercha la source de cette voix. Il n'y avait rien, dans l'air, qui annonce le danger. Pas de pressentiment. C'était pour cela qu'elle restait aussi calme, d'ailleurs. Eclipse n'écoutait que son instinct, qui ne la trahissait jamais. Elle s'installa en tailleur, la couette autour de la taille. Elle distingua, dans la pénombre, deux mains noires. Un nécromancien. Décidément. Chassez le naturel, il revient au galop. La jeune femme répondit à ses remarques par de petits sourires.

- Je sais bien qu'il ne se réveillera pas.

Souffla t'elle, à voix basse.

- Oh ... Il est normal d'avoir ses faiblesses, voyons. Je ne suis pas plus une science exacte que toi.

Continua la nécromancienne en cherchant, à tâtons, ses cigarettes. Ses cheveux détachés et ondulés coulaient sur ses épaules. Elle fit le choix de les rabattre sur une seule des deux. La droite. Cigarette allumée en un souffle brûlant.

- Je n'ai pas peur.

Elle avait relevée les yeux vers lui, le ton cinglant. Personne n'aurait osé la contredire. Une bouffée de tabac.

- Je n'ai jamais eu peur. Ni des vivants, ni des morts, ni de quoi que ce soit. Je suis Eclipse, et je n'ai besoin de personne.

Articula t'elle finalement, le visage fermé. Ses traits ne trahissaient que son assurance. Si elle s'était laissée effrayer, un peu plus tôt, soyez sûr que c'est une erreur qu'elle ne referait plus. Plus jamais. Elle même s'en voulait d'être faible, parfois. Mais comme on le lui disait si bien, si l'on tombait sept fois, il fallait se relever huit fois.

Éclipse alluma une cigarette, et se mit à fumer. Cahir, lui, dormait d’un sommeil magique, comateux. Il aurait été impossible de le réveiller, à moins de lui verser de l’eau sur la figure. Les flammes bleues enveloppaient Éclipse, tandis que le visiteur restait dans l’ombre, invisible, méconnaissable. Une odeur de tabac se répandit dans la pièce. Les flammes ne dégageaient aucune odeur, ni chaleur.

« Domestiquer la Mort pour la dominer... Voici le souhait de tous ceux qui désirent devenir nécromanciens... Lutter contre l’Équation dualiste... »

Le mystérieux visiteur restait dans l’ombre. Y avait-il une raison particulière pour qu’il ne se montre pas ? Peut-être n’avait-il aucune apparence physique à montrer. Les nécromanciens flirtaient avec la Mort, flirtaient avec tout ce qui était lié, comme les fantômes, les malédictions mortelles, les goules, les maisons hantées. L’Équation dualiste, c’était ce rapport fondamental entre la vie et la mort, la première s’effaçant au profit de la seconde. Une équation qui connaissait ses limites dans la nécromancien, avec la non-vie, avec ces âmes qui, sans être vivantes, n’étaient pas totalement mortes non plus. Si le nécromancien avait décidé de se montrer à elle, c’était bien pour pouvoir lui parler. Il n’était pas surpris qu’elle soit si décontractée, et, pour être honnête, il aurait été énervé qu’elle prenne peur. La peur de la mort était la peur à l’origine de toutes les peurs. Domestiquer la mort, c’était lutter contre cette peur, et donc, in fine, écraser la peur.

« Je t’ai sentie approcher... Et je ne comprends pas pourquoi tu aides ces gens... »

Il prononça ce mot avec un mépris évident.

« Ni pourquoi tu t’adonnes à des plaisirs qui ne nous intéressent pas... »

Il faisait référence à la séance de sexe qu’Éclipse avait eu avec Cahir. Pour lui, la nécromancie consistait à se désintéresser de la vie au profit de la mort. Or, le sexe, c’était la célébration de la vie, dans sa forme la plus pure et la plus primitive. Il aurait plutôt compris un accès de rage et de violence, mais... Du sexe ? Dans la même logique, il ne comprenait pas ces nécromanciens qui cherchaient à chasser les fantômes, au lieu de les protéger. Les fantômes et les ectoplasmes étaient une forme de succès du mélange entre la vie et la mort. Transcender la vie et la mort, afin d’aboutir à une nouvelle forme d’existence, voilà ce que tout bon nécromancien devrait rechercher.

« Tu ne m’auras pas avec ton dédain et ton calme, Eclipse... Et, en voulant aider ces couards, tu te dresses face à quelqu’un qui n’aime pas l’opposition. J’ai réussi à le convaincre de t’accorder un sursis provisoire, mais il te détruira, si tu persistes. Un monde nouveau se dresse, et essayer de défendre l’ancien monde est aussi vain que vouloir stopper l’écoulement de la marée. Tu prétends que tu n’as besoin de personne... Mais les mots sont du vent, on ne saurait s’en contenter... »

Un couteau à la lame bleue apparut en l’air, devant Eclipse, lame pointée vers le bas.

« Prouve-moi qui tu es, et tranche-lui la gorge... »

S'il y avait bien une chose qu'Eclipse détestait, au-delà même des êtres humains et de leur capacité à perdre du temps et à bavasser pour rien, c'était qu'on lui fasse la leçon. Et qu'on lui donne des ordres, au passage. La nécromancienne respectait ses semblables, oui. Parce qu'il le fallait bien. Parce qu'elle faisait partie d'une catégorie de personnes qui, à son sens, valait bien mieux que les autres. La nécromancie était l'art ultime, l'adéquation parfaite. La jeune femme était à son apogée, maîtrisant ses pouvoirs, ses potions, ses esprits. Et là, un homme se permettait de lui faire la leçon ... ? Eclipse grimaça, sans s'en cacher. Elle avait bien le droit de baiser. Putain de foutre de dieu, aurait-elle pu hurler, elle avait le droit de prendre un putain de pied, surtout après qu'un fantôme lui ai mis sur la gueule toute la journée. Et il la réveillait, ce con. Eclipse soupira lourdement. Bon.

L'arme ? Oubliée. 'fin, elle la prit par le manche, pour la faire tournoyer entre ses doigts un moment. Elle n'avait aucune envie de tuer Cahir. Pas question. Ce n'était pas de l'amour, ni des sentiments, parce qu'elle en était foutrement incapable ... Mais question de principes. On ne faisait pas la morale à Eclipse.

- Tes préceptes ne m'intéressent pas.

Elle écrasa sa cigarette dans un cendrier, et planta le couteau dans le lit, brutalement. Pulsion.

- Tu n'as aucun ordre à me donner. Je ne suis plus une enfant.

La nécromancienne crachait ses mots avec dédain, oui.

- Et je t'ai dis que je n'avais pas peur ! Qu'il m'envoie ses monstres, son bestiaire tout entier, je n'ai pas peur.

Réveiller Cahir à force d'exclamations ? Osef. Eclipse était enragée. Pour un peu, elle se serait levée du lit. Mais non, elle restait assise, agitant ses mains, ses épaules, son buste tout en s'exprimant, sans jamais baisser le regard. Elle était forte. Elle ne ploierait pas, ou le ferait en se battant jusqu'au bout. Elle faisait partie de ces gens qui oscillaient entre vie et mort. Crever serait faire un choix définitif. Elle voyait les choses ainsi, la p'tite. Et ne comptez pas sur elle pour perdre ses moyens.

- Sors d'ici, laisse-moi dormir. Tu m'importunes.

Furent ses derniers mots, la main encore posée sur le manche de l'arme, plantée dans le lit. Son regard était noyé de rage. Et de sommeil.

Fut-il chagriné ou déçu qu’il ne le montra pas. Il avait connu Eclipse jadis, et c’était au nom de cette lointaine amitié qu’il était revenu vers elle, afin de lui faire une proposition. Une offre devant laquelle aucun nécromancien digne de ce nom n’aurait refusé, la possibilité de court-circuiter enfin l’Équation fondamentale, de transcender la Vie elle-même. Elle l’avait refusé, le lui crachait à la gueule. Il y avait de quoi en être déçu, furieux. Jadis, ses émotions l’auraient probablement trahi. Une vague de colère magique aurait sans doute traversé la pièce. Au lieu de ça, et en réalité, il éprouvait surtout de la pitié pour elle. Le monde était comme une roue qui avançait à toute allure, et il n’y avait que deux manières d’appréhender la roue : soit on se cramponnait à cette dernière pour réussir à courir avec elle, soit on glissait, et on se faisait aplatir, disparaissant alors dans les limbes de l’Histoire. Lui avait choisi d’attraper le coche, de filer sur le train, d’adhérer à l’évolution, et pas elle. Elle s’y refusait. Il ne pouvait pas lui en vouloir, elle avait toujours été comme ça, dans ses souvenirs. Une femme qui n’en faisait qu’à sa tête, une créature de passion. C’était son charme, mais aussi ce qui signerait sa perte.

« Tu ne pourras pas vaincre ce fantôme », énonça-t-il calmement, sans aucun timbre de colère dans la voix.

Il l’avait dit avec un calme platonique, comme s’il énonçait une vérité générale. Les flammes bleues vacillèrent, et le nécromancien disparut, ainsi que les flammes. Même le couteau se transforma en poussière, et il ne resta bientôt plus rien que l’obscurité. Le temps, comme s’il avait été suspendu, reprit ses droits. On put entendre les animaux, une chouette hululer, des craquements dans le sol. Cahir soupirait fort, indifférent à ce qui venait de se passer. Il n’était qu’un simple humain, il n’avait rien à voir avec la nécromancie. A aucun moment, il n’avait perçu les vibrations magiques, ni la colère de son amante. Il se contentait de dormir, du repos du guerrier, de celui qui savait que demain ne serait pas une journée calme, et qu’il aurait besoin de toutes ses forces.

La nuit fut donc pour lui assez paisible, et il se réveilla aux premières lueurs de l’aube, fidèle à la tradition du militaire qui se réveillait toujours avant que le coq ne caquète. La grasse matinée ? Ce n’était pas pour lui. Même quand il était à Ashnard, son père exigeait qu’il se réveille tôt. Un militaire n’est pas une feignasse qui passe son temps à péter dans le lit, ainsi qu’il le disait quand sa mère arguait que, pour l’équilibre de leur enfant, il faudrait mieux le faire dormir plus. Cahir se réveilla donc, avec l’envie d’en démordre, et d’aller renvoyer ce fantôme là où était sa place : dans sa tombe.

Si lui s'éveilla tôt, ce fut loin d'être le cas pour Eclipse. Après que le nécromancien se soit évanouit dans la nuit, elle était restée immobile, les yeux écarquillés, dans le lit. Un pâle frisson avait agité son corps, si bien qu'elle s'était réfugiée sous la couette. Mais dormir lui avait été impossible avant un long moment. Pourquoi prétendre qu'elle ne saurait vaincre ce fantôme ? La jeune femme n'avait jamais connu l'échec, même dans les pires situations. Les exorcismes, tiens. C'était toujours une horreur, que d'invoquer un démon qui squattait le corps d'une personne. Les coups étaient vifs, les hurlements assourdissants. Mais là, elle sentait que c'était différent. Il y avait quelque chose. Le nécromancien l'avait autant intrigué qu'agacé. Comment pouvait-on lui reprocher d'être vivante ? Ah, elle n'aimait pas tous ses collègues, surtout ceux de la vieille école. Il lui avait fait froid dans le dos, mais elle s'était reprise. Pas question de flancher. Elle était Eclipse. Forte, invaincue, téméraire. La peur était un luxe qu'elle ne pouvait plus se permettre. Et ce fut sur ces bonnes paroles qu'elle parvint à trouver le sommeil.

Elle s'éveilla dans un soupir, remuant comme un petit serpent. Eclipse ne connaissait plus les courbatures, à force de s'agiter sans cesse. Même ces ébats ne l'avaient pas épuisée, aussi le réveil fut-il agréable. Son premier réflexe fut de s'allumer une cigarette, tandis qu'elle gardait la couette plaquée contre son buste. Pudeur matinale, s'cusez. La nécromancienne regarda Cahir un moment.

- Un nécromancien est venu, cette nuit, pour me mettre en garde.

La jeune femme passa une main dans ses cheveux décoiffés, les coinçant sur une de ses épaules. Ils coulèrent sur l'aube de son sein droit.

- Il voulait me tester. Il voulait que je t'égorge.

Elle secoua la tête. Le ton de sa voix était léger.

- Certains de mes collègues sont d'un pénible ... La mort plutôt que la vie, se détacher de tout, ne jamais avoir peur, et cetera. Misère.

Yeux levés au cieux, dans un rictus moqueur.

- Nous sommes tombés sur un gros morceau, et je ne vais en faire qu'une bouchée.

Bon, ça, elle l'avait murmuré, les yeux plissés. Il ne fallait pas la chercher, ni taquiner son ego. Eclipse était bien plus forte qu'elle n'en avait l'air.

Cahir traîna un peu dans le lit, se surprenant à flâner. Sa vision devint assez rapidement normale, et il tourna la tête vers Eclipse. Elle dormait paisiblement à côté d’elle, et il se permit pendant un certain temps de l’observer, un léger sourire sur les lèvres, perdu dans ses pensées. Il avait fait l’amour avec une femme. Une nécromancienne, certes, mais une femme quand même. Pour lui, c’était suffisamment intéressant pour qu’il se permette de se le redire. Il se retourna à nouveau, et entreprit lentement de s’extirper du lit. Nu, il enfila un simple sous-vêtement, afin de ne pas être surpris si des domestiques entraient dans la chambre. Il s’approcha de la fenêtre, et écarta les rideaux. A travers une vitre crasseuse, il vit la campagne environnante. Un ciel grisâtre dominait une région faite de collines et de montagnes au fond. On pouvait voir les chaumières du village où il devrait se rendre, ainsi que des serfs qui s’avançaient le long du chemin en pente menant au château. C’était un temps morose, annonciateur d’une forte pluie à venir. Un temps qui convenait plutôt bien à l’atmosphère générale régnant dans ce château. On pouvait voir les rayons de soleil qui tentaient difficilement de percer à travers la couche de nuages dominant au-dessus de leurs têtes.

*Quel temps de merde...*

Il se retourna en entendant Eclipse remuer, et se rapprocha d’elle. Elle ne tarda plus à se réveiller, et le salua en lui annonçant qu’il avait failli mourir cette nuit. Pendant un bref moment, il se demanda si elle était sérieuse, avant de se dire qu’il imaginait mal une nécromancienne rire. L’apatride en était troublé, car il n’avait rien senti. Soit cette partie de sexe l’avait bien trop détendu, soit il y avait de la magie dans l’air... Cahir avait en effet un sommeil assez léger, et il se mordilla les lèvres pendant que la femme lui parlait. Elle lui expliqua que le nécromancien avait voulu la mettre à l’épreuve en lui demandant de l’égorger, et qu’elle avait refusé. Elle lui expliqua qu’il existait des nécromanciens plus attirés par la Mort que par la vie.

« Charmant, dit-il lentement. Merci pour ma gorge, elle m’est précieuse. »

Ce n’était pas vraiment le réveil auquel il s’attendait, car il lui provoquait des frissons dans le dos. Qui était donc ce nécromancien ? En tout cas, sa présence confirmait ce qu’il pensait. Le fantôme n’était pas apparu spontanément, il y avait quelqu’underrière lui. Quelqu’un qui avait visiblement cherché à prévenir Eclipse, sans doute parce qu’il tenait à elle, et qu’il était persuadé que s’entêter la tuerait. Cahir aurait pu rebrousser chemin. L’ennemi était dangereux, et ce château pourri ne méritait pas qu’il risque sa vie pour lui. Cependant, l’idée-même de partir lui faisait horreur, car ce serait une fuite. Et il n’était pas un lâche. Cette idée était pire que tout. Cahir préférerait être mort plutôt que d’être un lâche. C’était puéril et stupide, il en avait conscience, mais c’était ainsi. Il ne comptait pas se changer.

« Dans ce cas, je crois qu’il va nous falloir relever l’invitation de notre mystérieux visiteur, et en savoir plus sur ce fantôme, avant de l’envoyer rejoindre les morts. »

C’était aussi simple que ça.

Le lit s'anima d'un grincement tandis qu'Eclipse se redressait. Elle avait cette même hargne, dans le regard. Non, elle n'abandonnerait pas. Cette visite nocturne avait réveillé l'envie du défi, ce goût pour l'aventure. Encore quelque chose qui la mènerait à sa perte. Le danger ne l'effrayait nullement, l'adrénaline pulsant dans son palpitant. D'une main, la jeune femme retira la couette, pour attraper sa tenue. Un corset, qui appuyait sur son ventre et ses seins, redressant au passage sa jolie poitrine. Colliers, encore. Une culotte, des bas, une longue jupe, comme d'habitude. Tout trainait autour du lit, la jeune femme n'avait qu'à se baisser pour ramasser. Elle termina ses préparatifs en posant son châle sur ses épaules. Avant de s'écrouler sur le lit, dans un long, très long soupir. Ses cheveux, diffus, s'éparpillaient sur la couette. Elle n'était même pas coiffée. Sa gueule d'ange resta un moment immobile, tandis qu'elle regardait le plafond sans vraiment penser.

Petit grognement.

- ... Je ne sais pas si retourner à la bibliothèque serait très constructif.

Eclipse fit claquer sa langue contre son palais à trois reprises, avant de se redresser sur ses coudes. Elle regarda Cahir un moment, puis entreprit de se coiffer, ses doigts fins glissants dans ses cheveux.

- On m'a parlé d'un étage de ce château qui est ... Ah, putain de noeud, où est ma brosse ?

La jeune femme s'empara de ladite brosse.

- C'est un recoin de ce château qu'on dit hanté. Au dernier étage. C'est condamné, mais ce problème peut se régler. Y faire un tour ne serait pas une mauvaise idée, mh ?

Sourire charmant. Elle avait toujours aimé ce genre d'expéditions. Coiffure terminée. Elle reposa la brosse à cheveux, cherchant ses chaussures des yeux.

- Il suffit de sortir de cette chambre, de prendre l'escalier jusqu'en haut. Une porte fermée nous fera face. Je peux faire sauter le verrou très facilement. Ça ne m'étonnerait même pas que les anciennes possessions de notre fantôme y soient.

A la bibliothèque, Eclipse et Cahir avaient trouvé un livre sur un conte, et son projet initial avait été de se rendre au village pour essayer d’en apprendre plus sur ce livre. La nuit passée avait quelque peu occulté cet objectif, et, maintenant qu’il venait d’apprendre que leur sommeil avait été dérangé par la présence d’un être dangereux, l’apatride était dans une situation différente. Pour l’heure, il se disait qu’il allait devoir dormir en ouvrant son pendentif, qui renfermait un cristal en dymérite, et qui permettait de neutraliser la magie. Dieu seul sait pourquoi il n’avait pas eu la clairvoyance, hier, de le faire... Et, à peine cette question lui traversa-t-elle l’esprit qu’il en eut la réponse, en voyant la femme se rhabiller rapidement, récupérant ses vêtements dispersés ici et là.

*Les femmes... Elles nous font perdre la tête...*

En lui faisant l’amour, Cahir en avait oublié les précautions les plus élémentaires : s’assurer de ne pas être surpris en dormant. Il fallait croire que le jeune homme vieillissait, et devenait négligent. Il se sermonnait mentalement de son amateurisme, qui aurait pu lui coûter très cher, si Eclipse n’avait pas décidé de l’épargner. Il en était même partiellement surpris. Est-ce que sa performance sexuelle avait suffisamment ravi Eclipse pour qu’elle ne daigne pas le tuer ? Ou est-ce qu’il se trompait sur son compte ? Même après lui avoir fait l’amour, Cahir voyait toujours elle une négociante de mort, plus attirée par les morts que par les vivants, et ce même si elle lui avait vigoureusement prouvé le contraire hier. Il était dur de lutter contre les préjugés, surtout ceux qu’on vous inculquait depuis l’enfance.

Perturbé, il la laissa parler, lui suggérant de se rendre à un étage du château condamné, et qui est « hanté ». Cahir avait les bras croisés, et hocha lentement la tête, réfléchissant rapidement.

« Soit, répondit-il sobrement. On ne perd rien à y aller. »

Cahir récupéra son épée. Une protection bien illusoire contre un fantôme, mais elle faisait presque partie de lui. A cette idée, il se rappela qu’il devrait aussi aller dans les écuries, voir son cheval. Une autre partie de son patrimoine auquel il tenait beaucoup. Il devait s’assurer que la bête était bien nourrie, et que la présence du fantôme ne la perturbait pas trop.

*Une autre chose que j’aurais du faire hier soir...* se rappela-t-il.

Secouant la tête, légèrement bougon, il ouvrit la porte de la chambre. Fort heureusement, il n’y avait aucun garde, ni domestique. Dans la mesure du possible, Cahir tenait à éviter qu’on ne vienne les déranger, surtout s’ils savaient qu’ils comptaient se rendre à un étage condamné. Il était toutefois probable que les gardes ne tarderaient pas trop à venir leur demander des explications sur ce qui avait eu lieu dans la bibliothèque. Raison de plus pour se dépêcher. Étouffant un bâillement, Cahir longea le couloir, et trouva rapidement l’escalier mentionné par Eclipse. Il était digne de ces vieilles maisons ancestrales : des planches en bois qui craquaient sous ses pas, des toiles d’araignées dans les coins, des lézardes, et une forte poussière qui laissait suggérer que peu de gens montaient au-delà de l’étage d’Eclipse.

Plus l’escalier montait, plus il devenait étroit, jusqu’à approcher d’une grille en fer. Le duo se tenait alors au pied d’une petite tour conduisant au dernier étage, face à un étroit escalier en colimaçon, où les marches en bois étaient remplacées par des marches de pierre. Cahir posa ses mains sur la grille, essayant de la secouer. Elle était solide. Impossible de la briser manuellement. En revanche, ce palier ne comprenait pas qu’une grille, mais aussi un couloir, qui filait dans l’étage.

« Vous pouvez ouvrir ça ? » demanda-t-il à Eclipse.

Déambuler dans des lieux hantés ... Mmph, cela faisait bien longtemps qu'elle n'avait plus joué à ce genre de jeux. Le souffle glacé du souvenir et de la mort s'insinua dans sa nuque, et elle toussa pour le disperser. Si les êtres vivants 'normaux' n'avaient que de légers pressentiments, les nécromanciens pouvaient être étourdis par la présence de spectre, de fantôme, de la mort en général. Elle fit taire un frisson. Ce n'était pas de la peur, non. Juste une réaction physique qu'elle connaissait très bien, qu'elle domptait même plutôt habilement. Mais après avoir passé une nuit à s'envoyer en l'air, gambader parmi les ectoplasmes, hein, ça faisait pas vraiment le poids. Elle sortit de sa sacoche une petite boite en fer, d'où elle extirpa une sorte de pâte. D'un tour de main, elle l'inséra dans la serrure. Allumette, on se recule, on ferme les yeux sinon ça pique. La serrure émit un craquement, explosant littéralement devant eux. La porte s'ouvrit dans un grincement sinistre. Décidément. Eclipse fut la première à entrer. Il faisait très sombre. Elle s'empressa de fouiller dans sa sacoche.

- Ce n'est pas par ... Enfin, ce n'est pas pour vous remercier de quoi que ce soit, que je ne vous ai pas tué.

Dit-elle simplement. Les flacons claquèrent les uns contre les autres, produisant un doux tintement. Si avant, ce son l'agaçait, elle n'en avait cure désormais. Le tintement de ces objets signifiait le commencement d'un jeu. Un cache-cache avec les esprits. La nécromancienne se tourna vers lui, faisant valser un flacon rond entre ses doigts.

- Je ne vous dois rien. J'ai refusé de vous assassiner parce qu'une vie reste une vie. Ce n'est pas quelque chose que l'on gâche.

Au moins, ça avait le mérite d'être clair. Elle ouvrit le flacon, histoire d'en boire une gorgée. Silence. Son buste s'agita, dans un hoquet. La jeune femme ouvrit prestement la bouche. Une balle lumineuse, ronde, aux contours agités, s'éleva dans les airs, flottant au même niveau qu'Eclipse. Elle ne perdait décidément pas la main. Ses doigts remontèrent jusqu'à ce petit soleil portatif, et elle lui asséna une pichenette. Hop, la balle sauta littéralement, faisant le tour des lieux. C'était un palier, aux murs léchés par l'usure, dont les pierres semblaient prêtes à se briser. Le bois craquait sous leur poids. On discernait, face à eux, une porte, et un couloir commençait sur leur gauche.

Un frisson agita à nouveau son échine, lui arrachant un léger couinement. Eh bien.

- Mh, ça doit faire des années que personne n'est venu ici ... Je ne sens aucune vie.

Souffla la nécromancienne, se tournant vers lui. Aucune peur, dans son regard. Mais une assurance inflexible.

- Par quoi commençons-nous ?

La balle ensoleillée dansa entre la porte et le couloir, attendant une réponse quelconque.

La grille s’ouvrit dans un sinistre grincement, à vous donner des frissons dans le dos. La magie... Cahir devait bien le reconnaître, c’était souvent pratique. Ils grimpèrent dans l’étage fermé, abandonné, et l’homme serrait nerveusement son pendentif. Sa dymérite... Il avait honte de l’admettre, mais ce cristal magique serait sûrement bien plus utile que son épée. Tout en montant, il essayait de se rappeler les propriétés magiques de l’acier valyrien, acier qui constituait sa lame. Avec certaines huiles et runes, l’acier valyrien pouvait trancher les ectoplasmes. L’inconvénient, c’est qu’il n’avait pas, à disposition, d’une huile de ce style, et il n’y en avait pas dans ce trou. Cependant... Hier, l’idée lui aurait fait horreur, mais, maintenant... Il avait couché avec cette femme, et elle le surprenait avec sa connaissance et son équipement. Peut-être avait-elle les potions qui lui permettraient de concocter son huile ? Alors qu’il y réfléchissait, il vit la femme avaler quelque chose, une fiole qu’elle lui avait brandi sous le nez, avant que quelque chose ne sorte de sa bouche. Une bulle de lumière, qui se mit à les envelopper, montrant l’entrée de l’étage. Il y avait une porte, et un couloir, qui partait en angle sur la gauche.

« Hum... A dire vrai, c’est plutôt moi qui vous doit quelque chose. »

Il n’ajouta rien, et s’avança un peu, continuant à réfléchir. Le bois craquait sous ses pas, et il s’engagea dans le couloir, lentement. L’endroit était sinistre. Le papier était jauni, délavé, et il y avait de nombreuses lézardes le long des murs, ainsi que plusieurs toiles d’araignées dans les coins. Un endroit très poussiéreux, et sombre. Plusieurs portes étaient détruites, permettant de voir des pièces silencieuses, avec des fenêtres condamnées. Cahir entendit de petits bruits rapides et précipités, apeurés.

« Un vrai trou à rats... »

Le couloir conduisait à une porte fermée, que Cahir ouvrit. La porte en bois poussa un antique grincement, et manqua tomber. Elle s’ouvrit sur une grande pièce, un salon avec une cheminée, et une énorme peinture. C’était une belle peinture à huile représentant une jeune femme, dans une robe bleue foncée, avec des colliers. Le reste de la pièce se composait de morceaux de bois brisés, de bibliothèques renfermant des livres poussiéreux, et de meubles endommagés. Il y avait même un énorme lustre sur le plafond, entièrement recouvert de toiles. Cependant, le regard de Cahir restait concentré sur l’énorme toile. Il regarda les mains de la fille, et y trouva une bague avec des signes dessus. Cette bague était un sceau.

« Cette fille était une noble nexusienne... Et pas n’importe laquelle. C’est le sceau des Ivory. »

Les Ivory, la famille royale de Nexus. Cette fille... Ce n’était pas la reine actuelle, mais elle lui ressemblait... Du moins, d’après ce que Cahir savait de la reine de Nexus. Elle avait des yeux bleus acérés, un regard fier qui portait loin. Qu’est-ce qu’une peinture représentant une Ivory figurait ici ? Cahir continuait à observer le tableau, cherchant des détails, des informations, quand il sentit un frisson, comme s’il y avait eu un coup de vent. Il regarda autour de lui, mais ne sentait rien. Pourtant, il avait clairement l’impression qu’il y avait quelqu’un. Est-ce que Cahir délirait ? Est-ce qu’il avait des visions ? Il ne sav ait pas quoi penser, et se retourna vers Eclipse.

Il faillit dire quelque chose, quand il perçut quelque chose dans son dos. En se retournant, il vit, avec surprise, que la peinture avait quelque peu changé. Les beaux yeux bleus de la femme avaient disparu, laissant à la place deux trous noirs, avec des traînées de sang qui en sortaient. Quelqu’un lui avait arraché les yeux.

*Le fantôme... Il est là !* songea-t-il.

Eclipse le suivit, silencieuse. Elle s'y connaissait peu, en vieilles histoires. Surtout concernant Nexus. Elle ne s'y rendait que périodiquement, et s'y intéressait très peu. Tout ce que la jeune femme savait de cette contrée, c'est que la magie pullulait, et les fantômes aussi. Beaucoup de nécromanciens avaient à se rendre à Nexus, pour parfaire leur instruction. Elle, elle y avait échappée, bien heureusement. Les terres où se pratiquait l'esclavage, putain, elle détestait. C'est quand elle allait ouvrir la bouche pour lui demander des explications qu'elle le sentit. Le spectre. La morte. Elle revenait. La bulle de lumière vibra, comme prise d'un violent frisson. Mon dieu, non, non ... Son corps se remettait tout juste de ses plaies, ce serait suicidaire de remettre ça. Eclipse jeta un oeil vers Cahir, gonflant ses joues, excédée. Pas de peur, dans son regard. Juste une sorte d'agacement, à l'idée d'avoir encore mal, de devoir encaisser, se battre.

- ... Dieu que les fantômes sont chiants.

Une fois cette phrase prononcée, Eclipse vola. Ah, pas de son plein gré. Elle se mangea la peinture, son dos heurtant violemment le mur. Son corps retomba sur le sol, dans un hoquet, tandis qu'elle portait la main à son sac. Elle serra entre ses doigts les feuilles magiques, qu'elle prenait pour mieux encaisser la douleur. A peine eut-elle le temps de les avaler qu'un feu s'alluma dans la cheminée, la faisant sursauter.

Une pression, sur ses jambes. On cherchait à l'attirer vers les flammes. Ses doigts griffèrent le sol, elle couina. Putain, il fallait que les effets montent, montent ... Et le fantôme apparut, face à elle, debout, le regard noir et vide. Eclipse se redressa sur ses coudes, s'agitant comme une belle diablesse. L'ectoplasme riait, son visage fendu d'un large sourire moqueur. La nécromancienne enrageait.

- Salope ! Ne m'abîme pas !

... Et elle bondit. Sur le fantôme. Habituellement, quand un humain cherchait à atteindre un spectre, il passait au travers. Pas les nécromanciens, qui apprenait à maîtrisait l'art de saisir les morts. Dans un cri sourd, la jeune femme s'empara du fantôme, enragée, le regard noir. Vraiment noir. Plus de pupille. Plus de globe. Juste un voile noir. Mais elle n'eut pas le dessus bien longtemps. Le fantôme inversa brusquement la situation, la poussant brutalement en arrière. Le dos d'Eclipse rencontra la cheminée.

- CREVE !

Pour un fantôme, elle avait de la voix. Eclipse put sentir une pression autour de sa gorge, tandis que le spectre dirigeait sa tête ... vers la cheminé. Putain non.

- Cahir ! Aide-moi, merde, aide-moi !

Et le fantôme attaqua. Il ne se manifesta pas physiquement, mais il était pourtant là. Du vent jaillit de nulle part, renversant Cahir. Il se reçut une lame qui l’envoya heurter l’une des bibliothèques, la brisant en mille morceaux. Des morceaux de verre glissèrent contre son dos, et il regretta de ne pas avoir mis son armure, tandis que des morceaux de bois lui tombaient dessus. Cependant, entre un humain insignifiant et une nécromancienne, le choix du fantôme était vite fait. Sentant les pointes dans son dos, Cahir gémissait, tandis que des flammes bleues jaillirent comme par magie de la cheminée. Secouant la tête, l’apatride tentait de sortir des restes de la bibliothèque, en entendant quelque chose d’étonnant : Eclipse couinait. Il n’aurait jamais cru qu’un nécromancien soit capable de ça, ce qui signifiait que sa chère nécromancienne si sûre d’elle commençait à sentir le halo froid de la peur. Elle essayait de combattre le fantôme, mais sans véritable succès. Cahir, en secouant la tête, vit une espèce de forme vaguement humanoïde, blanchâtre, qui flottait. Moins qu’un corps, il s’agissait plutôt d’un visage grimaçant qui ressortait d’une tornade bleuâtre, lui permettant d’apercevoir, ici et là, une robe en triste état. Il entendit un rire d’outre-tombe, perçant et sinistre.

*Putain, mais sors de là !* s’encouragea-t-il.

Il entendit un accent sinistre jaillir de la bouche du fantôme, alors qu’Eclipse, redevenant la femme en détresse, l’appelait à l’aide. Elle était traînée vers les flammes. Le feu jaillissait hors de la cheminée, léchant le bois, mais sans créer d’incendies. Et, à travers les flammes, Cahir croyait voir des formes noirâtres, et percevait des rires... Et des sifflements, des quolibets, et des pleurs lancés au ciel. Et Eclipse était traînée vers les flammes. L’homme réussit à sortir des restes de la bibliothèque, et se mit à quatre pattes, avant de cracher du sang. Sa vision s’obscurcit, alors qu’il vit des gouttes de sang sur le sol. Toute la pièce vibrait dangereusement, et il parvint à se relever, tenant dans ses doigts son pendentif.

« Je commence à en avoir ras-le-cul de me faire balancer d’un bout à l’autre ! »

Cahir s’avança vers Eclipse, et sentit la pièce trembler Les lattes de bois s’arrachèrent du sol autour de lui, ainsi que les planches de bois condamnant les fenêtres. Elles foncèrent sur lui, et il s’en reçut une en pleine tête, l’envoyant s’écraser sur le sol.

« Sorcière ! rugit le fantôme, d’une voix caverneuse. Brûlée, violée, massacrée !! Mes yeux, où sont mes yeux ?! Rends-les moi, pétasse ! »

Cahir se releva. Il saignait de la tempe, et secoua la tête. Il tenait le pendentif dans sa main, et l’ouvrit. Une lueur blanche jaillit de la dymérite, et le feu disparut automatiquement, ainsi que les liens entravant Eclipse, tandis que le fantôme se mit à pousser un hurlement déchirant. Cahir vit la jeune femme s’éloigner rapidement de la dymérite. Il la pointait vers elle, en soupirant, sa vision se troublant.

« Qui ?! Qui t’a réveillé ? Qui t’a fait ça ?!
 -  Aaaah... »

Le fantôme grognait et sifflait.

« Ils paieront ! Ils mourront tous, et je me régalerai de leurs âmes ! Mes yeux, ils m’ont volé mes yeux, haaaaa ! Ils ont souillé mon âme, ce sont des MEURTRIERS ! »

Cahir avait mal au dos. Le fantôme disparut, et la dymérite cessa de vibrer. Il cracha encore un peu de sang. Son dos ressemblait à celui d’un hérisson, avec de nombreux éclats de verre pointés dans son dos. Il finit par tomber sur le sol.

« Aaaah, putain... Saloperie de fantôme... »

Cahir respirait lourdement, et entendit des bruits de pas précipités. Il faut croire qu’ils avaient été moins discrets que prévus, vu que la garde était en train de monter.