Oui, l’espoir de sortie est ce qui motivait Ankhesen. C’est ce qui l’empêchait de céder à la fatigue de son corps fourbu de douleur. C’est ce qui l’obsédait au point qu’elle ignorait la fatigue qui l’habitait constamment. Sortir. Vivre. Liberté. La mort de Norma était mise de côté. Elle aurait tout le temps de faire son deuil lorsqu’elle serait dehors et en bonne forme.
Malgré tout, elle sait bien qu’elle ne pourra pas tenir bien longtemps un rythme soutenue. Elle n’est dont qu’à moitié surprise de sentir l’homme la soulever comme un fétu de paille. Elle fait taire la douleur de ses côtes brisées. Elle fait taire la souffrance de son bras gauche. Elle supporte, sagement, et ne fait pas un geste qui risquerait d’entraver les mouvements de celui qui semble être un soldat. Elle contient bravement ses cris, ses gémissements et ses plaintes. Elle garde le regard farouche, et la tête haute.
Elle ne peut cependant retenir un soupir de soulagement, mêlé de tiraillements de douleur, lorsqu’il la dépose au sol. Pourtant, il a été délicat par rapport aux précédents qu’elle a rencontrés. Elle garde le silence, comme il le lui demande, mais hausse les sourcils en le voyant ouvrir la robe qu’elle portait, et en le sentant palper ses blessures. Elle étouffe ses gémissements de souffrance quand il effleure ses côtes blessées, ne laissant voir sa peine que par son souffle qui s’accéléra légèrement. Elle serre les dents. En écoutant la suite de ses paroles, elle voudrait répliquer. Elle voudrait lui montrer qu’elle n’est pas un poids mort. Sauf qu’il avait raison. Elle ne lui faisait pas confiance, mais en même temps, elle ne faisait plus confiance à personne. Cependant, elle sentait qu’il n’était pas du même côté que ses brutes qui l’avaient gardée prisonnière tout au long de ces années, sous la menace de tuer sa fille si elle n’obéissait pas. Elle sentait que ce n’était pas ce genre d’homme, et elle était prête à le suivre même si elle ne le connaissait pas. C’était ce qui se rapprochait le plus de la confiance qu’elle pouvait accorder, pour le moment.
Elle se tiendrait cependant sur ses gardes par la suite, même s’il ne semblait pas vouloir la tuer à l’instant malgré ce qu’il disait.
La suite du spectacle la laisse sans voix. Il semble arracher un pan de ses vêtements. Mais ce ne semble pas être du tissu lambda. C’était… Inexplicable. Le regard d’émeraude d’Ankhy observe avec une fascination mêlée d’horreur le spectacle sous ses yeux. Elle n’éprouve pas de répulsion, à proprement parler. C’est la curiosité qui l’emporte. Cela fait si longtemps qu’elle était confinée qu’elle en avait oublié les spectacles étranges du monde quotidien. Même si, dans ce cas précis, le spectacle n’était pas forcément très commun au quotidien.
Elle ne pose pas de question. Elle l’écoute. Sage et docile. Pourtant, ce n’est pas son habitude. D’ordinaire, elle est plutôt résignée que proprement soumise aux ordres. Et, tout en hochant la tête pour montrer qu’elle comprenait ce qu’il lui disait -même si ça ne lui plaisait pas forcément, son regard dévia vers les bras mis à nus. Elle ne s’était pas trompée. C’était définitivement un homme, et plutôt costaud en plus. Dommage qu’elle ne voit pas son visage, son regard, ses expressions.
Finalement, elle repose les yeux sur cette sorte de membrane qui semble vivante. L’idée de porter cette pellicule noire et frémissante ne l’enchante pas, non. Mais il le fallait. Si ce qu’il disait était exact, ça lui permettrait de n’être plus autant handicapante qu’au moment présent. Elle hocha brièvement la tête, même s’il ne semblait pas avoir besoin de son assentiment.
Le contact entre sa peau et la substance qu’il appliqua sur son corps, sur son cœur, la fit frémir. C’était désagréable, oui. Gênant. Mais ça ne dura qu’un temps. La viscosité prononcée de cette « seconde peau » n’était pas ce qu’elle préférait. Cependant, entre ça ou la souffrance atroce de courir dans son état sans avoir subi de soins… Comme on dit, « entre deux maux, prenez le moindre ».
Trop occupée à s’habituer à cette sensation étrange, elle ne releva pas le « Machine » qu’il lui adressa. Elle se contenta de relever les yeux pour les plonger dans les siens. Ou ce qui semblait être les siens.
- D’accord.
Un simple mot, mais vibrant de volonté. Ses doigts valides se refermèrent sur le manche du couteau, décidés à s’en servir si le besoin s’en faisait sentir, tandis qu’elle accepta un peu maladroitement le revolver. Elle savait s’en servir. Du moins en théorie. Mais revoir les gestes nécessaires lui fit du bien. Ce serait toujours ça de pris. Elle esquissa un sourire qui lui fit mal aux lèvres, mais ne trembla pas.
- Banzaï, comme on dit ici.
Elle releva la tête juste à temps pour voir arriver dans la pièce trois hommes armés jusqu’aux dents. L’occasion de tester ses connaissances théoriques sur le maniement du revolver. Ôter la sécurité, et tirer. Le bras droit, décidé. Et le coup part. Bing. En plein dans le front du premier du trio. Pas mal. Bien visé. Elle sourit. Ce coup-ci avait un goût de vengeance. L’homme de tête était en effet un « habitué » de la demoiselle. Elle lui avait bien dit qu’elle s’occuperait de son cas. Elle regrettait juste que ça ait été si propre, net et sans bavure.
- Si on sort par le fond, il faut tourner à droite. La salle des ordinateurs, si mes souvenirs sont bons, est un peu plus loin. Ou au moins, celle qui contient l’ordinateur central du complexe.
Peut-être que ce qu’elle dit est inutile, mais elle n’a pas fini. Elle s’est replacée à l’abri du panneau de bois après avoir tiré tandis que les deux autres se sont mis à couvert.
- Je peux faire diversion. Je les connais plutôt bien. Je peux les ralentir.
Elle ne rajoute pas l’évidence. Si elle se fait tuer, il n’a qu’à prendre ce dont il avait besoin et se tirer. Si la substance qu’il vient de déposer sur son corps sait le retrouver, il n’aura même pas besoin de risquer sa peau pour revenir. Si elle survit, elle le retrouvera.
Mais pourquoi l’aide-t-elle, déjà ? Elle ne le connaît ni d’Eve, ni d’Adam. Elle pourrait chercher à se tirer, profiter de l’occasion qui lui était offerte, et le laisser se faire submerger par les troupes de son ancien amant. Mais elle ne pouvait pas. Il était, en plus, la seule chance qu’elle avait de pouvoir sortir vivante.
Levant les yeux au plafond, elle avisa des canalisations. Pas de l’eau, non. De l’air chaud. Très chaud. Un sourire reprend place sur ses lèvres, légère grimace à mi-chemin entre la satisfaction et l’inconfort. Elle lève le bras, retire la sécurité du revolver et vise.
- Je m’occupe d’eux. Allez prendre ce que vous êtes venu chercher.
Dès qu’il fait mine d’y aller, elle appuie sur la gâchette. La balle va ricocher sur le boulon qui maintient les tuyaux au plafond, avant d’aller se ficher dans celui qui est au-dessus de la porte. Le premier tuyau se déloge alors de sa place, et l’air brûlant est soufflé en plein sur les deux gardes qui venaient de re-pointer leur nez. Hurlements de douleurs. Elle se régale.
Elle attend de ne plus voir l’homme vêtu de son étrange combinaison, et se lève. La vapeur brûlante projetée par le tuyau face à l’encadrement de la porte et le trou dans celui qui est au-dessus forment un nuage de condensation. Elle semble alors être une apparition, pour ceux qui la voient. La seconde peau formée par la substance ne la gêne plus. Elle fait passer son revolver dans son autre main, avec le couteau. Puis elle marmonne un mot d’ancien égyptien en soufflant sur le rubis qui brille à son doigt, avant de reprendre le revolver en main et de garder les bras le long du corps. Son regard semble à présent liquide, et brillant de mille feux. Réactive, elle arrose d’acide les premiers qui passent le nuage d’air ardent. Sans pitié. Quand elle est sûre que les autres sont encore loin, elle recule. Elle vérifie rapidement, puis part à la suite de l’inconnu. Juste avant de passer la sortie, elle brûle les tuyaux au-dessus de l’ouverture, et se précipite droit devant.
Le fracas de l’effondrement des tuyaux, et sans doute du béton, la poursuit un instant, tandis qu’elle s’arrête devant la porte de la salle des ordinateurs. Fut un temps, elle était presque une habituée de ces lieux, accompagnant sans cesse son ancien amant « au boulot ». Elle halète. Le rubis ne brille plus tellement. Il doit contenir un quart de magie encore, sans plus.
- Si vous savez par où sortir…
Elle tient toujours les armes. Le revolver pointé vers le sol, par sécurité. Elle se sent presque « normale ».