Les quatre femmes grimacèrent à l'entente des cris de guerre des créatures. Elles avaient bien vus avant de se faufiler dans le trou : ils étaient pratiquement toute une armée, en train de tambouriner contre la porte de bois noir, et ils allaient probablement leur tomber dessus bien plus vite qu'il ne le fallait. Les tengus n'eurent pas d'autre choix que de prendre sous leurs ailes les deux voyageuses, au sens pratique du terme : les corps de Magikya et Meslya furent vite entre les épaisses serres des deux guerrières, comme des proies entre les pattes d'oiseaux féroces. La pression n'était cependant pas vive, les demi-déesses s’efforçaient de faire attention.
Mais pas trop tout de même, vu ce qu'il y avait comme peuple en-dessous... elles frôlaient presque le plafond en s'échappant, pour éviter le pire.
Les cris des gobelins continuait de résonner contre les parois creusées dans la roche.
- Ne pourraient-ils pas vouloir nous achever en silence... ça serait bien plus agréable pour tout le monde, grogna Ukiyoe.
- Mais après tout, c'est chez eux ici, ils font bien ce qu'ils veulent, répondit sa camarade.
- ...Pas faux. Vous allez bien, en bas ?
La tengu n'attendit pas de réponse pour continuer :
- La circonférence du tunnel commence à diminuer, on ne pourra bientôt plus y voler. Dés que l'on se pose, vous restez en retrait et assurez nos arrières. Nous vous guiderons.
La cavité ne tarda pas à être bien trop étroite. L'atterrissage ne se fit pas en douceur : Magikya et Meslya furent lâchées à un mètre du sol, ayant à peine le temps de se réceptionner. Les tengus atterrirent quelques mètres plus loin, laissant le temps d'une brève conversation discrète.
- Sérieusement, vous connaissez vraiment le chemin pour sortir d'ici ?
- Oh, ma chère Ebolia...
Les lèvres de Ukiyoe s'étirèrent en un petit sourire. Indicatif de sa vantardise et de son courage, cette expression indiquait que cette femme n'aurait jamais baissé les bras devant aucun défi. Sa compagne sourit à son tour, connaissant déjà la réponse
- ...Bien sûr que non.
- Il me semblait bien.Mais croyez-vous que ces humaines aiment autant les challenges que nous ?
- J'ai l'impression qu'elles sont un peu différentes de la plupart des bras cassés qui se sont perdus dans la Forêt. Celle aux cheveux couleur d'eau, en particulier... elle est magicienne, c'est intéressant.
Ebolia regarda sa supérieure d'un air perplexe, mais ne rajouta rien. Elles arrivaient en effet à un pont biscornue qu'il fut difficile d'emprunter sans douter de sa capacité à supporter plus d'une personne. L'éboulement qui suivit peu après finit de convaincre que si elles ne finissaient pas dans le ventre des orques, elles finiraient étouffées sous les décombres. Néanmoins, les tengus s'inquiétaient très peu, contrairement aux deux humaines, qui elles n'étaient pas noyés dans une classique et raciale vantardise et suffisance, comme les deux déesses mineures qui étaient devant elles. Sans doute qu'elles auraient donc pu avoir de meilleurs guides.
- Ah, ce couloir est un peu plus large, finit par constater Ebolia, après une heure de marche et de pur silence.
- On en aura besoin en cas de combat. D'ailleurs, déclara-elle en se tournant vers celles qu'elle "guidait", autant vous prévenir que l'on n'évitera pas ça. Préparez-vous.
Les cris des guerriers résonnaient en effet à l'autre bout du tunnel et les orques et gobelins se matérialisaient peu à peu en une marée verte et marron, infatigable. Ukiyoe sortit sa lame, ou plutôt ses lames - deux katanas de qualité, armes d'exception dans sa panoplie. Quant à Ebolia, elle transportait une hache de taille moyenne et la sortit de son dos.
Malheureusement, elles étaient très peu organisées, et ce fut sans doute cela qui les menèrent à leur perte. Les tengus se battaient avec la dextérité qui leur étaient propres, Ebolia semblait même prendre plaisir à s'accorder avec Meslya car leurs styles de combat étaient proches. Mais le nombre de créatures eut le dessus, comme souvent dans des batailles contre eux : le combat rapproché n'était jamais la meilleure option, mais elles n'avaient pas eu le choix.
Après une vingtaine d'orques abattus, Ukiyoe finit par se faire saisir. Ebolia anéantit le responsable, mais elle fut ensuite elle-même prise en traître par un orque particulièrement imposant. Il n'en fallut pas plus pour qu'elles se retrouvent...
- ... à leurs merci, grommela la blonde guerrière pendant que les créatures les emmenaient vers leur maître. Bon Dieu, mais qu'est-ce qu'on a branlé, au juste ?
- C'que vous avez branlé, j'sais pas, mais c'que vous allez branler, j'peux te le confier si tu veux...
L'orque qui avait parlé reçut pour toute réponse un coup de serre dans l'entre-jambe, alors qu'il tentait de s'approcher de la poitrine de la tengu, découverte par le combat : on avait pris soin de déchirer ses vêtements dans la bataille.
- Toi, tu la fermes, ou je te les broie la prochaine fois...
- C'est ça, répondit la bestiole en se tenant les parties, je t'ai à l’œil, toi... oh, oui...
Il ricana, bien conscient de sa position de force. Folle de rage, Ebolia se tourna vers sa supérieure, elle aussi occupée à chasser quelques gobelins qui tentaient de lui arracher sa jupe.
- Hime...
- Ne t'inquiètes pas, Ebolia, la coupa la brune. Ces créatures ne sont pas très malignes. On s'en sortira d'une façon ou d'une autre.
- N- Je ne m'inquiète pas. Vous m'avez prise pour une faible ?!
La Princesse ne répondit rien, et secoua ses ailes pour faire lâcher prise à ses petits assaillants. Elle observa ensuite les humaines elles aussi prises au piège, et donna un coup de coude à Magikya, qui était la plus prés.
- Je n'y connais rien en magie, chuchota-elle à l'oreille de la sorcière, mais si tu pouvais nous préparer un sort pour défaire ces liens ou au moins leur maraver la tête, ça nous arrangerais... combien de temps il te faut pour recharger tes réserves ?
Ce n'était pas de bon cœur que la tengu demandait cela, mais il y avait des situations où la fierté devait être mise un peu de côté. Ebolia ne le comprendrait jamais, mais c'était ainsi.