Ce type avait réagi très calmement. Il avait tenté d'arracher les chaînes du destin, mais tu ne croyais pas une seconde que ce type était tout à fait normal. Réagir aussi calmement devant un corps, ça demandait soit un sang froid incomparable soit une certaine habitude. La voix si calme qu'il avait employé pour te répondre, cette attitude très calme et mesurée t'arracha un sourire. Tu le sentais, ce type était habitué à se trouver dans des situations dangereuses. Tu percevais à peine une petite goutte de sueur perler sur sa tempe à la lumière de ta lampe, et ce détail même était signifiant à tes yeux. Même toi, habitué à devoir survivre depuis deux ans, tu avais toujours cette petite goutte de sueur lorsqu'on te braquait. Par mesure de précaution, tu avais activé l'Oeil Gardien. La lumière bleutée fendue en son milieu qui s'alluma à quelques centimètres de la lumière de la torche ? C'était ton oeil.
Réaction rouge confirmée. Toute l'enveloppe corporelle de l'homme en face de toi te paraissait rouge, mais pas d'un rouge total comme quelqu'un qui en aurait après ta peau. Quelqu'un qui n'hésiterait pas à te mettre hors d'état de nuire si jamais il était en danger, voilà ce qu'il en était de lui. Tu faisais le lien rapidement : tant que tu le braquerais, il continuerait à dégager cette forme rouge sur ton Oeil Gardien. Il prit enfin la parole pour se présenter.
-Tu peux m'appeler Make.
-Make, hein... Lyan Rose. Procureur général, chargé de Seikusu et de ses alentours.
Tu ressentais la forme rouge varier d'intensité au fur et à mesure que le silence s'installait. Sans doute pensait-il à différentes options, que tu pouvais envisager toi aussi. Si tu ne baissais pas ton Beretta, il n'hésiterait pas à te désarmer et peut-être même utiliser l'un de tes précieux Beretta contre toi. Cependant, si tu restais hors de portée de lui, il avait toutes les chances de rester sur le carreau. L'enveloppe rouge disparut intégralement à un moment, avant de redevenir à moitié rouge. Tu savais à peu près ce qui lui avait traversé l'esprit : ce que tu nommais l'art de négocier. En clair, tu rangeais ton arme et vus discutez des évènements. Une idée te vint directement. Tu en perdis le fil avant de pouvoir la développer totalement. Le dénommé Make s'était rapproché de toi, et avait repris la parole.
-Je suis juste un gars qui passait par là et qui n’a envie que de retourner chez lui pour se foutre au lit. J’ai eu une sale journée et j’espère en finir au plus tôt.
Tu ne fis aucun commentaire. L'enveloppe rouge autour de l'homme en face de toi commençait à osciller : il ne se considérait pas comme une menace pour toi du moment que tu n'étais pas une menace pour lui, et sa conscience oscillait entre les deux alternatives qui se proposaient. Tout dépendait de toi maintenant. L'air faussement amical ne pouvait pas te tromper, mais cet oscillation te donnait mal au crâne. La lumière de ton oeil s'estompa : tu avais désactivé l'Oeil Gardien. D'un appui du petit doigt, tu éteignis la lampe torche. Elle était surtout là pour signaler ta présence. Tu étais parfaitement nyctalope, après tout. Tu n'en avais pas besoin. Il avançait encore, en essayant de garder son calme. La bouche de Make s'ouvrit, et tu trouvas le timing tout à fait adapté pour mettre ton idée à exécution.
-Regarde ce qu’on va faire, tu vas ranger ton arme, et là on va pouvoir discuter. J’ai l’impression que notre relation a débutée sur un bien mauvais pied, je ne voudrais pas qu’il se passe quelque chose de fâcheux ce soir. Il y a déjà assez d’un mort ici. Alors… on est cool ?
-Hmph.
Ce petit bruit condescendant sortit de ta gorge par réflexe tandis que tu rangeais le Beretta dans ta poche intérieure. Tu jaugeais le type en face de toi. Le ton qu'il avait eu sur la fin de sa phrase t'inquiétait légèrement. L'espace d'une seconde, la lumière bleutée s'était rallumée. Comme tu le pensais, c'était une réaction totalement rouge qui était apparue. Quand il parlait de ne pas vouloir faire deux morts en une soirée dans une seule ruelle, il ne parlait pas de son cadavre : c'est bien de ta personne dont il s'agissait. Elle s'estompa progressivement lorsqu'il vit que ta main était rangée dans la poche de ton pantalon. Tes yeux étaient restés écarquillés, même après désactivation de l'Oeil Gardien.
Ce type était dangereux. Bien plus que ce que tu pensais. Une réaction totalement rouge signifiait que la personne en face de toi était dangereuse pour deux raisons : première raison, elle avait la volonté de causer ta perte. Deuxième raison, elle avait largement les moyens de la causer. Ce type n'était pas le passant qui passait par ici par inadvertance et qui découvrait un cadavre, comme ça.Ton épaule droite tremblait un peu. Tu avais envie de tourner les talons, mais tu devais mettre ton plan à exécution. C'est ainsi qu'un petit sourire dansa sur tes lèvres tandis que tu prenais le temps de faire un minuscule monologue.
-Écoute... Make, c'est ça ? Le coup du passant banal qui n'a rien à voir avec cette affaire, je n'y crois pas une seconde. J'ai mes raisons de le penser, mais même si tu n'as rien à voir avec cette affaire tu trempes dans quelque chose de louche. Ca se voit clairement pour quelqu'un ayant mes facultés et mon expérience. Je te laisse le bénéfice du doute, mais tu es clairement louche. Je te propose quelque chose : quitte à discuter des choses, autant regarder cette affaire de plus près tous les deux. Je te propose de te laisser partir à la condition que tu m'expliques certains détails lors de mon enquête. si tu n'acceptes pas cette condition, il faudra moins d'une minute aux flics pour se pointer et t'embarquer en tant que suspect.
Ton plan était simple : gagner la confiance de ce type en étudiant cette affaire avec lui, puis deux options s'offraient à toi : soit tu le descendais juste derrière, soit tu utilisais le code d'urgence des flics pour qu'ils arrivent direct. Si ce plan ne marchait pas, tu n'aurais plus qu'une seule solution : le descendre. Et ça, tu ne pouvais t'y résoudre avant d'avoir commencé à étudier l'affaire en elle-même. Ce type était la seule personne près du cadavre, soit. Ca n'en faisait pas le coupable, tu le savais clairement. Tu t’avanças, sortis la main de ta poche et la tendis vers Make. Depuis la nuit des temps, la poignée de main était le signe qu'on acceptait un contrat.
-Alors, cette proposition ?
Tu n'aurais aucun remords si la poignée de main venait à se faire : tu remplirais ta part du contrat en le laissant partir, mais rien ne t'empêchait de le descendre ou de le faire arrêter une fois qu'il serait parti.