Lorsqu’il arrêta sa voiture, il constata, avec un certain soulagement, que la pluie avait cessé. Le temps était morose ce soir. Des nuages lourds rôdaient dans un ciel qui, du coup, en devenait assez grisâtre. Il ouvrit la voiture, sans tenir compte des flashs, des bruits, des questions, se contentant de fixer le ciel en claquant sa portière.
*Espérons que la flotte ne retombera pas rapidement...*
L’homme posa nonchalamment une main sur son menton. Il s’était rasé, et trouvait définitivement qu’un menton imberbe lui allait bien mieux. Il s’avança lentement, sans tenir compte des questions des journalistes qui hurlaient dans ses oreilles. Nathan rejoignait le terrain vague où un cordon de sécurité jaunâtre interdisait aux gens d’accéder. Il passa sous le cordon, montrant distraitement sa carte à l’un des agents de ponton, et s’avança sur le terrain vague. Il se situait le long de l’un des rails menant à la gare, sous un panneau publicitaire vantant les mérites d’une nouvelle gamme d’écrans plats. Nathan avait porté un manteau pour se protéger en cas de pluie, et vit que la plupart de ses collègues portaient des parapluies. Ils étaient regroupés sous le pont qui passait au-dessus de ce petit terrain d’herbes hautes et de détritus.
Nathan rejoignit les autres inspecteurs.
« Qu’est-ce que tu fous là, Nathan ?! » s’exclama un flic en le voyant.
Manien... Nathan serra les dents, se forçant à ne pas le frapper, et tourna sa tête vers lui. De petites bourrasques faisaient remuer les cheveux de l’Américain. Manien était un teigneux, un inspecteur qui était appelé à gagner des galons, et qui avait réussi plusieurs enquêtes. Il avait pris en grippe Nathan, soit parce que ce dernier était un Américain, soit parce qu’il estimait que cet alcoolique notoire déshonorait l’uniforme et les rangs de la police. C’était, dans le fond, une attitude assez curieuse, car Nathan devait bien être l’un des rares flics de Seikusu à ne pas avoir été corrompu par les Yakuzas.
« Le chef trouve que l’enquête piétine, et m’a nommé pour former une seconde enquête.
- C’est quoi, ces conneries ? explosa Manien.
- Tu n’auras qu’à lui en parler quand tu le verras. Où est le cadavre ? »
Interloqué, Manien ne sut pas quoi répondre. Nathan n’avait pas une très bonne réputation au sein de la police, et n’avait été accepté au département de Seikusu que pour ses excellents états de service. Il était en train de faire une dépression, mais refusait de prendre un congé. Partant de là, on ne lui confiait généralement que des enquêtes insignifiantes. Sa femme était une psychopathe notoire, et c’était avant tout pour espérer la retrouver qu’il restait dans les forces de police. Cependant, la passion n’était plus là. Nathan n’était pas vieux, mais il se faisait à chaque fois l’impression d’un vieux flic bedonnant ayant dépassé la cinquantaine, et qui fixait d’un air désintéressé les meurtres qui s’enchaînaient, les enquêtes qui s’empilaient sur son bureau. Quand on passait d’une délicieuse maison avec une femme attirante à un studio minable et décrépi près du métro aérien, il y avait de quoi perdre bien de ses illusions.
Le chef lui avait parlé il y a trois heures, pour lui expliquer qu’il ressortait d’une réunion importante, et dans laquelle l’absence de progressions sur l’enquête du Vampire lui avait valu quelques réprimandes. Ses supérieurs voulaient des résultats, et les journalistes ne cessaient de critiquer l’action policière. Le Vampire narguait la police depuis plusieurs mois, et l’enquête n’avançait pas vraiment. Partant de là, il avait décidé d’augmenter les effectifs liés à l’enquête sur ce tueur en série qui ridiculisait la police.
« On m’a dit que vous étiez un bon flic d’investigation, lui avait sorti le capitaine. Autant vous le dire d’emblée, vous êtes sur un siège éjectable. »
Au moins, le capitaine était honnête. Il avait expliqué à Nathan que beaucoup de ses collègues voulaient le voir virer, et que sa réputation d’alcoolique n’allait pas l’aider. En somme, Nathan allait devoir se surpasser, en reprenant l’enquête depuis le début. Une telle situation ne pouvait pas faire plaisir à Manien. Ce dernier bossait depuis des semaines sur le Vampire. Nathan n’allait pas pouvoir compter sur lui pour obtenir de l’aide, mais ça ne le dérangeait pas vraiment... Ce n’était pas comme s’il s’était attendu à ce que Manien l’aide.
« Où sont les cadavres ?
- Utilise tes yeux. Ta collègue est déjà là. »
Manien s’écarta alors, et Nathan ne daigna même pas le regarder partir. Il s’avança alors vers les autres policiers. Le capitaine lui avait accessoirement dit qu’il bosserait avec quelqu’un d’autre. Une femme qui n’était également pas très appréciée par les autres collègues, d’après ce qu’il avait compris. Nathan avait plutôt pour habitude de bosser seul, et cette femme aussi. Ils étaient donc logiquement faits pour s’entendre.
*Quelle joie...*
Les deux corps étaient sous le pont, et on n’avait pas encore envoyé les housses. La scène de crime était relativement fraîche. Il n’y avait aucune trace de sang, et deux petits trous dans la gorge de chacune des deux victimes. La police avait surnommé ce serial killer le Vampireen raison de l’absence de sang sur les corps, et des deux trous. Outre ces quelques détails, les corps étaient généralement dans un triste état, et les deux corps présents ne feraient pas exception. Il s’agissait d’un couple d’étudiants qui avaient été déposés là... Ou tués ici. L’absence de sang rendait difficile de savoir si les corps avaient été tués ici, ou ailleurs. Les cadavres étaient complètement desséchés, car il n’y avait plus une seule goutte de sang dans leurs veines.
Le premier meurtre du Vampire avait été dans le parc. Un sportif qu’on avait retrouvé dans les buissons, nu, ouvert en deux, mais sans aucune trace de sang. On avait éclaté ses organes avec des griffes, arraché son cœur, mais il n’y avait eu aucune trace de sang... Comme si le tueur avait bu tout le sang des corps.
Nathan vit une femme agenouillée devant les corps, et supposa qu’il devait s’agir de sa coéquipière. Mains dans les poches, il lâcha alors, comme pour se présenter :
« Des indices ? »