Le vent, lugubre, souffle sa complainte aux oreilles de Mascotte. D’abord, il n’est qu’un murmure, il semble loin de la créature. Puis il s’approche d’elle de bourrasques en rafales. Maintenant, Mascotte le sent sur lui. C’est comme une froide caresse née des caprices du temps. Le vent redouble de vigueur. Il hurle plus qu’il chante. Et la créature frissonne. La tiédeur de l’inconscience se défait comme une vieille toile usée. Malgré son pelage, la sensation de froid s’insinue en lui. Elle l’attire toujours d’avantage vers cette tumultueuse réalité. Elle lui fait prendre conscience de son corps. Une tête, deux bras, deux jambes… il est allongé sur le dos et maintenant, il grelotte. Il respire aussi. Il sent cet air glacé dans sa bouche, dans sa gorge, dans ses poumons ; il sent cet air qui chasse la chaleur jusqu’au plus profond de son être. Il a froid, même de l’intérieur, mais il ne bouge pas, pas encore.
Mascotte voit, à travers ses paupières closes, un flash vif. Il devine que c’est un éclair qui vient de zébrer le ciel. Le coup de tonnerre qui s’en suit lui donne raison. Il est si fort, si proche, comme un déchirement, tout tremble. Puis vient la première goûte. Elle est grosse, froide comme tout le reste. Elle tombe sur le front de la créature puis glisse au gré des reliefs de son visage frémissant. On entend encore le coup de tonerre rouler de plus en plus loin, de plus en plus sourd. Le vent l’étouffe et, comme vexé d’avoir été surpassé, il se déchaine de plus bel. Ce n’est pas un orage qui s’annonce, c’est une tempête, un cyclone. Encore un éclair, plus lointain celui-là. La tourmente rivalise. Encore une goûte. Mascotte l’a reçu sur sa poitrine nue et agitée d’une respiration saccadée.
Encore un éclair, puis un autre. Ce n’est plus près de s’arrêter. Les cieux rugissent et s’illuminent en un grandiose spectacle, un sons et lumières digne des dieux. La fureur de mère nature est toute proche. Elle s’avance à grands pas. Déjà, il est trop tard pour espérer lui échapper. Mascotte n’a pas l’idée d’essayer. Il n’a pas ouvert les yeux. Il n’a pas bougé. Pourquoi en serait-il autrement ? La curiosité, quand même, s’empare de lui. Il ne se demande pas qui il est, il le sait. Ce qu’il ignore, c’est comment il le sait. Car pour lui, cet instant est le premier. Toutefois, sa présente question est plus simple : "où suis-je ?" Alors il cherche à soulever ses paupières si lourdes. Est-ce le froid qui l’engourdit ainsi ? Il persiste. Maintenant, il voit. Il voit des branches sans feuilles, comme des os, s’agiter en ombre chinoise face à la foudre violacée. Et, au-dessus, il y a ce ciel si bas, si sombre, si électrique. Fait-il nuit ou les nuages sont-il si épais pour que les ténèbres soient si opaques ? Pour voir, il n’y a que les éclairs mais ils sont légion.
Mascotte tourne la tête à gauche, puis à droite. L’arbre mort qui le domine semble seul au cœur d’une vaste zone désolée. Il y devine la rocaille mêlée d’herbes hautes battues par le vent. Les Contrées du Chaos… Terra… voilà, il sait où il est. Comment le sait-il ? Toujours la même énigme. Est-il amnésique ? A-t-il oublié son passé pour croire que c’est la première fois qu’il ouvre les yeux sur le monde ? Non. Il en a l’intime conviction, c’est écrit en lui : il n’a pas pu oublier ce qu’il n’a jamais eu ; avant, c’était le néant. Il ignore comment, il ignore qui en a été capable, mais on l’a créé, comme un objet. Et s’il sait ça, pourquoi s’étonnerait-il de savoir d’autres choses ? C’est en lui, voilà tout.
Un nouveau bruit arrive, véritable tumulte au galop. Au début, la créature pense que le vent se gonfle d’orgueil. Mais c’est la pluie qui fond sur elle avec une intensité effrayante. Quand elle le réalise, elle est déjà trempée jusqu’aux os. Le froid n’en est que plus mordant, mais Mascotte, qui claque des dents, trouve au fond que ce n’est pas si déplaisant. Il est peut-être temps de se lever ? Il est curieux maintenant de se regarder, de se découvrir, même s’il sait déjà ce qu’il va voir. Il commence à remuer, mais arrive alors un flash plus violent que les autres. Le bruit est simultané. Le voilà aveuglé ; le voilà assourdit. Il se sent projeté en l’air avant de retomber sur un sol maintenant inégal. Face contre pierre, renversé, il met quelques secondes à revenir à lui. Le choc a été rude, un vrai plaisir. Tant bien que mal, il se redresse puis il se tourne. Face à lui, l’arbre mort a été fendu en deux et il brûle de vives flammes.
Au pied de l’arbre foudroyé se trouve un petit hôtel de pierre. C’était là, forcément, que la créature se trouvait avant d’être balayée. Et au pied de cet hôtel, un sac de toile. Mascotte s’approche. A la lueur du feu, il pose sa main griffue sur l’hôtel. Son berceau ? Il soupire ; il se baisse et prend le sac ; puis, il s’en va….