Last Ride of the Day

La Terre. La ville de Seikusu était un endroit calme, à sa façon. Bien plus que Nexus, qui grouillait d'une civilisation tellement hétéroclite que, bien qu'elle y soit née, Isabel en avait parfois le vertige. L'ancienne noble avait décidé de rester quelques jours sur Terre afin d'y souffler un peu.

Du feu, bien entendu...

Installée sur une place près du centre commercial, Cendréa s'était installée. Son sac contre un mur, elle s'était d'abord adonnée à un exercice de jonglage, pour s'échauffer en cette fin de journée. Pour capter son auditoire. Les choses sérieuses allaient commencer, alors que le jour décline pour laisser place aux tendres ténèbres, si nécessaires à Isabel. Sous les yeux extasiés du petit groupe, Cendréa alluma trois torches, après avoir vérifié que sa ceinture était solidement attaché. Nouvel exercice de jonglerie, plus impressionnant. Mais Isabel maîtrise. Son regard reste concentré sur ce qu'elle fait, ignorant presque son public. S'ils n'étaient pas assez intelligents pour garder leurs distance, ce n'était pas son problème.

Très vite, elle ne jongle plus qu'avec la main gauche. De la main droite, elle attrape une fiole de sa ceinture, boit le contenu. Et sans crier gare, Cendréa crache que les trois torches qu'elle a réunies dans sa main. Elle entendit la foule pousser un un cri étouffé. Cendréa salue d'une courbette, avant d'éteindre une de ses torches.

Cette fois, elle risque de tricher un peu. Elle boit encore une fiole complète, garde les joues gonflées. Telle une majorette, elle fait passer le bâton de la torche entre ses doigts. Dans son regard, une autre flamme brille, tandis qu'elle finit par cracher, par accoup, l'alcool dans sa bouche, créant un cercle autour de sa main, qui déclenche quelques applaudissements timides. Enfin. Et Isabel ne s'arrêtera pas là. Elle enchainera les morceaux, spectaculaires. Elle fera parfois appel à son pouvoir, sa malédiction, pour rendre le spectacle encore plus incroyable.

Les applaudissements fusent, quand le feu est éteint. Comme si les gens étaient enfin rassurés et se permettaient cet éclat de joie. Cendréa eut un sourire pour eux, un peu froid, et les premières pièces tombèrent dans la casquette prévue à cet effet. La cracheuse de feu ramassa son matériel, dans une sorte de grand sac de sport d'un marron dépassé, poussiéreux. Cendréa se demandait déjà ce qu'elle allait faire de sa soirée... Peut-être se produire ailleurs, toute la nuit, à travers la ville ? Juste pour le plaisir de s'épuiser, pour ne pas penser, et oublier...

Allongé sur son lit les yeux grand ouvert, Nicolas fixait le plafond de son appartement. Cela faisait maintenant des mois que ce cirque se répétait. Ne pas bouger, ne penser à rien, ne pas l’entendre…
C’était le seul moyen qu’il avait trouvé pour rendre le quotidien moins détestable,  pour s’évader un peu et fuir ses problèmes. Quelle utopie de sa part. Comme si les problèmes pouvaient se résoudre comme cela.

Tes désirs t’ont dévoré.*

Depuis combien de temps était-il devenu l’avatar d’un monstre ? Aucune idée, pour lui c’était comme s’il n’avait jamais rien connu d’autre.  Ses paupières se clore lentement et il se sentit un peu partir. Effrayé il sursauta et se redressa, une goutte de sueur coulant sur son front et un sourire aux lèvres. Cela commençait toujours comme ça.
On veut se reposer un peu, on a l’impression de fermer les paupières quelques minutes et on se réveille chez soi avec une veste qui ressemble à un tablier de boucher.

* Ton orgueil t’a trompé. *

S’asseyant  sur l’un des rebords du lit il se surprit à se souvenir du temps, pourtant pas si lointain, où il pensait que le démon pouvait encore lui obéir et qu’il allait pouvoir le maitriser puisque ce corps était le sien. Même si les signes étaient contre lui, que tout se liguait pour lui montrer qu’il n’y arriverait pas, il continuait de croire en la possibilité de garder le pouvoir du démon sans le démon lui-même. Doux rêve.

* Ta volonté s’est brisée*

Il se sentit de nouveau partir au pays de Morphée. S’il restait ici, il avait de bonne chance que cela recommence encore et encore jusqu’à ce qu’il cède.
Ne réfléchissant pas davantage il sortit de son appartement et se dirigea vers les rues les plus animées de la ville. A ce train-là il ne changerait bientôt plus de vêtements.

* Et maintenant, te voilà annihilé*

Déambulant dans les rues comme un zombie, poursuivant la moindre lueur lui permettant de résister un peu au sommeil il chantonnait. Comme à chaque fois, plus il avançait et plus la fatigue l’envahissait, le privant peu à peu du reste de la volonté combative qui l’animait.
Son ego s’émiettait lentement dans cette marche insensée.

« Starshine…never gonna find me… »

Un point lumineux attira son attention, s’élevant dans le ciel. Puis un second s’élevant aussi et redescendant. C’était la première chose, hormis le string de cette inconnue, qui avait véritablement attiré son attention depuis sa sortie.
Se rendant plus près il assista à la fois dubitatif et contemplatif au spectacle de la jeune femme, à la fois pyromane et jongleuse, elle semblait maitriser son numéro à la perfection.

Nicolas n’était pas un fervent amateur des spectacles de rues, il n’était jamais totalement à l’aise avec des inconnues dans les rues. Néanmoins, force était d’admettre que ce numéro captait son attention. Plus étonnant encore, ce n’était pas la fille qui captait son attention mais bel et bien le numéro. Les flammes qui virevoltaient lui faisaient un drôle d’effet, revigorant, enivrant, exaltant.
Déjà le numéro se finissait et l’envoutement retombait.

Il fallait maintenant partir et trouver autre chose. Se retournant il voyait que la plupart des animations s’étaient finis depuis un moment et que les badauds s’en allaient.
C’était normal à cette heure même les fêtards allaient se coucher.
Fouillant ses poches il sortit son portefeuille et trouva un peu d’argent qu’il mit dans une poche de son jean avant de se diriger vers la jongleuse qui rangeait ses affaires visiblement perdues dans ses pensées. Il s’approcha d’elle et se racla la gorge. Rien.
 Il le fit une seconde fois souhaitant que cette fois cela attire son attention.

« Votre spectacle était vraiment envoutant. J’ai rarement vu quelqu’un jongler aussi bien, à tel point que je suis venu vous demander de recommencer…bien sur j’ai de quoi vous payer si vous acceptez. »

Cendréa avait ramassé ses affaires, et après un regard sur la voûte du ciel étoilé, elle était prête à repartir, au hasard des routes. Cependant, quelqu'un l'interpela. Quand Isabel se retourna, ce fut pour se retrouver face à un jeune homme. Il n'avait pas très bonne mine, il semblait fatigué. Et il lui demanda de recommencer. C'était surprenant, en réalité, au point que Cendréa ne sut pas s'il se moquait d'elle ou s'il était sérieux. Elle resta un moment immobile, à simplement le fixer dans les yeux. Puis, elle haussa les épaules, et eut un sourire courtois en coin.


"Vous n'aurez qu'à me payer un verre si le spectacle vous plait."


Non, elle ne lui faisait pas de rentre dedans. Isabel préférait juste qu'on lui offre quelque chose d'utile plutôt que de l'argent qu'elle finirait par donner à d'autres qui en avaient besoin. Elle ressortit une torche, qu'elle enflamma au deux bouts. Telle une majorette, elle commença à le faire tournoyer, le lança. Une seconde torche vint rejoindre la première. Bien entendu, Cendréa faisait parfois appel à son pouvoir pour faire danser les flammes de façon un peu surnaturelle, juste pour captiver son public - restreint, peut-être, mais quelques badauds étaient revenus, et se tenaient en retrait.


Cela n'empêche pas la jeune femme de faire une pause, le temps de stocker dans ses joues une fiole d'alcool, qu'elle crachait parfois quand les torches passaient face à ses lèvres. Les flammes dansaient, comme la jongleuse par moment. Ce nouveau spectacle dura vingt bonnes minutes, et Isabel le finit par une révérence pour Nicolas. Derrière lui, le public applaudit, et la jeune femme les salue à leur tour. Quelques nouvelles pièces gagnent le sol, et elle ne les ramassera qu'une fois son matériel soigneusement rangé. Relevant la tête par moment, Cendréa regardait le jeune homme et lui demanda :


"Alors, ce spectacle vaut-il un verre ?"

Rien. Le néant. Son esprit s’était envolé dans un endroit hors d’atteinte et il regardait, à nouveau, le spectacle tel un zombie.
Levant et baissant la tête au gré des gestes de Cendréa il se sentait comme un pantin de bois dont les torches guidaient les mouvements, une simple marionnette dominée par une force inconnue et puissante.
Hypnotisé, il ne se rendait pas compte qu’il était largement plus près des flammes que n’importe qui d’autre dans le public. C’était presque s’il se trouvait devant Cendréa, son visage ne trahissant aucune émotion si ce n’est l’intérêt  des flammes.
Un bref instant il s’interrogea sur cet engouement soudain pour le feu, qu’est ce qui l’intriguait tant dans ces flammes ? Leurs puissances ? Leurs éclats ? Leurs natures mystiques et élémentaires ?
Il n’en avait aucune idée, cependant il savait d’instinct que ces flammes avaient une chose unique. 

Avec  la fin du spectacle son esprit absorbé par le brasier volant lui revint, il put ainsi se rendre compte qu’il n’était désormais plus qu’à un pas de la jeune femme.
Il prenait doucement conscience des évènements qui venaient de se produire à la manière d’un film se déroulant lentement dans sa tête, cette fois il était bon pour l’asile à n’en plus douteur.
Cendréa s’approcha et l’interrogea sur le spectacle. Celui-ci était-il à son gout ?

« J’étais vraiment conquis, presque hypnotisé – Finit-il par répondre après avoir un moment été pris de court. – Je t’inviterais avec joie prendre un verre, tu le mérite bien après ce spectacle à couper le souffle ! »

Reprenant peu à peu ses moyens il la laissa prendre ses affaires avant de l’entrainer dans le dédale de rue de la citée.

« Je connais une boite pas très loin d’ici, il serve de très bonne chose. Un poil cher mais vraiment excellent et puis surtout l’ambiance y est assez festive. Cela te tente ? »

Isabel n'avait même pas fait attention au fait que Nicolas se soit autant rapproché. Elle faisait attention, normalement, et s'éloignait même, mais il fallait croire qu'elle s'était elle même laissée envouter par ses flammes. Les mots du spectateur, conquis, ravivèrent l'égo de la jeune femme quant à ses capacités. C'est donc avec l'ombre d'un sourire qu'elle hocha la tête pour lui signifier qu'elle acceptait son invitation.


Bon sang, elle n'avait même pas 25 ans, et ne pensait que trop rarement à s'amuser. Isabel déposa son sac imposant à la consigne, avec la veste qui lui couvrait les épaules, gardant un simple débardeur au dessus de son jean noirci par endroits. Elle n'était pas très soigneuse, mais elle était encore moins matérialiste, tant que ça ne concernait pas ses instruments de jonglage... Son regard noir accompagna quelques recommandations à celle qui tenait le vestiaire, lui indiquant de prendre plus soin de ce sac que de sa manucure. Cendréa hurlerait si quoi que ce soit se retrouvait abimé.


La boîte était déjà pleine à craquer, de gens qui riaient, qui parlaient, qui dansaient. La musique, ennivrante et puissante, décidait de la vitesse à laquelle battait le sang de la jeune femme dans ses veines. Elle entraina Nicolas jusqu'au bar, où elle commanda un simple coca. Bien malgré elle, Isabel commençait à remuer avec le rythme, de mouvements à peine perceptibles. La foule lui était oppressante, le bruit l'angoissait, et l'air était saturé d'odeurs qui lui donneraient presque la nausée. Pourtant, elle ne comptait pas partir. Isabel voulait fermer les yeux, et juste se laisser aller, se détendre. Elle voulait étirer ses doigts, et jouer avec ce feu qui ne la brulait pas, mais si c'était quelque qui la détendait, c'était aussi quelque chose qu'elle s'interdisait de faire n'importe où, n'importe quand, et surtout, en présence d'autant de personnes aux réactions trop imprévisibles.


Le verre dans une main, elle regarda vers le jeune homme et lui demanda, en se penchant à son oreille pour se faire entendre :


- Alors ? Tu fais quoi dans la vie ? Tu as l'air d'être étudiant...


Elle ne s'était même pas rendue compte qu'elle était passée au tutoiement, elle qui était si à cheval sur le protocole et les bonnes manières.

Passant la porte de la boite de nuit, Nicolas ne put réprimer le petit sourire qui s'affichait sur son visage alors qu'il entendait les injonctions, sur un ton presque impérieux, de la jeune jongleuse à propos de ses affaires.
Il retint un rire malicieux, presque instinctif, lorsqu'elle fit allusion à la manucure de "Shyni", la serveuse qui s'occupait aussi de la consigne. Shyni, de son vrai nom Yumi un prénom qu'elle détestait au passage, n'était pas vraiment le genre de jeune fille qui s'occupait de sa manucure.

Elle tenait plus de l'étudiante réservée que de la fille extravertie participant à toutes les soirées, Nicolas le savait bien puisqu'elle avait été plusieurs fois son binome lors de certains TP. Cependant c'était une gentille fille et il ne put s'empêcher de lui faire un clin d'oeil en lui donnant sa veste et la remercia par avance.


B...Bien je vais mettre vos affaires par là - Elle montra un coin à l'écart - Les affaires du personnel sont là-bas."là bas, je les rangerais avec les miennes. Sur ce, amusez vous bien vous deux ! 

Laissant la serveuse derrière eux, ils se dirigèrent, Isabel en tête, vers le bar. D'un petit signe de la tête il salua le barman, il ne le connaissait pas aussi bien que Shiny, mais l'ayant croisé déjà quelquefois faisait partit de ces "connaissances" que l'on salut d'un signe entendu sans tomber dans les effusions d'amitiés telle qu'une accolade.

 Dans l'état où il se trouvait, c'est-à-dire."c'est à dire passablement à coté de la plaque", il avait intêret à commander quelque chose de fort. C'est d'ailleurs ce qu'il fit.

Tu me prépares une Pina Colada, j'en ai plus que besoin là. Bien tassée de préférence...

Fermant les yeux, il en but longue rasade pour se réveiller. La sensation brûlante de l'alcool et de l'adrénaline déferlant en lui. Parcouru par de minuscules picotements il rouvrit les yeux et émit un léger soupir.
Isable l'interrompit, lui posant une question qu'il ne fut pas certain d'avoir bien saisis. La prenant par le bras, il lui fit un signe de la tête pour l'inciter à le suivre, l'entrainant doucement en évitant de renverser son verre vers un coin plus tranquille du lieu.

Plus tranquille était évidemment relatif mais cela était suffisant pour pouvoir se parler sans avoir à hurler. Il lui demanda de répéter sa question qu'il n'avait pas pu comprendre à cause du bruit, ce qu'elle fit sans attendre.

Presque ! Pour l'instant je suis en année sabatique mais dès la fin de l'été je reprendrais mes cours.

Il avait répondu du tac au tac sans vraiment se rendre compte que, sans mentir, il omettait une partie de la vérité. Cette année n'était pas si sabatique que ça puisqu'il avait un poste d'assistant dans une école du coin, poste que son père l'avait forcer à accepter pour lui donner une idée du monde du travail.

Néanmoins il avait prit quelques congés maladie pour "Fatigue et dépression", autant dire qu'il serait mal vue qu'il se trémousse en boite de nuit dans ces conditions.
C'était aussi pour cela qu'il avait entrainé Isabel dans un coin annexe à la salle principale.
Buvant une nouvelle gorgée il se décida à son tour à en savoir plus à propos de la jongleuse.

Moi c'est Nicolas où alors Mr Ashtreim si tu veux me rendre mal à l'aise puisque je déteste les formalités. Tu fais souvent des spectacles comme ça en pleine rue? Vu ton niveau tu pourrais te faire engager n'importe où... Mais peut être que c'est déjà le cas? Tu travailles, enfin je veux dire tu vis de ça? Mais je suis tellement malpoli que j'en ai même oublier de te demander ton prénom !

Interrompant son monologue et prenant un moment pour respirer il scruta l'attitude d'Isabel, celle ci sans sembler mal à l'aise n'avait pas l'air d'être vraiment rayonnante comme elle l'était lorsqu'elle jonglait.

Allez viens je vais te montrer quelque chose

L'entrainant à nouveau il la conduisit à travers un dédale de couloirs.

Isabel avait suivi Nicolas dans un endroit à peine moins bruyant, son regard se perdait sur les gens en contre bas qui ne cessaient de bouger à un rythme presque dément. La Noble Dame d'autrefois avait aimé la précision des danses rangées, de musiques plus douces. Pourtant, la musique de la Terre avait ce don incroyable de résonner tant dans son esprit qu'il n'y avait plus de place pour autre chose. Juste l'ivresse du moment. La hauteur de l'endroit où il la menée lui permet de suivre en même temps ce que Nicolas lui dit. Elle est accoudée à une balustrade, le visage tourné vers son admirateur du soir. Elle hoche la tête, suivant ce qu'il lui dit, un sourire jouant parfois sur ses lèvres. Elle hésite avant de lui répondre, de lui donner son nom.

- On m'appelle Cendréa, dans les rues. Je travaille en solo, pour mon seul plaisir. Je ne veux pas m'attacher à quoi que ce soit, et je préfère la solitude.

En dire peu, mais assez pour ne pas s'attirer de questions supplémentaires, auxquelles elle ne répondrait pas, de toute manière. Isabel n'était pas du genre à se confier à n'importe qui, surtout au premier inconnu venu qui lui offrait un verre. Cependant, après un court instant d'hésitation, elle ajouta :

- Isabel.

Même si être appelée par son véritable prénom la mettait désormais mal à l'aise. Pourtant, Cendréa le lui avait dit, assez bas pour ne pas forcément être entendu. Et d'ailleurs, la cracheuse de feu se dit que ce fut le cas quand il l'invita à le suivre. Elle se montra un peu méfiante, et récalcitrante à le suivre... Pourtant, elle n'avait pas vraiment de raison de se méfier de lui. Au pire...

Elle se redressa, et suivit Nicolas à travers un labyrinthe de couloirs. Sa main libre était plongée dans sa poche, tenant son fidèle briquet. Ce n'était qu'une précaution, juste au cas où. Après tout, Nicolas n'était qu'un illustre inconnu, et depuis l'incendie de Manoir Griffont, elle préférait voir en caque personne un serpent potentiel envoyé par Alanaa pour finir le boulot. Cendréa ne sortait jamais sans une source de feu à alimenter.

Elle restait cependant curieuse de ce qu'il voulait lui montrer...

Traversant le labyrinthe que formait ce côté ci de la discothèque, prenant la main de Cendréa pour l'inciter à le suivre dans cet obscurité qui ne l'effrayait pas, il se remémorait ce qu'elle avait pu lui dire un peu plus tôt.
Ce n'était pas très compliqué car la jeune femme ne parlait guère. Du moins guère d'elle, elle peinait déjà à dire son nom mais Nicolas ne lui en tînt pas rigueur.
Journée compliquée, timidité ou méfiance, les raisons étaient multiples et valables.

Dans son maigre discours, on pouvait reconnaître qu'au moins elle allait à l'essentiel même si elle éludait certaines questions, répondant un peu à côté. En effet, il ne savait toujours pas si elle faisait ça en plus d'un travail quelconque ou si cela suffisait à payer ses dépenses. En vérité il avait bien du mal à imaginer que cela puisse être le cas.

* Isabel hein... ?*

Quand elle lui avait dit son prénom, elle n'avait pas semblé si enjouée que ça. Elle répondait uniquement par politesse à son interlocuteur, d'ailleurs son « vrai » nom, si Isabel était bien son vrai nom, semblait moins compter pour elle que Cendréa.  Preuve était qu'elle avait d'abord donner Cendréa comme nom pour se présenter.

 *Après tout peu m'importe...je n'aurais qu'a éviter de l’appeler par son prénom.*

Débouchant finalement sur un balcon, ils arrivèrent à l'endroit où Nicolas voulait emmener la jeune femme. Pour une profane, c'était imperceptible tellement les changements avaient été important mais cette discothèque était un ancien théâtre Britannique. Plutôt populaire à la fin de la guerre, celui ci n'avait pourtant pas survécu au nombre toujours décroissant d'européen dans la ville. Il avait été vendu pour une bouchée de pain au nouveau gérant qui avait fait une affaire, l'emplacement étant parfait pour une boite de nuit.

Des bâtiments initiaux, il ne restait que quelques loges, celles ci surplombaient la foule qui dansait frénétiquement, plusieurs mètres plus bas sur des sons de techno.
Leurs existences étaient peu connus, la partie permettant d'y accéder étant en chantier pour des rénovations et de plus il y avait un vrai dédale de couloir où l'on pouvait aisément se perdre et tourner en rond.

« Voilà, je me suis dis que cela serait plus sympa ici. Le son y est moins fort, les effets lumineux plus jolies et la vue est vraiment géniale. »

S'installant sur le rebord de la loge, contemplant la nuée qui bougeait, il finit par se caler dos au mur.

« J'ai toujours été nul pour briser la glace. » Avoua t il avec un sourire désolé.

« Mais je vais faire de mon mieux. Comme je te l'ai dis un peu avant j'ai trouvé ton spectacle époustouflant et cela m'a donné envie d'en savoir un peu plus sur toi. J'ai vraiment du mal à imaginer que tu puisses vivre juste de ça, cela paraît ...trop facile en un sens. Sinon tu es Européenne ou Américaine ? Ton prénom n'a vraiment pas une consonnance Niponne ! »

Isabel sut que ça avait, sans doute, été une mauvaise idée que de lui donner son prénom. Elle aurait du se contenter de "Cendréa", juste ce pseudonyme auquel elle répondait plus facilement. Quand on l'appelait par son patronyme, elle le prenait comme une menace - surtout quand elle était sur Terra ; sur Terre, normalement, cela ne devait pas lui poser trop de soucis. Personne n'était censé connaître Isabel Griffont et sa triste histoire...

Elle se contenta de le suivre, toujours en silence, toujours un peu récalcitrante à cette idée malgré tout. Les possibilités de fuites se faisaient de moins en moins importantes, alors qu'elle perdait de mémoire le chemin qu'ils venaient d'emprunter. Quoique la discothèque n'était pas "si" grande, Isabel avait l'impression qu'elle avait traversé un labyrinthe qui devait couvrir une bonne partie du quartier. Mais il y avait toujours la musique, et finalement, ils se retrouvèrent à surplomber la piste où dansait une foule enrage. Cela lui rappelait l'opéra, à la grande époque où elle et Luis sortaient... Et voilà, la mélancolie... Isabel se râcla la gorge pour chasser le noeud qui commençait à s'y former.

Nicolas, contrairement à ce qu'il dit dans un premier temps, chercha à briser la glace - l'iceberg, même ! - que représentait Isabel. Sauf que la saltimbanque ne voulait pas parler d'elle. Accoudée au rebord de la loge, elle finit par tourner le dos aux danseurs en contrebas, pour le regarder droit dans les yeux, toujours un peu "froide" dans son attitude et même dans ses mots.


- Je ne vis pourtant que de cela. De ce que je récolte lors de mes spectacles. L'argent que l'on m'offre pour mon numéro me sert à manger un minimum, et je donne le reste à d'autres qui en ont besoin. Hormis mon matériel, je ne garde rien : je suis libre de toute contrainte... Mais ce n'est pas facile, contrairement à ce que tu dis.


Il y avait des jours où elle ne mangeait pas ; où la pluie rendait son matériel inutilisable, et son spectacle limite ridicule. Vivre au jour le jour, sans attache, n'avait pas que de bons côtés, non... Mais Isabel n'avait pas forcément envie de débattre à ce propos. Elle but une gorgée de son soda avant de répondre à l'autre question :


- Je viens d'ailleurs, oui..." (Elle n'allait pas lui parler de Terra...) "Nicolas... Ca ne sonne pas très japonais non plus... Français ? Allemand ?"


Cendréa se permit un léger sourire, loin d'être moqueur :


- Je ne suis pas douée pour laisser les autres briser la glace autour de moi. Marrant, non, pour une cracheuse de feu...


A avoir tout perdu, Isabel refusait de faire confiance à qui que ce soit. Elle ne faisait même pas l'effort de faciliter la tâche à Nicolas. Peut-être dans l'espoir qu'il jette l'éponge et qu'elle puisse repartir ? Ou au contraire, dans l'espoir de le voir y parvenir ? Elle finit son verre, qu'elle posa au sol à ses pieds, et croisa les bras.

- Pourquoi tu m'as amenée à l'écart ?

Que de tact..... Pourtant, elle faisait, vraiment, un effort pour tenter de paraître amicale, et pas trop méfiante...