Sujet d'expérience : Kha Upic

« Le sujet est en bonne santé. Aucune commotion cérébrale qui soit susceptible d’altérer ses capacités cognitives, ni aucun handicap physique significatif. Les différents tests médicaux ont été concluants. En définitive, nous considérons le sujet d’expérience ESP-03-012, communément appelé ‘‘Kha Upic’’, bon pour les tests d’aptitude. »

Le rapport de la doctoresse se concluait sur ces quelques mots, de manière très positive pour les recherches de Novac. Le sujet ESP-03-012 était prêt, et était actuellement en train de se reposer dans l’une des cellules où on déposait les cobayes, le temps pour lui de se réveiller. Café dans la main, Milwën observait l’écran de sécurité de la petite cellule depuis l’une des salles de sécurité du vaste complexe de recherche scientifique de l’Archipel. Comprenant quelques bâtiments s’élevant au-dessus du sol, le complexe était un véritable bunker souterrain, comprenant plusieurs parties, reliées entre elles par des monorails. Le projet Novac avait coûté une colossale fortune à MERCATEL, pour des résultats qu’on ne commençait qu’à percevoir.

Kha Upic faisait partie des cobayes que Novac recherchait pour faire des expériences, et améliorer ses recherches génétiques, en vue de reproduire artificiellement les capacités naturelles de certains habitants de Terra, ceux que la terminologie scientifique tekhane désignait humblement sous le terme d’« Extra Sensorial Perception usER », les ESPers. Le sujet avait été trouvé dans les rues de Nexus par les services de renseignement de Novac, et la Baronne avait autorisé qu’une équipe soit formée pour aller le chercher,  naturellement de manière discrète. Même si Nexus était dans une situation politique compliquée, les locaux n’apprécieraient pas que des agents secrets tekhans débarquent chez eux pour s’attaquer à des ressortissants.

La capture de Kha Upic n’avait pas posé de grandes difficultés, les chasseuses ayant l’habitude de ce genre d’expérience. Il avait été ramené à Novac, et avait subi des tests médicaux pour s’assurer que tout fonctionnait chez lui. On l’avait entièrement déshabillé, attaché par les bras et les jambes à une table chirurgicale, tout en utilisant de puissants sédatifs pour le laisser dormir. On avait commencé par voir s’il n’était pas blessé, puis par faire d’autres tests triviaux. Par intraveineuse, on avait répandu dans ses veines de la nourriture, pour voir la manière dont il réagissait, et on avait même été jusqu’à vérifier si ses capacités sexuelles fonctionnaient encore. Une ceinture électrique avait été mise autour de sa verge, et des impulsions avaient permis de voir que son appareil reproducteur fonctionnait toujours. Ce test, outre son caractère érotique, figurait aussi dans les protocoles de vérification médicaux. En définitive, le projet ESP-03-012 était viable, et prêt pour commencer les tests d’aptitude.

Ces tests consistaient à vérifier ses capacités électriques. Il était dans une cellule spéciale, avec des isolants, de manière à éviter que les éclairs de Kha Upic n’interfèrent pas avec le matériel. C’était une petite pièce avec un lit, des toilettes, et un placard, et une grande baie vitrée qui donnait sur un couloir nu et vide. Le Terranide ne portait qu’une simple culotte rouge. Le placard comprenait une blouse, si le Terranide la voulait, et il y avait également un écran plasma, qui s’allumerait quand le Terranide serait prêt pour entendre le briefing. Il fallait généralement attendre un peu, après le réveil, le temps que le sujet passe l’état de panique initial. Milwën n’avait absolument aucun regret à exploiter ainsi des individus ; elle agissait pour le bien de la science, de Tekhos, et aussi pour celui du Terranide.

Le calme, le silence. Un léger mal de tête, la bouche pâteuse. La première pensé de Kha fut pour se demander s'il avait encore bu à ne plus se souvenir de ce qu'il avait fait pendant la soirée. Il marmonna, à moitié endormi.

-... putain...aurais pas du... pilule rouge... ce gros noir... pas net...

Sa mémoire était encore floue, les éléments qui lui arrivaient paraissaient ne pas correspondre. Où était-il ? La sensation de fraîcheur sur sa peau lui apprit qu'il n'était guère très habillé, sans pour autant qu'il ait froid. Il ouvrit les paupières, et les referma aussitôt, ébloui par la lumière : manifestement, il était dehors, et il faisait plein jour. Il se fit un pare-soleil de sa main et détourna le regard.

-'chier... quelle heure il est ?

Ce qu'il vit l'étonna. Contrairement à ce que la luminosité semblait indiquer, il était selon toute vraisemblance dans la pièce d'un bâtiment couvert. Il réalisa aussi sans grande surprise qu'il était à l'horizontale... mais sur un matelas douillet. La théorie de la cuite, ou de la prise de drogue, malgré son étrange léthargie était sérieusement mise en péril. L'hybride ne connaissait personne de suffisamment bienveillant à son égard pour le transporter saoul dans une chambre. De plus, il se rappelait maintenant très bien avoir refusé poliment de prendre la substance que lui proposait cet étrange homme noir.

Se frottant le crâne, qu'il sentait un peu pesant, il convint vite de se relever, et prit ainsi une position assise sur le bord de son lit. Ses pupilles s'habituant progressivement à la clarté, le jeune homme put se repérer un peu mieux. Sa perplexité ne fit qu'augmenter. Il faisait à présent face à une vitre immense, qui hélas ne semblait donner sur rien. Le cadre lui-même lui était étranger. Il ne reconnaissait pas la matière dont était fait le sol et les murs dénudés. Ils étaient trop propres pour être honnêtes, songea-t-il. Personne ne pouvait entretenir une telle hygiène naturellement. Toutefois, le cadre n'était pas désagréable, il n'y avait aucune des odeurs de caniveau auxquelles il s'était d'abord attendu. Il baissa les yeux sur son propre corps. Comme souvent au réveil, l'adolescent était en érection, et seule une sorte de culotte rouge cachait tant bien que mal son anatomie, pourtant assez menue. Il n'avait jamais vu le sous-vêtement écarlate, ce qui ne manqua pas de l'inquiéter.

Cependant, à bien y réfléchir, ce qui dérangeait le plus Kha était sa pressante envie d'uriner, comme s'il s'était retenu pendant des jours. Il chercha des yeux les latrines. Outre la couche, il repéra que le mobilier n'était composé que d'un rangement, d'une sorte de grand carré noir accroché à une paroi, et d'un meuble en céramique. Il se mit debout, ses jambes légèrement douloureuses, et se pencha au-dessus de ce dernier. C'était une cuvette remplie d'eau claire. Il se baissa, y plongea ses mains et les ramena vers son visage pour se débarbouiller. L'onde était fraîche, et dissipa peu à peu la pseudo-gueule-de-bois.

Il commença alors à se rappeler. Et ce dont il se rappelait ne lui plaisait pas. L'adolescent se souvenait avoir fini la soirée presque sobre, cette fois là. Mais l'auberge n'avait pas voulu l’accueillir. Alors il avait erré dans la rue à l'éclairage inexistant, à la recherche d'un coin couvert des intempéries et à l'abri du froid. Il s'apprêtait à passer la nuit sur le trottoir. Puis il y avait eu cette ombre... et ensuite, c'était plus difficile à dire. Il n'hésitait cependant pas sur ce qui lui était arrivé. Il était un fils de bourgeois, et la plupart des bourgeois, à Nexus, possédait des esclaves. Il n'était pas assez idiot pour ignorer comment ceux-ci étaient capturés. On l'avait sûrement prit pour un terranide un peu particulier. Il pesta, sachant très bien comment tout ça allait se finir : son père allait être obligé de le racheter, et il serait alors obligé de faire preuve de gratitude envers lui. La dernière chose dont il avait envie.

Kha, au final, était assez en forme, plein d'énergie électrique. Il poussa un peu son pouvoir pour évaluer sa puissance, et constata que ses joues produisaient très facilement de petits éclairs. Il était à bloc. Il se sentait en mesure d'électrocuter une armée entière, alors un ou plusieurs vils esclavagistes, ce ne serait qu'une formalité. Encore que deux problèmes se posaient. Ces gens là étaient souvent bien protégés, et surtout, l'hybride était pour l'instant seul dans ce qu'il identifiait maintenant comme une cellule. Restait la grande brique plate noire : elle ressemblait un peu à un de ces cadres où son paternel exposait ses affreuses toiles. L'adolescent l'avait un jour surpris à ranger une partie de sa fortune dans un compartiment caché derrière l'un de ces panneaux. C'est ainsi qu'il étendit les bras pour l'attraper, chercha une prise, et entreprit de l'arracher du mur. Ça ne coûtait rien d'essayer.

Depuis la salle de contrôle du complexe des tests, Milwën observait la scène qui se déroulait sur les écrans, sans tenir compte des commentaires des autres scientifiques qui se tenaient dans la grande pièce. Le sujet s’était réveillé, et on pouvait, grâce à des micros, l’entendre parler. Il était visiblement surpris, perturbé, et s’appropria son environnement. Il n’avait visiblement jamais vu une pièce d’une telle technologie, comme le témoigna la manière dont il aborda les toilettes. Sa chaleur corporelle, que les scientifiques pouvaient observer grâce à des puces qu’on avait implanté dans son corps, laissait suggérer qu’il avait eu une érection, et il se dirigea vers les toilettes, probablement pour uriner, mais sans le faire.

« Devons-nous lancer la vidéo de présentation, Madame ?
 -  Attendez encore un peu... »

Dès que la vidéo se lancerait, les tests commenceraient. Ces tests avaient pour effet de voir l’étendue des capacités de Kha Upic, et serviraient comme base de données pour les recherches futures de Novac. Avoir des soldats capables de manipuler l’électricité était un atout non négligeable, et l’ESPer commença alors à noter la présence de l’écran plat, et tenta de l’arracher. Ce dernier était solidement ancré dans le mur, mais les câbles qui le retenaient étaient fragiles. Milwën se mordilla sur les lèvres, et fit signe de démarrer la vidéo de présentation. Si l’écran devait être brisé, il serait plus difficile d’agir par la suite.

L’écran s’alluma brutalement, révélant le logo de Novac, avec un petit jingle. Le logo ressemblait à un cercle avec écrit « NOVAC » tout autour, l’image montrant au centre la forme de l’ADN en double hélice. Une voix résonna ensuite, une délicate voix féminine qui se mit à parler à Kha Upic :

« Bonjour ! Si vous consultez ce message audiovisuel, c’est que vous venez de réveiller, et que vos capacités cognitives sont suffisamment réveillées pour réfléchir consciencieusement, et être pleinement en mesure de comprendre les différentes instructions qui vont suivre. »

Kha Upic étant, pour les Novaquiennes, un sauvage, la vidéo de présentation qui avait été lancée s’adaptait à ce qu’il connaissait. La voix reprit donc assez rapidement :

« Vous avez été sélectionné par les forces spéciales d’un programme expérimental tekhan pour explorer vos performances, les améliorer, et nous permettre d’établir un bilan. Vous ne comprenez peut-être pas ce que vous faites ici, mais vous nous êtes d’un intérêt précieux. »

La voix se tut encore un peu, avant de reprendre.

« Lorsque la vitre s’ouvrira, vous serez amené à suivre une série d’expériences et d’essais. Rassurez-vous, ils ne sont pas mortels. Nous vous remercions pour votre aimable coopération. »

L’écran s’éteignit, et, quelques secondes plus tard, la porte vitrée s’ouvrit en coulissant. Le couloir était ouvert sur la gauche, donnant lieu à la première salle de test. Il fallait toujours rassurer les sujets en leur disant que les expériences n’étaient pas mortelles. Elles avaient pour but de tester l’intellect du sujet, et de lui permettre d’utiliser ses capacités pour réussir au mieux à réussir les différentes épreuves. Milwën observait la scène avec un léger sourire sur les lèvres. Elle trouvait ce Terranide assez mignon...

*Il plairait bien à Ève...*

Ça valait le coup d’y penser. Milwën aimait bien faire plaisir à sa fille, mais elle décida de ne pas encore y penser, préférant se concentrer sur les évènements, et sur ce qui allait se passer. Peu importe ce que Kha Upic dirait, le personnel ne lui répondrait pas. Il devait fonctionner en autonomie, dans un environnement qu’il ne connaissait pas, et qui lui était inconnu. Tout ceci servait pour d’autres projets et d’autres études que le complexe de recherche menait. Ce n’était pas très moral, mais nullement illégal ; la loi tekhane confondait presque les Terranides avec des animaux, et Novac disposait de toutes les autorisations administratives requises pour effectuer ce type de recherches. Milwën ne se sentait donc nullement coupable.

Au moment où la plaque noire s'illumina, Kha la lâcha comme si elle l'avait brûlé, et se jeta en arrière. Il se redressa en une position défensive, ramassé et protégeant sa tête avec ses avants-bras, de façon à laisser le moins d'ouvertures possibles à un éventuel adversaire. Il s'attendait à un piège, ou qu'une créature se rue sur lui. Ce n'était pas un maître d'art martial, mais il savait prendre les coups quand c'était nécessaire. Et en général, ceux qui le touchaient ne tentaient pas l'expérience une deuxième fois. Ils étaient rares, en réalité, car la plupart du temps, il arrivait à neutraliser ses assaillants avant qu'ils ne soient en mesure de lui nuire. Le meilleur moyen de l'atteindre était en fait la surprise, et il aurait juré que c'était ainsi qu'on l'avait capturé. Aussi cette fois le jeune homme était bien décidé à ne pas se faire avoir.

Pourtant, rien d'agressif n'émergea du panneau, ni de nulle part ailleurs. A la place, se furent des images, et même des sons, qui y naquirent. Même s'il n'avait jamais été un bon élève, l'hybride avait appris à lire grâce à l'insistance de son père, ce qui n'était pas donné à tout le monde à Nexus. Il plissa les yeux, et tenta d'analyser les lettres qui s'affichaient. N-O-V-A-C, déchiffra-t-il. Novac, ce nom ne lui disait rien. L'adolescent sursauta lorsqu'une voix féminine retentit dans la pièce. Il chercha des yeux à qui celle-ci pouvait appartenir : sans doute à quelqu'un de l'autre côté du mur, et pourtant, elle résonnait semblait proche.

-T'es qui, et t'es où ? s'enquit-il aussitôt.

La femme n’interrompit pas son discours pour autant, ignorant totalement ses questions. Kha ne s'en formalisa pas, et accepta de mauvaise grâce de la laisser parler, sentant que ce qu'elle disait était peut-être important. Il ne voulait mettre de côté aucun élément qui aurait pu lui permettre de s'enfuir de cet endroit. Ce qu'il entendit le glaça. De ce qu'il comprenait, il n'avait pas été capturé par un esclavagiste, mais par une sorte d'organisation de sorciers fous. Des teckhans, ces magiciens orgueilleux et lunatiques... comme bon nombre de magiciens, à bien y réfléchir. Il savait cependant que ceux-là étaient d'une nature différente. Un de ses nombreux précepteur lui avait un jour proposé de lui apprendre quelques uns de leurs tours ; ce jour là, il avait préféré sortir jouer aux cartes avec ses amis. Il s'en mordait les doigts aujourd'hui, ignorant de quoi ces dingues étaient capables. La vitre s'abaissa soudain, ainsi que la voix l'avait prédit. En tout cas, l'hybride n'avait aucune envie qu'ils lui fassent subir la moindre expérimentation, quand bien même ce serait pour l'améliorer. Il secoua la tête et montra les dents.

-Mais bien sûr. Je vais passer tes tests et je vais te regarder faire tes analyses sur moi sans rien dire... Ou pas. Je te laisse deviner où tu peux te la mettre, ton aimable coopération !

Disant cela, il fit grésiller ses joues, produisant de petites gerbes d'étincelles destinées à compléter ses propos et sa posture combative. L'adolescent se dandinait un peu, n'ayant toujours pas trouvé d'endroit où soulager sa vessie pleine. Il ne voulait pas souiller le point d'eau, pensant que ce serait peut-être le seul auquel il aurait accès dans les prochains jours. Il n'aurait, dans une geôle classique, pas hésité à régler l'affaire dans un coin, mais il était pour l'instant intimement persuadé d'être observé. Cela l'énervait et renforçait encore son sentiment d'injustice.

-Allez ! Sorcière ! Sors de ton trou ! T'as peur de me voir en face ?

« Les capteurs thermiques sur son corps indiquent qu’il a envie d’uriner, lâcha l’une des opératrices.
 -  Nous devrions revoir nos chambres d’expérimentation pour les sauvages », glissa une autre des opératrices.

Les « sauvages »... C’était ainsi que les Tekhanes appelaient les autres habitants de Terra... Des « sauvages », des « arriérés », des « culs-terreux »... Ils étaient en retard, que ce soit d’un point de vue technologique ou sociologique. La position dominante des mâles dans les autres civilisations était un indicateur honnête de leur recul technologique. Continuer à croire qu’un mâle, soit un individu tenant plus d’une espèce de gorille que d’un être intelligent et civilisé, était le sexe dominant, c’était bel et bien, pour les Tekhanes, la preuve qu’on avait affaire à une civilisation retardée.

« Il est difficile de se placer dans la tête d’un primate, consentit une autre scientifique.
 -  Ce sera peut-être l’objet d’une prochaine réunion...
 -  En tout cas, il n’est guère coopératif...
 -  Sa température corporelle, l’irritation de ses poils, sa tension, son... Son électrocité, indiquent qu’il a peur. »

Le Terranide s’agitait sur place. Il était nerveux.

« Allez ! Sorcière ! Sors de ton trou ! T'as peur de me voir en face ? »

Les scientifiques grincèrent des dents en s’entendant traitées de « sorcières », et haussèrent les épaules.

« Un mâle... Ridiculement brave... »

Les Novaquiennes gloussèrent entre elles, et haussèrent les épaules.

« Recommandation ?
 -  Nous pourrions envoyer un gaz répulsif... »

Soupirant, Milwën décroisa les bras, et donna ses ordres :

« Envoyez un Eyebot. »

Les scientifiques se regardèrent entre elles. Un Eyebot était un drone de reconnaissance et de transmission. Une machine volante autonome généralement inoffensive, qui avait bien des utilités. Généralement, dans le cas d’un prototype récalcitrant, on envoyait une machine pour le guider et le conseiller, afin que le sujet comprenne qu’il était dans son intérêt d’obtempérer, et de faire les tests. Pianotant sur les claviers, les opératrices firent alors apparaître, sur un écran, une série d’images, montrant les différents Eyebots en fonctionnement.

« Lequel faut-il envoyer ?
 -  Je recommande d’envoyer le modèle ED-E. Il vient tout juste d’être réparé, et ce serait un bon moyen de voir si les correctifs que nous avons mis dans ses processeurs seront efficaces.
 -  J’approuve cette recommandation. Envoyez le modèle ED-E. »

ED-E était un Eyebot qui avait récemment reçu une blessure après un accident de maintenance. Il avait été réparé, et on décida de l’envoyer. ED-E fila à travers des conduits, avançant rapidement. Un Eyebot avait la taille d’une tête normale, et émettait des petits bruits en se déplaçant. Contrairement aux autres modèles, ED-E avait un système défensif, pouvant envoyer des arcs électriques. Il se défendrait si jamais le prototype l’attaquait, mais ED-E avait, pour le coup, était pourvu de générateurs lui permettant d’absorber les décharges électriques.

Il entra dans la cellule du Terranide, et se mit rapidement à parler. Une voix synthétique masculine, afin de mettre plus en confiance le sauvage.

« Bonjour ! Je suis ED-E, Eyebot attaché à votre conseil ! *[BIIIIIP-BIIIIIP-BZEEEEEEEEE]* Hum... Mes capteurs indiquent selon un taux de probabilité de 87.83% que vous éprouvez le désir d’uriner. En fonction de vos choix comportementaux, mes neuroprocesseurs considèrent, selon un taux de probabilité de 74.37%, que vous ignorez le fonctionnement du dispositif prévu pour ce genre de besoins naturels... »

ED-E était une vraie pipelette, qui planta son regard lumineux, de couleur bleuâtre, vers l’homme.

« *[BZIIIP-BZZZZEEEEEE-ZZZZZZOOOOUUUUUUUMMMM]* BANQUE DE DONNÉES INCORRECTES... FICHIERS INACCESSIBLES ET/OU INEXISTANTS... Hum... Voilà qui est dommage, je n’arrive pas à accéder aux fichiers personnels vous concernant. Il m’est du coup impossible de déterminer si vous venez d’une ethnie ou d’une culture particulière qui connaît l’existence du dispositif communément appelé ‘‘toilette’’ ou ‘‘W.-C.’’ Peut-être même que votre culture implique de ne pas uriner. *[ZZZZOUUUUUUMMMMM]* Voulez-vous uriner ? Ressentez-vous une gêne particulière dans le besoin d‘uriner ? Avez-vous un problème quelconque avec le fait d’uriner ? Savez-vous uriner ? »

En attente d'une hypothétique réponse, Kha tournait dans sa cellule avec un air de défi. Autant pour faire taire son  envie d'uriner que parce qu'il s'attendait à tout moment à voir débarquer un quelconque savant-fou habillé d'une toge violette étoilée et d'un chapeau pointu, duquel dépasserait ses longs cheveux blancs. S'il avait la bêtise de se montrer, il comptait bien être plus rapide que lui, le surprendre et le paralyser avant qu'il ait le temps de lancer le moindre sortilège sournois, et s'enfuir par là où il serait entrée. Il ne se faisait cependant pas trop d'illusions, il allait sans doute rester là jusqu'à ce que son geôlier ait trouvé un moyen de l'obliger à passer les tests. Il savait que ce dingue finirait bien par réussir, mais refusait de s'avouer vaincu aussi facilement. Il craignait surtout que le sorcier soit en mesure de lui porter atteinte sans lui laisser la moindre chance de riposte, sans peut-être même qu'il le voit. Il n'ignorait pas que ce fut possible. L'idée lui était insupportable.

Soudain, l'hybride perçu un bruit singulier, et ne retrouva nez-à-nez avec une boule de ferraille. Il s'apprêta à décharger toute son électricité sur lui, lorsqu'il comprit qu'il ne pouvait pas s'agir du maître des lieux. Il se rendit vite compte qu'on lui envoyait un messager, et tout aussi prompte à faire fi des conventions qu'il était, il ne pouvait pas ainsi refuser les pourparlers. Il n'allait pas ainsi repousser sa seule chance jusqu'ici de faire valoir son point de vue à un interlocuteur, même si celui-ci n'était visiblement qu'une grosse sphère métallique grillagée à l'avant, et qui n'avait pour regard que deux tâches lumineuses bleuâtres. Ce ne pouvait être qu'une créature magique, peut-être invoquée d'un autre plan d’existence, comme le racontaient certains récits ésotériques.

Dans d'autres conditions, l'adolescent, amateur d'animaux de compagnie, aurait peut-être trouvé la chose sympathique. Il trouvait en vérité que l'exotisme aussi bien de la forme, mais aussi de la voix, du messager étaient assez harmonieux. Il semblait recouvert d'un métal proche de ceux des armures de chevalier, un artifice qui n'aurait jamais empêché Kha de le faire griller, bien au contraire. Qu'on lui envoie cependant un être cuirassé le flatta quelques peu, tout en l'inquiétant. Le savant-fou était au courant de sa dangerosité, peut-être en avait-il lui même fait les frais en le touchant pendant son sommeil. Il ne devait par contre pas bien maîtriser les matières qui lui auraient permis de se protéger de l'électricité. L'hybride lui-même avait mis longtemps à faire l'index de celles qui n'étaient pas conductrices et de celles qui l'étaient.

La créature parlait beaucoup, ce qui n'était pas pour déplaire à son interlocuteur. Malheureusement, ses dires étaient pour le jeune homme soit incompréhensibles soit inutiles. Il avait l'impression de ne connaître qu'un mot sur deux. Il assimila néanmoins que la boule métallique avait conscience de son envie d'uriner... du moins l'estimait-elle. Kha ne savait pas comment il l'avait déduit, tout en se vexant d'avoir été aussi facilement décrypté. Il s'empressa de lui affirmer le contraire.

-Tes capteurs neuromachins se plantent la Chose, j'ai pas envie de pisser. J'ai envie de sortir d'ici.

Quand bien même le besoin se faisait de plus en plus pressant, il parviendrait bien à se retenir le temps qu'il faudrait. Un goutte de sueur, manifestation de la tension qui agitait son corps, perla de son front.

-Je crois que c'est dans ton intérêt de me dire comment je vais faire. D'abord, t'es entré par où ?

A ces mots, l'adolescent fit de nouveau apparaître d'inquiétantes étincelles le long de ses joues. Si cet EDE ne lui apportait pas satisfaction, il allait, pensait Kha, passer un bien sale quart d'heure.

L’incorporation de robots dans les processus de tests avaient été décidé il y a quelques années. S’il était nécessaire que le sujet se retrouve dans le complexe sans savoir où il était, pour pouvoir mieux voir la manière dont il se comportait et analysait ce qui se passe, les expériences précédentes avaient démontré que bien des sujets échouaient aux tests par simple méconnaissance des lieux... Dès lors, le choix d’utiliser des machines comme guide, comme intermédiaire, s’imposait de lui-même. ED-E était ce guide, une machine qui sortait de réparation, et qui, comme tous les robots ménagers ou familiaux de Novac, assez particulier. Que le sujet ne l’attaque pas était un bon signe. En revanche, il nia avoir envie d’uriner, désirant juste, comme n’importe quel sujet, sortir de cet endroit. ED-E ne tarda pas à lui répondre :

« ANALYSE SYSTÈME... ANALYSE EN COURS... ANALYSE EN COURS... ANALYSE TERMINÉ... FONCTIONS OPÉRATIONNELLES... Mes capteurs fonctionnent très bien, mais je discerne une certaine gêne. En toute logique, le besoin d’uriner se perçoit dans votre culture comme quelque chose d’intime, de personnel, et la présence d’un individu à côté de vous semble incompatible avec le fait de satisfaire ses besoins naturels. C’est un fonctionnement curieux, mais la nature des tests ne porte pas sur cela. »

ED-E se déplaça un peu, et consentit à répondre aux questions que Kha Upic lui avait posé.

« Pour sortir d’ici, vous devez accomplir les tests. C’est pour ça que vous avez été réveillé, pour accomplir les tests. Les tests sont importants, les tests sont sacrés, les tests sont la vie. VousDEVEZ accomplir les tests ! J’ai été programmé pour vous guider à accomplir ces tests ! Et vous ne pouvez vous y soustraire ! »

Le rôle d’ED-E était effectivement de guider le sujet vers les tests. Milwën observait la scène en croisant les bras. Pour le moment, tout se déroulait plutôt bien. Le sujet n’avait pas été agressif, ce qui était une bonne chose. Environ une fois sur deux, un cobaye pouvait attaquer le robot. C’était un sentiment de peur compréhensible, car les sujets ne comprenaient initialement pas toute la chance qu’ils avaient d’être ici. Les Gen-8 qu’on leur greffait les rendaient plus stables, mais aussi plus forts. L’objectif de ces tests était de vérifier comment leur organisme réagissait selon différentes situations.

ED-E finit alors par s’écarter.

« Vous devez uriner avant de commencer les tests. Toute votre concentration est requise. Je vous attendrais dans le couloir. Inutile de me poser des questions sur la nature des tests, il ne fait pas partie du cadre de ma programmation de vous en informer. »

L'agacement pointa chez Kha. La pédanterie de la créature, aussi amicale soit-elle, commençait à le courir. Il en avait marre d'être analysé en permanence par le regarde bleu qu'il imaginait maintenant inquisiteur, notant et interprétant chacun de ses gestes pour en tirer des conclusions. Le plus énervant pour l'hybride était que ces dernières se trouvaient parfaitement pertinentes. Il ne supportait pas d'être ainsi dominé intellectuellement par une chose qui faisait à peine la taille de sa tête. Ces pseudo-analyses sociologiques l'exaspéraient, il avait l'impression qu'on s'adressait à lui comme un animal, comme un... sujet d'étude. Il n'aimait vraiment pas l'idée d'être animé par des règles culturelles strictes ainsi que semblait le prétendre son interlocuteur. L'adolescent était un être libre. Et il allait lui prouver.

-Je t'ai dis que tu t'étais planté. C'est si dur à admettre ?

C'était presque à lui-même qu'il adressait la dernière question, ne parvenant pas à se faire à l'idée de ne pas réussir à se mettre en position de force. Il aurait pu le détruire en une poignée de secondes, alors pourquoi la boule métallique n'avait-elle pas peur ? Kha ne comprenait pas, il n'était peut-être pas assez impressionnant ; il songea qu'il aurait du faire plus de musculation, et cela l'aurait aidé à imposer sa puissance. Mais il n'était pas beaucoup plus enclin à travailler régulièrement son physique que son intellect. Impatient de nature, les perspectives lointaines ne lui avaient jamais parlé. Hélas, ici, il ne voyait pas d'autres manière de quitter la salle. Que lui en coûtait-il de s'avancer dans le couloir pour voir en quoi ces tests consistaient ? Une part de sa fierté, certainement. Pour ce qu'il en restait...

-J'espère pour toi que tu dis vrai.

Il n'aurait aucun scrupule à foudroyer le froidement s'il sentait qu'il cherchait à le tromper. Pour l'instant, la créature lui semblait à peu près réglo. A l'évidence, EDE n'était qu'un sous-fifre. Il y avait même une chance pour qu'il soit aussi contraint que l'adolescent dans ses tâches, et qu'il ne soit pas contre une évasion commune. Le zèle qu'il mettait cependant à décrire les tests rendait cette hypothèse moins probable. La servitude l'avait sans doute un peu atteint. Kha se jura de ne jamais finir ainsi. En attendant, il n'était pas impossible qu'on le libère après les tests. Si le sorcier avait voulu le tuer, il l'aurait déjà fait, après tout. C'était pour l'instant sa meilleure chance. Le jeune homme s'apprêta à demander en quoi consistait les tests, avant de se mordre la lèvre. Décidément, il détestait vraiment qu'on l'anticipe avec tant de facilité.

-Si on me relâche pas après ça, je te préviens que je te grille la prochaine fois que je vois, je te fais sauter la tête... enfin, ton corps.

Avec une certaine colère contre sa propre soumission, il s'avança pour rejoindre la sphère dans l'autre pièce. Il n'avait pas de temps à perdre, plus vite il aurait quitté cet endroit et mieux il se porterait.

-J'ai pas envie je te dis. Bon, allez, je fais quoi ?

« Il est têtu... nota une opératrice quand Kha Upic sortit de la cellule.
 -  Ce n’est pas vraiment une surprise », rétorqua une autre femme en haussant les épaules.

Milwën resta silencieuse, et alla s’asseoir sur un fauteuil, avant de soupirer. Tout se déroulait plutôt bien, et le petit Terranide était sorti de la cellule. Lorsqu’il le fit, la vitre coulissante se referma à nouveau, l’empêchant de pouvoir rebrousser chemin. ED-E était toujours là, et s’avança en volant vers le fond du couloir. Une porte s’était ouverte sur la gauche, et donnait sur un couloir assez sombre. Ce couloir était assez particulier, car il était au centre d’une pièce noirâtre, éclairée par des diodes rouges dans les coins. Ces diodes permettaient de voir quatre générateurs, et le fond du couloir était bloqué par une barrière énergétique. « Couloir » était d’ailleurs un terme mal adapté ; il aurait été plus judicieux de décrire ce passage comme un couloir métallique. A l’entrée du couloir, un gros bouton rouge sur une manette. C’était le premier test, une simple mise-en-bouche avant de passer aux choses sérieuses. ED-E désigna le bouton avec un projecteur, et expliqua le contenu du test :

« Il vous faut appuyer sur ce bouton. Il abaissera la barrière d’énergie, et vous devrez ensuite traverser. Quand ce sera fait, appuyez sur l’autre bouton en face, près des écrans et des consoles, et vous pourrez accéder au second test...  Je crois que je suis assez fébrile. C’est la première fois que j’assiste à un test, quel grand moment ! Voyez-vous un quelconque problème à ce que je filme votre performance ? Pour mes archives personnelles, naturellement... »

Milwën soupira lentement.

« Pourquoi diable nos robots sont-ils toujours aussi stupides ? »

C’était une question rhétorique. Elle savait que les recherches portant sur l’Intelligence Artificielle en étaient à leurs débuts, et que c’était ce qui expliquait pourquoi les robots étaient si spéciaux. Novac avait toute une aile de recherche consacrée à ce qui traitait de l’IA, mais on en était encore qu’aux balbutiements de cette technologie. Pour autant, les balbutiements étaient déjà prometteurs. Le premier test serait, à vrai dire, assez simple. Dès que Kha Upic appuierait sur le bouton, non seulement la barrière bleuâtre infranchissable se couperait, mais des arcs électriques jailliraient en grande quantité des générateurs. Des arcs mortels pour n’importe qui, sauf pour Kha Upic. Le premier test consistait à éprouver sa résistance à l’électricité, et voir jusqu’à quel point le sujet pouvait observer les ondes électriques.

Les tests, en somme, commençaient. Il n’y avait pas d’autres chemins, aucune autre alternative que de se soumettre, et d’effectuer les tests. ED-E était naturellement excité ; sa programmation était axée autour de l’accompagnement des sujets dans la réalisation des tests. C’était, en quelque sorte, l’accomplissement de son existence qui se réalisait en ce moment. Il avait donc toutes les raisons du monde d’être heureux et satisfait. Milwën, quant à elle, espérait que tout se passerait bien. Normalement, il n’y aurait aucun problème, mais elle était bien placée pour savoir qu’on était jamais à l’abri d’une mauvaise surprise.