Il ne le sait pas encore, mais il vivait là ses dernières heures. Brian Williams, un homme qui pensait que la vie lui souriait enfin depuis sa rencontre avec la sulfureuse Jessica Rabbit. Il faut dire aussi qu’il avait tout fait pour entrer en sa possession. Ce qu’il ne savait pas par contre, c’était à quel point elle devenait insaisissable avec le temps. La rousse voyageait et déménageait désormais au gré de ses envies et de ses contrats de danse. Elle ne supportait pas de rester en place, ne supportait plus depuis la mort de son créateur et ancien propriétaire, d’appartenir à quelqu’un, de devoir se plier en quatre, d’être maltraitée, tout cela sous couvert de son statut de Toon. Autant dire que si elle ne vieillissait pas en apparence, elle changeait significativement d’année en année depuis sa création. Désormais, Jessica était presque une femme libre, qui osait désobéir à Brian et parfois, n’en faisait qu’à sa tête. Sa dernière lubie ? Disparaître sans laisser d’adresse. Mais c’était sans compter sur les moyens que possédait Brian, qui finissait toujours par la retrouver.
- JESSICA !!!!
Seikusu, Japon. Brian était de mauvais poil et légèrement éméché. Il avait prit un avion depuis New-York dans l’espoir de la retrouver et on lui avait donné son adresse. Ce n’était guère compliqué après tout, une rousse pareille dans les rues japonaise, ne passait pas vraiment innaperçue.
- JESSICA !!!!! Viens quand on t’appelle sale…
Brian trébucha sur une poubelle et l’envoya valser d’un coup de pied qui fit sursauter les passants. Débraillé dans son costume gris, il titubait entre le trottoir et la route, trébuchant parfois, sans jamais se départir de sa voix débraillée. Il hurlait des Jessica et des insanités, des insultes, le tout en anglais, ne connaissant pas d’autres langues, contrairement à la Toon, qui, par sa nature, pouvait parler n’importe quel dialecte avec facilité quasiment sans accent.
- Tu vas te montrer SALOPE ?!
Brian se planta devant un bâtiment. Il y avait un bar qui lui faisait de l’oeil, mais c’était surtout les fenêtres au-dessus qui l’intéressaient. Jessica devait être ici. Il le sentait dans son ventre et probablement dans son bas-ventre aussi. L’américain se baissa et ramassa une canette vide qui avait roulé jusque là et la jeta aussi fort que possible. Elle alla s’écraser contre le mur près d’une des vitres. Dans un bruit désagréable, le morceau d’aluminium retomba près de l’ivrogne, mais il ne fit pas un geste, si ce n’est reculer un peu.
- JESSICA tu me dois de l’obéissance. TU LE SAIS ! Sale...Pute !
Les gens parfois s’arrêtaient pour observer ce fou qui hurlait comme un damné dans une langue que certains ne connaissaient pas. Après avoir gueulé un moment, Brian fini par se fatiguer. Il passa une main tremblante sur son visage, le gosier sec. Il renifla avec dépit et dirigea son pas chancelant jusqu’au petit bar au-dessus duquel sa rousse était censée vivre. Il bascula contre la porte qui s’ouvrit, plus qu’il ne l’ouvrit lui et tomba de tout son long dans le lieu, les quelques personnes présentes le regardant s’affaler sans un geste. Lorsqu’il se releva, Brian épousseta son pantalon et sorti une liasse de billet en se dirigeant vers le bar, sans vraiment prêter attention à la noiraude, mais portant son intérêt directement sur la personne qui avait l’air d’être la barmaid.
- Soir’...z’avez un truc à boire ? J’ai de quoi payer. Et j’aimerais des informations aussi. Je paierai. Cher.
Brian n’attendit pas de réaction de la part de qui que ce soit, il lâcha les sous sur le comptoir et poussa les billets dans la direction de la barmaid. Il n’attendit pas non plus d’assentiment ou de refus. Il se contenta de continuer, comme un ivrogne qui soliloque par nécessité plus que par envie.
- Je cherche quelqu’un. Une rousse. Grande. Avec des seins comme ça.
Il mima une plantureuse silhouette et une grosse poitrine, trouvant son équilibre en prenant appui de son coude sur le comptoir. Il parlait plus doucement que précédemment, comme s’il se rendait compte que s’il continuait de vociférer, il risquait de se faire arrêter ou...allez savoir avec ses japonais. Il ne savait même pas si la personne à qui il venait de s’adresser parlait anglais et, ou, le comprenait et sa diction était passablement altérée par l’alcool ingurgité depuis le début de la soirée. Brian regarda sa montra, loucha dessus plutôt et secoua la tête en voyant qu’il était déjà une heure du matin.
- C’est ma… - Il dut réfléchir un moment. - C’est ma femme et elle était… - il cherchait un mensonge plausible. - Elle était censée me retrouver à l’aéroport, mais elle m’a posé un lapin.
Il rit. Private Joke avec lui-même, car la toon s’appelait Rabbit et cela le fit rire de se dire qu’elle lui avait poser un lapin. En réalité, elle le fuyait et il le savait et ça l’énervait. En acquérant Jessica, il pensait pouvoir de temps à autre, il n’en demandait pas autant que son prédécesseur, pouvoir passer la nuit entre ses cuisses. Mais elle s’était toujours envolée avant son arrivée. Et lorsqu’il la chopait enfin, c’était pour se confronter à des excuses bidons. Bidon...elles ne l’étaient pas, mais Brian pensait que oui. Jessica était simplement occupée par ses spectacles qu’elle commençait à faire un peu partout désormais, plus uniquement dans des bars américains. Les gens semblaient apprécier sa plastique irréelle, surtout ici, sur Terre. Et cela faisait désormais quelques semaines qu’elle était à Seikusu, au Japon. Elle offrait ses courbes pour un spectacle dans un cabaret du coin, aussi, elle n’était pas dans son appartement ce soir, mais plus loin.
- Jessica ? Est-ce que ça va ? Tu as été super ce soir !
- Thank you darling…
- Tu n’es pas contente de ta prestation ?
- Mmm ? Oh. Yes...si. Oui oui, bien sûr. Je suis simplement fatiguée.
- Tu veux que je te ramène ?
- Cela ne te fais rien si nous restons encore un peu ici ?
- Non...bien sûr...mais…
- Please. Juste le temps de reposer mes jambes.
C’était un mensonge. Installée élégamment dans un fauteuil de sa loge, Jessica sentait qu’il se passait quelque chose. Brian était dans le coin. C’était difficile de dire comment elle le savait, mais elle le savait. C’était une sensation particulière qui la faisait frissonner. Mais ce n’était pas les mêmes frissons que le froid ou la peur. C’était autre chose. Et elle aurait été bien incapable de dire à quoi cela ressemblait, car les sensations humaines, elle ne les connaissait pas depuis longtemps. La Toon se leva et saisit son peignoir qu’elle passa sur ses épaules, sans un regard pour sa petite assistante japonaise qui lui servait de guide et d’assistante durant son séjour.
- Je suis navrée Natsu, je ne sais pas ce que j’ai ce soir. Je dois être fatiguée.
- Ne t’en fais pas Jess’, cela prouve simplement que tu es humaine ! Je commençais à me poser des questions…
Au visage que fit Jessica, Natsuko se mordit la lèvre inférieure. Avait-elle dit une bêtise, elle se confondit en excuse, mais Jessica lui fit signe de ne pas s’en faire et lui demanda d’aller chercher des cafés. Une fois seule, elle se concentra pour ne pas céder à la pulsion de la Toon en elle, qui lui disait de rejoindre Brian et d’exécuter les ordres de son propriétaire.
Toujours au bar, Brian continuait son mensonge, s’enfonçant dans des explications qui ne semblaient pas toujours avoir de sens. Mais il était prêt à payer cher si on lui disait où était la rouquine et encore plus cher si quelqu’un acceptait de le mener à elle.
- Je vous assure, j’ai assez d’argent pour vous offrir le Lune. Alors il y a bien quelqu’un ici, qui sera d’accord de me dire où est cette...cette femme ? Je m’inquiète vous comprenez ? Et j’ai un avion à prendre dans deux jours. Je ne peux pas partir sans elle.
Il tapota sur le bar, fixant son regard d’ivrogne sur la noiraude, comme s’il la voyait pour la première fois depuis son entrée.
- Vous peut-être ? Je suis sûre que vous savez où elle est !
Rien ne lui disait que c’était le cas, mais dans sa tête d’alcoolique en manque de cul, il était prêt à parier que tout le monde savait où se cachait la belle et personne pour le lui dire. Comme s’ils la protégeaient. Peut-être que tout le monde la voulait pour lui après tout et c’était tout à fait légitime. Lui-même se sentait en veine de la posséder, même si Jessica avait tendance à disparaître et que Brian n’avait que rarement pu profiter de son corps et de son esprit soumis de toon.
- Et je suis sûr aussi que vous avez besoin de thune !
Il ramassa les billets, en laissant quelques uns pour les consommations et les secoua sous le nez de la gothique qu’il pensait être une prostituée. Il le sentait, comme tout mec ivre qui prend toute femme sexy pour une créature de la nuit qui se fait payer pour quelques instants de plaisir.
- Allez...je vous donne tout ça si vous m’amenez à Jessica. Vous pouvez pas ne pas la connaître. Regardez !
Comme si son cerveau embrumé se mettait enfin à fonctionner, il sortit son portable et lui montra une photo de la toon, dans sa fameuse robe rouge.
- Elle chante et fait des spectacles. Vous l’avez sûrement croisée dans le coin. On m’a dit qu’elle habita ici. Enfin. Là.
Brian pointa du doigt le plafond et se remit ensuite à secouer l’argent sous le nez de Em.