Tout était une question de rythme. Les effluves retrouvaient petit à petit un état stable. C'était par le souffle et les incantations de contrôle de base que la magicienne parvenait à maintenir une forme qui, bien que pitoyable, avait l'avantage de conserver son corps et son esprit sans séquelles. Assise en tailleur, elle marmonnait entre deux expirations les formules d'apaisements, tout en luttant contre sa migraine et l'inconfort que lui procurait sa cellule miteuse et la saleté qui couvrait sa personne. Pourtant très silencieuse, les paroles intangibles de Dionysia résonnaient dans la prison du château.
« Hé ! Hééééééééé ! Copine ! »
La sollicitation de son voisin de cachot n'avait pas suffi à perturber la médiocre transe de la magicienne. Couvert de crasse, une barbe de plusieurs mois et une tenue dépareillée, il regardait sa comparse avec un fort intérêt. Alors il changea de tactique en lui lança plusieurs petits cailloux.
« Hééééééééééééééé ! Copine ! »
« Grumph... » Abandonna sa partenaire. « Qwaaaaaaaaa ? »
« C'est quoi que tu racontes ? J'entends pas ! »
« Des incantations. » Grogna-t-elle.
« Ha ! Tu vas te téléporter ? Faire exploser les murs ? Je peux v'nir avec toi ? »
Si seulement elle pouvait faire ça...non. Sa méditation servait à remettre sur bon pied son coeur de cristal devenu complètement dysfonctionnel. Heureusement qu'elle avait peaufiné avec son Maitre plusieurs runes pour se mettre en sécurité en cas de force majeur.
« Et t'as fais quoi pour v'nir ici copine ? »
« Des bêtises, je crois. »
Sa mémoire était encore trop amoché pour rationaliser les évènements de la veille. Elle devait alors déduire les déroulements de ces douze dernières heures par des indices extérieurs. Déjà, à la vue de la lumière provenant de sa maigre fenêtre, c'était le matin. Elle était dans une prison, d'un château, il semblerait. Son diagnostic vital indiquait une forte migraine, une intense nausée, un cœur au ralentis et vidé de son énergie. Ses derniers souvenirs remontaient à un début de soirée, et tous ces éléments réunis lui suffisait pour tracer des contours grossiers de la suite de ses aventures.
« Dis, ‘copain', on est où là ? »
« Bah au château de la duchesse Myrella ! »
« Ah. »
Ce nom lui disait vaguement quelque chose. Elle voulut reprendre sa méditation lorsqu'une porte s'ouvrit, et que des humains en tenue de soldat s'approchaient de sa cellule. Trois hommes, dont l'un semblait par sa tenue montrer qu'il était au dessus d'un point de vue hiérarchique. Ce dernier pris la parole en premier.
« La voilà. Amenez là à la salle du trône sur le champ. »
« Alors c'est elle...Elle n'a pas l'air terrible. » Reprit celui à sa gauche.
« Méfiez-vous, elle ne paraît de rien comme ça, mais je vous confirme que c'est elle qui a causé tout ce maelström. »
Cela se précise, se dit-elle. Donc elle avait bien fait des bêtises. Les deux soldats rentrèrent dans sa cellule, et elle eu juste le temps pour saisir un seau vide, qui lui avait été déposé sans doute pour ses besoins naturels. Elle n'avait pas eu l'occasion de s'en servir, mais elle l'aggripait avec ténacité, alors que ses ravisseurs tentèrent de lui faire lâcher l'objet et de la relever.
« Raah, mais lâchez ça ! »
« Naaaaaaaaaaaaaan ! Z'en ai b'soooooooooooin ! » Rouspéta leur détenue.
« Nous n'avons pas le temps pour ces enfantillages ! Soulevez là et ramenez là avec ce seau. »
Mal à l'aise sur la manière de traiter avec cette étrange prisonnière crasseuse, ils la soulevèrent et la forcèrent à les suivre, alors qu'elle tenait fermement son seau sur son buste. Dionysia luttait toujours intérieurement pour ne pas sombrer dans le coma, ou pire. Ces brutes ne la ménageaient pas, et la tractaient comme si c'était un sac d'ordure. Trop concentré sur son subconscient, elle fit peu d'effort pour apprécier l'architecture intérieure du domaine où elle se trouvait. Une énorme porte s'ouvrit et voilà qu'ils étaient dans une grande salle. La lumière du jour, bien plus forte que dans sa prison, la dérangea et l'empêcha d'ouvrir les yeux pleinement. On continua à la trainer, et cette fois ci, à travers le son de leurs pas, Dionysia distinguait quelqu'un entrain de parler avec beaucoup de vivacité.
« ...granges incendiés, dont l'un contenant une partie des récoltes de la dernière moisson, provoqué une tornade saccageant un champ récemment ensemencé. Les premiers soldats l'ayant poursuivis ont été transformé en poule et en cochon ! »
Cela s'annonçait mal. Du genre vraiment très mal. On le jeta par terre et des mains la saisirent sur les épaules pour la bloquer à genoux avec douleur. On essaya de lui mettre les mains dans le dos, mais elle gardait son seau dans ses bras avec fermeté.
« Elle gela même une partie du ruisseau de la ferme du vieux Hugh, ce qui cassa certaines pales de son moulin ! Cela s'ajoute la panique qu'elle a générée auprès de ses bêtes ! Il est clair, ma duchesse, que nous avons affaire ici à une dangereuse sorcière, sans doute envoyé par Ashnard.»
« Méh ! Faut pas abuser non plus ! »
« Silence sorcière ! » Les restrictions sur ces épaules se firent plus intenses, ce qui la fit sortir un petit cri de douleur.
Dionysia avait encore du mal à ouvrir complètement les yeux, mais elle comprit qu'elle était dans ce qui semblerait une salle du trône. Il y avait une silhouette féminine assise en face d'elle, et un homme, un conseiller ou de ce genre là, à coté d'elle. C'était lui qui parlait depuis tout ce temps.
« Les coûts des réparations sont encore en chiffrage, ma duchesse. Par chance, et grâce au courage de nos soldats, nous ne comptons aucune victime. Ils purent neutraliser cette sorcière durant un de ses moments de faiblesse. Parle dorénavant, sorcière ! Qui es-tu ? Quel maléfice as-tu tramé chez la duchesse Myrella Cyrelle Talle Aeslingr ? »
Elle qui pensait que sa famille avait des noms pompeux...Bon, ça lui disait quelque chose, cette énumération de syllabe de bourgeois. Le soleil continuait à l'obliger à garder ses yeux mi-clos alors qu'une montée nauséeuse fit son apparition.
« Hem...B'jour m'dame la dudesse...Euh...Je sais que...-Burps- tout porte à croire que je suis une vilaine sorcière. Mais sachez que j'ai une bonne excuse de ce que quoi que qu'on m'accuse... »
Elle se stoppa, ressentant une mauvaise nouvelle. Dans une déglution résonnant dans toutes les pièces, elle régurgita ses remontées acides dans le seau qu'elle tenait avec férocité. Reprenant sa respiration, dans cette situation humiliante et indigne d'une salle du trône, elle ressuya des restes de ses excrétions sur ses lèvres avant de reprendre la parole.
« Je...j'étais bourré. Désolé. »