- On... On se dit 20h pour le rendez-vous ?
- Bien sûr. Toujours partante pour l'Extravaganza ?
- Oui oui. Ça a l'air bien !
- Tu m'en vois ravi. On se dis à demain alors. Passes une bonne nuit, prends soin de toi.
- Bonne nuit
Köda posa son téléphone sur sa table de chevet et observa calmement le plafond. Il ne s'était jamais imaginé que les sites de rencontres puissent être aussi efficace, mais il ne pouvait clairement pas renié cela désormais. Faut dire, il y avait un avantage certain : Les gens ne le rencontrait pas directement. Ils avaient certes accès à sa bouille efféminée, mais pour ce qui était de sa taille, de son corps peu développé, de sa voix presque trop douce... Eh bien c'était autant de détails qui ne se faisaient remarqués que bien plus tard, une fois que les discussions avaient été bien assez approfondies pour que ce genre de dissonances ne soient plus vraiment un problème. Pourtant, il avait flippé une fois. Chose assez stupide parce que l'idée venait de lui, mais quand ils avaient dû se faire un appel audio, il s'était demandé plus d'une fois si la déformation de sa voix, avec le micro de merde qu'il se tapait, n'aurait pas put complètement jouer en sa défaveur. Pourtant, tout s'était bien passé. Tout se passait miraculeusement bien, depuis le début de leurs échanges.
Cela faisait ... quoi, deux bons mois maintenant ? Il n'avait pas vraiment compté, et franchement, il ne faisait pas suffisamment attention au début pour se rappeler de la moindre date. Adepte de la technique du "sale petite rat" sur les sites de rencontres, il n'avait même pas regardé les profils qui lui étaient présentés, se contentant de valider toutes les propositions qui lui étaient faites dans l'espoir que quelqu'un réponde positivement. Il y en avait eut, souvent ça avait été un tôlé... Parce que ses airs androgynes lui amenèrent plus d'une fois des messages privés de mecs se faisant passer pour des femmes afin de chercher à courtiser des lesbiennes qui pourraient se laisser tenter par une expérience différente. Autant dire que chacun de ces messages furent une raison pour le jeune homme de vouloir briser son téléphone, puis de maudire la terre entière. À la place, il se contenta d'envoyer une requête à la modération du site pour torpiller ces tricheurs éhontés. Ce fut là toute sa première expérience, jusqu'à ce que le désespoir le mène à vouloir quitter ce genre de plate-forme pour ne plus jamais y revenir.
C'est là qu'il la rencontra. Une jeune femme, visiblement un peu timide au vu du manque de clarté dans ses messages, l'invitant tout simplement à échanger, afin de se rencontrer en un lieu sécurisé pour l'instant, et peut-être réfléchir à un plus tard. Soyons honnête, Köda ne savait pas du tout si ils allaient passer les premiers échanges, peut-être était-ce pour ça qu'il fit un effort considérable afin d'être doux, simple, délicat. Le but ? Apparaître sous son meilleur jour. D'ailleurs, de manière très étonnante, ce fut presque gratifiant de voir qu'au fur et à mesure de leurs échanges, ça marchait ! Ils se mirent à parler de plus en plus, de choses de plus en plus intimes, et pour l'un, et pour l'autre. L'androgyne s'étonna malgré lui de parler de sa vision un peu rude des cours, dans lesquels il avait simplement l'impression de vivre un ennui mortel, jours après jours, tandis que la jeune femme de l'autre côté de la fenêtre de texte lui avoua avoir bien du mal avec l'univers un brin étouffant dans lequel elle vivait. De fil en aiguille, ils s'appelèrent tout les deux, échangèrent avec beaucoup d'entrain puis...
Parlèrent d'un rendez-vous. Malgré tout, Köda avait un peu d'argent de côté. Il s'informa sur un bon restaurant, chercha un milieu chaleureux et accessible sans être grossier, puis finalement jeta son dévolu sur l'Extravaganza, un commerce très bien noté italien. Elle lui sembla emballée quant il lui proposa, aussi se donnèrent-ils une date, un horaire et ... Voilà où il en était. Sérieusement, ça avait marché ? Il peinait à s'en rendre compte, mais l'idée même d'avoir cette chance entama de lui nouer l'estomac. C'était... Enfin, ça allait être important, tellement important demain, il se devait de ne pas niquer toutes ses chances à la première impression. Clairement, il allait falloir qu'il s'habille un peu chic. C'était pas son fort. Puis ses manières, adieu les gros mots et familiarités. L'alcool pareil, il allait falloir faire sacrément gaffe, ça pouvait vite tourner au vinaigre quand il avait un coup dans le nez. Punaise, il commençait déjà à se prendre la tête. Il tourna la tête en direction de son radio-réveil. Il était déjà quasiment minuit. Dormir allait être compliqué. TRÈS compliqué.
*
* *
Sortant enfin de ses cours de la fin de journée, l'efféminé regarda son téléphone et... manqua hurler. Plus de batterie. Faut dire, il avait passé la nuit à réfléchir à ce qu'il allait faire, comment il s'habillerait, non sans parler de la manière dont il devrait se présenter. Tout cela pour lire des conseils sur les rendez-vous amoureux pendant près de trois heures, s'endormir sur les coups de quatre heure du matin, cela sans mettre son outil de communication à recharger, ce qui justifiait le piteux état de son smartphone. Mais il n'avait pas le temps de se plaindre. Pour rejoindre le restaurant, il se devait d'atteindre le réseau de métro de Seïkusu, puis de prendre deux lignes différentes afin d'atteindre les abords du point de rendez-vous. Clairement, ça allait lui prendre un temps fou, et vu qu'un de ses enseignants lui avait tenu la jambe pour parler de ce qu'il avait rendu comme devoir (à savoir le minimum requis pour avoir la moyenne, il le savait très bien), Köda savait aussi qu'il en avait déjà perdu bien trop. Tant pis, il allait devoir courir, heureusement qu'il avait emporté son déodorant.
C'était donc la course. Loin d'être dans ses tenues plus naturelles, le jeune homme avait opté pour un pantalon brun, une paire de basket quasiment neuve, ainsi qu'une chemise blanche accompagné d'un manteau à buste court. C'est ce qu'il avait de plus masculin en soi, ou du moins ce qui ensemble faisait masculin. Il se souvenait toujours honteusement d'un photo qui avait circulée lors de sa période du lycée où il se changeait. Avec seulement une chemise sur le dos, un peu trop grande pour lui à l'époque, l'on aurait crû à ce cliché typique de la petite copine qui vole son haut à son compagnon après une nuit intense de gémissements et d'ébats. Et voilà, le simple souvenir de cela le foutait en rogne. Tant mieux en soi, ça lui donna d'autant plus d'énergie pour couvrir la distance jusqu'au métro, puis de s'y engouffrer pour alors sauter dans la première rame qui lui était accessible. Il leva les yeux vers le panneau lumineux indiquant la destination et l'heure.
19h10. C'était très très serré.
Le voyage se fit dans la nervosité. Se jetant hors du second tram alors qu'il était déjà 19h56, le pauvre retardataire se remit à courir comme un dératé, manquant d'ailleurs bousculer une petite vieille dans les escaliers. Il l'évita en bondissant de côté, se rétablissant n'importe comment sur la rembarde opposée, dévalant trois marches sur le talon avant de repartir comme un furibond, laissant derrière lui l'ancienne qui vociférait dans sa descente qu'il était un voyou malpoli. C'est ça, bave toujours vieille conne, il aurait dû lui coller ses deux genoux dans le dos au lieu de l'éviter, c'aurait fait une retraite de moins à payer. En tout cas il traversa les deux prochaines rues comme un marathonien en plein record mondial, puis apercevit enfin les lumière du restaurant. Il décéléra lentement, retrouvant un rythme normal à petit pas, tout en recouvrant son souffle. Hop, une main dans le sac, et il s'applique une nouvelle dose de déodorant, souhaitant être parfait, donc pas couvert de sueur sous les bras. Par chance, la fraîcheur du soir l'aide à se refroidir après l'intensité du voyage.
Il arrivait enfin à destination, serein, passa un coup d'oeil par la vitre pour observer l'intérieur et... se jeta en arrière par un soudain coup de panique. Bonne nouvelle, sa compagne de dîner était là, dans le restaurant, déjà attablée. Par contre, mauvaise nouvelle, ainsi que raison de son soudain recul : Il la connaissait ! Enfin... connaître était un bien grand mot. Il savait surtout qui elle était. Mayu Kamazuki. La star actuelle de l'université, championne sur le ring, intouchable lors des cours tant la présence éminente du corps enseignant et administratif autour d'elle dissuadait tout les clampins qui s'imaginaient pouvoir lui conter fleurette. Il avait jamais fait le rapprochement ! En même temps, sur le site de rencontre, c'était marqué Mayu K. autant dire que ça aurait put être n'importe qui ! Pis honnêtement, maintenant qu'il commençait à se calmer, autre chose lui apparaissait assez clairement : elle avait l'air si délicate, si douce quand ils parlaient ensemble... Difficile d'imaginer que la petite demoiselle avec qui il parlait était la même que celle qui sonne ses adversaires à grands coups de poings dans les chicots.
Bon sang, il avait rendez-vous avec Mayu Kamazuki. Eh bien... Soit ! Savez quoi, il allait non pas seulement s'en sortir parfaitement, non, ça devenait bien plus intéressant que ça ! Il le sentait en lui, au plus profond de ses entrailles : lui, qui n'avait jamais eut son heure de gloire, qu'avait toujours dû gérer des histoires insupportables toute sa scolarité, on lui présentait la coqueluche de l'établissement sur un plateau d'argent ? Il ne comptait certainement pas se passer d'un met aussi délectable. Merci aux mille kamis de l'avoir placée sur sa route, désormais, il se devait d'assurer.
Il quitta son recoin de sûreté. Droit, calme, il s'approcha de la porte d'entrée, en passa le seuil non sans le tintement d'une clochette signifiant son apparition, puis se dirigea vers l'accueil, où un serveur semblait préparer les amuse-bouches d'une table. Il tourna la tête vers sa rencontre de ce soir, visiblement elle l'avait remarqué, en même temps difficile de louper son air si féminin. Il la gratifia donc d'un sublime sourire avant de se retourner en direction du serveur, procédant à l'accueil classique que l'on pouvait attendre d'un restaurant qui tient à sa réputation. "Bienvenue, avez-vous une table de réservée ?" et tutti quanti, il suffira au jeune homme de prononcer son nom et celui de sa compagne pour qu'on lui informe que la précieuse demoiselle est déjà arrivée, chose qu'il n'avait bien entendu pas loupé. Mais point de remarque désagréable, ni de propos froids et acerbes. Il se contente d'opiner du chef, puis de se laisser guider jusqu'à la table à pas lents.
On lui tire la chaise, il remercie le serveur d'un air aimable, puis installe son manteau sur le dossier de la chaise tandis que l'employé s'éloigne. Il relève les yeux, contemple le visage timide caché derrière des lunettes de Mayu. Mais c'est qu'elle était terriblement mignonne avec son air angoissé !
"
Bonsoir Mayu, mille pardon pour le retard. Acceptes-tu malgré tout que je m'assieds avec toi à table ? "