Pour tout aventurier de bon aloi, oeuvrer pour le bien commun est une question de bon sens. Sauf que dans le cas présent, nous ne parlons pas de chevalier ... Nous parlons d'une soldate.
Myrrhe, fille de Shank, était une jeune femme qui avait encore beaucoup de choses à apprendre. Par chance, le monde l'avait forgée à l'image de son père, ce qui lui avait permis de se diriger vers une profession qu'elle avait toujours souhaitée suivre : celle de soldat. Dans les faits, ce n'était même pas vraiment du fait de sa constitution. Née femme, elle aurait pût paraître bien trop faible ou chétive pour pouvoir prendre une arme et défendre sa vie, sans même parler de celles des autres. Toutefois, ce en quoi elle ressemblait à son père, commandant de son statut, était son intelligence martiale. Ce qu'elle n'avait pas en force brute, en constitution solide, elle le compensait par la technique et l'agilité. Elle avait fait ses classes avec humilité, rejoint une garnison il y a deux ans, puis désormais participait avec ferveur à entretenir la bonne vision de ses confrères et consoeurs envers son nom et l'armée du pays. En somme, une élève modèle qui avait à coeur la paix de ses contrées et concitoyens, cherchant toujours à s'engager dans les missions qui méritaient d'être accomplies.
C'est ainsi qu'elle avait été mandatée pour aider un village en proie à quelques difficultés. Dans les faits, le simple fait de demander à une grande ville qu'un soldat soit envoyé pour régler les problèmes rencontrés devait leur avoir coûté bien cher, nulle récompense n'attendant le ou la brave acceptant leur demande. Cela manqua par ailleurs produire l'indésirable résultat que nul n'aurait prit la décision de se présenter pour aller tendre la main à ces gueux. Mais il y a toujours une âme charitable pour ce genre de mission foireuse, Myrrhe en fut l'exemple parfait. Elle se présenta afin de proposer sa présence, ce qui ne manqua pas de faire lever un sourcil, pour être ensuite accueillit par un sourire satisfait : Plus besoin de désigner une personne au hasard parmi les jeunes recrues. Elle fut prévenue que nul autre personne n'oserait l'accompagner, non pas par crainte mais par mépris d'une telle expédition. Ce à quoi la jeune soldate n'eut à répliquer qu'elle n'aurait besoin de personne pour accomplir son devoir, remerciant simplement son supérieur avant d'aller empaqueter ses affaires, puis de se mettre en route, missive à la main, pommeau dans l'autre.
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L'arrivée dans le petit village de Frougalon ne fut pas sans lui donner un bel aperçu de la ruralité des lieux. Point de toits sans trous, point de murs sans fissures. Elle avait eut à marcher pendant plus d'une dizaine de jour pour atteindre ce milieu reculé, et ses réserves de nourriture étaient quasiment vide, elle espérait pouvoir rapidement se ravitailler. Toutefois, son objectif en vue, elle n'avait rien de plus important que d'obtenir en l'immédiat les informations cruciales qui lui permettront de se préparer à sa future extermination. Par contre, savoir qui était à la tête de ce tas de caillou siégeant sur la bouse n'était point vraiment chose aisée : les maisons se ressemblaient toutes, et aucune forme de signe distinctif ne semblait présenter l'une des masure comme prévalente en terme d'importance. Par chance, les plus anciens erraient dans le village, arrosait quelques plantes, ou commérant avec entrain. Sac sur l'épaule et épée bien visible à la hanche, elle s'approcha de la première personne qui passa à ses abords en le saluant, pour mieux ensuite quérir informations :
"
Bonjour Madame. L'on m'envoie de la capitale pour vous aider, où puis-je trouver la personne qui nous a envoyer votre demande de soutien ? - Quoué c'qu'eul dit eul petiote ? "
Ah... la barrière du langage. Elle aurait dû s'en douter, pourtant elle n'avait pas même eut l'idée qu'elle, d'extraction modeste malgré tout, ait tant de mal avec le parler des campagnes. Elle chercha un court instant le moyen de se faire comprendre, se tenant le menton entre deux doigts, avant de reprendre son précédent propos :
"
Où que s'trouve l'lettré di bourg ? - Oh bah mienne petiote, c'tout simple, ricana le vieillard en lui montrant une masure solitaire, un peu plus haut sur la route. Eul Père Ytrot c'ti l'seul à savoir scrabouiller par ici.
-
Merci beaucoup ! "
Elle la quitta sans trop tarder, lui faisant un geste de main comme dernier remerciement et salutation. Elle hâta dès ensuite le pas pour atteindre le plus rapidement possible les abords de la piètre maisonnée, puis une fois la porte trouvée, s'arrêta un court instant pour se permettre une longue inspiration. Elle souffle, se calme donc, frappe alors à la porte du dos de la main. Elle attendait qu'on l'invite à entrer. Elle n'avait par contre point prévue que la voix profonde qui lui répondit au travers du panneau de bois soit aussi grave. Rares étaient les hommes au timbre si puissant, toutefois... Au moins n'eut-elle pas à hésiter le moindre instant pour suivre la directive qui lui fut donnée : Celle d'entrer.
Elle poussa la porte et fit quelques pas dans la pièce modérément éclairée. Une fenêtre simple creusée à même le mur permettait d'obtenir toute la luminosité suffisante en cette heure de la journée. En tout cas, cela permit à la jeune femme d'observer le quarantenaire qui lui faisait face, les traits déjà bien creusés par les hivers. Le Père Ytrot n'avait pas la plus imposante des carrures, mais derrière sa pilosité faciale grisâtre et ses yeux de même coloris l'on pouvait sentir la sagesse de ces hommes qui ont déjà biens vécus. Une fois au coeur de la petite pièce, la soldate s'arrêta nette, droite, et salua l'homme dans une posture tout à fait militaire : pliée en avant, main ouverte sur le coeur, l'autre poussant le fourreau vers l'arrière pour prouver des intentions les plus pacifistes. Une présentation qui ne manqua pas de faire naître un sourire sincère sur les traits de son hôte :
" Bonjour jeune dame. Dois-je comprendre que vous êtes celle que nous avons mandé à la capitale.
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Tout à fait, Myrhhe, fille de Shank, commandant de la cinquième garde. L'on m'a envoyé suite à votre missive vis-à-vis de vos problèmes de frontière. "
Elle se redressa pour voir son interlocuteur en faire de même entre les accoudoirs de sa chaise. Elle se sentait scruter, mais devinait que l'homme cherchait plus à la jauger qu'à observer ses formes. Il avait besoin d'une soldate, pas d'une femme à coucher, et il était évident que cet ancien savait faire la part des choses, contrairement aux plus jeunes et plus altier membres du genre masculin. Quelques secondes passèrent ainsi avant qu'il ne s'élance dans une explication claire des événements, et ce sans la moindre fioriture, prouvant qu'il jugeait son invitée digne du statut dont elle prétendait : celui de guerrière.
"Je dois vous avouer que nous n'attendions plus la moindre petite aide. Mais soyez certaine que votre présence est une vraie bénédiction. Nous avons un véritable problème avec ces saloperies de peaux-vertes. Ils approchent de plus en plus de nos terres, s'en prennent à nos poules et à nos gars dans les champs. Leur présence commence même à repousser les petits marchands, ce qui mets en périls nos faibles commerces et en altère le fonctionnement. Tant qu'il ne s'agit que de quelques moutons et d'un petit signalement, la garde Nexusienne et la guilde des affaires paysannes ne dépêche pas de soldats. Il faut attendre d'essuyer de lourdes pertes pour qu'ils réagissent. C'est stupide mais c'est comme ça. Alors votre aide est plus que la bien venue madame ! Donc pour le paiement, nous disions..."
Ils furent interrompus. Non pas par quelques bougres provenant du village, ou le son d'une corne alertant d'un danger proche, non. Ce qui les arrêta en pleine explication du vieux greffier, ce fut la présence d'une petite tornade de bonhommie rurale. Sincèrement, Myrrhe n'eut pas le temps d'éviter ce damoiseau, qui la poussa sans autre forme de respect, l'amenant à chuter sur ses fesses. Elle se rattrapa d'ailleurs tant bien que mal à une petite table pour ne pas non plus se cogner la caboche directement contre le plancher de la masure, retenant un petit juron d'entre ses lèvres avant de redresser son visage, découvrant l'identité du fauteur de trouble. Un garçon, plus ou moins dans les mêmes âges qu'elle. La grande différence entre les deux était bien évidemment que si le "chevalier" impatient semblait dénué de tout équipement, elle était elle en revanche armurée, ce qui donnait un ton un poil risible à la discussion qu'elle entendait entre les deux hommes. Ah, et même si elle ne se permit point de réactions, entendre la réflexion du vieil homme ne manqua pas de faire son plaisir.
"
Eum' pardon m'dame ! Euj'suis désolé de pas avouère fais attention à vous ! Chuis eul chevalier Phiren, à vot' service ! -
Bonjour à toi Phiren... Myrrhe, soldat de la garde de Fohodin. "
Elle se tourna immédiatement vers le greffier. Non pas qu'elle se veuille insolente, mais elle crû remarquer le regard que le damoiseau adressa à son corps, et celui-ci ne fut pas pour la flatter, bien au contraire. Alors plutôt que de s'énerver sur un badaud aux grands espoirs et au gourdin prêt à sortir à la vue de la première jeune fille, elle préféra se raccrocher à sa nature plus ... professionnelle :
"
Pardonnez moi Père Ytrot, mais je crois avoir compris que l'affaire était urgente. Nous parlerons de cette histoire de paiement plus tard. Avant toute choses, savez vous d'où viennent les peaux-vertes ? Ont-ils une tanière, ou un abri que vous auriez découvert ? Sinon, une simple direction générale m'aiderait déjà à entamer mes recherches. "
L'homme en face d'elle sembla réfléchir un court instant, puis se permit de sortir un vieux bout de parchemin qu'il avait dans une des étagères jouxtant le mur austral de sa bicoque. Une fois étalé sur son bureau, l'antique papier révéla une vieille carte des alentours du village. Par chance, les changements dans cette campagne se faisaient si lentement qu'elle était encore à jour. L'homme plaça alors l'un de ses doigts sur le morceau de papier, entamant son explication sans attendre. Bien entendu, le jeune homme ne manqua pas non plus de s'inviter à la table, mais pour le greffier, ça n'avait guère d'importance. Pour Myrrhe, c'était un peu plus gênant... Elle commençait à pressentir qu'elle n'allait pas franchement avoir la paix au vue de la présence insistante et assurée du jeune homme. Un chevalier ? Si c'était le cas, elle aurait bien aimée connaître qui l'avait ainsi nommé, et de quel droit. Enfin, elle se tint de lui faire un reproche, se concentrant sur ce que lui expliquait le vieux lettré :
" Nous sommes ici, un peu sur la bordure Nord du village. Si vous suivez le chemin en direction de la ferme du couple Ronguard, il y a un croisement avec une route plus importante de la région. C'est à ce croisement qu'on a eut des soucis. Dans la majorité des cas, ces petites saloperies s'enfuyaient ensuite dans les bois juste au Sud. On a pas vraiment cherchés à les suivre plus loin, not' vieux garde forestier a la patte folle depuis qu'il a croisé une mère et ses marcassins. "
Il se redressa en soupirant.
" Je ne peux malheureusement vous aider plus.
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C'est amplement suffisant, merci beaucoup mon Père. Je vais immédiatement me mettre en chemin, en espérant obtenir déjà quelques pistes. Je vous tiendrais au courant. "
Elle se permit une nouvelles courbettes de salutation, puis se tourna vers la porte. Il était temps de se mettre en route pour accomplir son devoir.