- ... alors ?
- Yep, c’est pas d’la camelote. Un beau bijou. Des détails soignés. Des joyaux finement ciselés. Un travail d’orfèvre. J’ferais mieux d’pas demander où t’as pu t’dégoter ce collier, j’imagine ?
- Héhé, non effectivement, il ne vaut mieux pas.
Ulric souriait en coin. Son propriétaire légitime croupissait sans doute au fond des mers, à l’heure qu’il était. Un aristocrate un peu trop fantasque, qui avait confondu les comptes chevaleresques avec la réalité, et qui avait bêtement risqué sa vie en s’opposant au pirate. Mais cela n’avait aucune importance, maintenant. Le receleur savait que, dans ce business, moins il en savait et mieux il se porterait. L’opportunité était là, la grande question était : comment pouvait-il en profiter. Tout le reste n’était que de l’ordre du détail.
- Combien je pourrais en tirer, tu penses ?
- Bouarf... Pour un noble, ça ferait un très beau cadeau pour une fille, une femme, ou une amante. A la bonne personne, tu pourrais en tirer un bon 200 pièces d’or, j'pense. Mais trouver un acheteur s’ra pas facile. Sinon si tu veux t’en débarrasser vite fait, j’peux t’en proposer 90 pièces d’or. T’en dis quoi ?
- Qu’un tiens vaut mieux que deux tu l’auras. Va pour 110 pièces d’or.
- Ah mais non, j’ai dit 90.
- Oui c’est ça, 90 de bénéfices. Je te le vends 110 et tu le revendra 200, le compte est bon.
- Mais c’est pas c..
- C’est un bon deal non ? Enfin pour toi. Plus j’y pense, plus je me dis que je pourrais peut-être en tirer un meilleur prix ailleurs...
- Arf... ouais bon, d’accord, va pour 110. Putain, t’es toujours aussi dur en affaires, Ulric.
Satisfait de son échange, le pirate quitta l'entrepôt, la bourse pleine de pièces d’or. Il la dissimula méticuleusement dans le pan de sa tunique, pour éviter de tenter les voleurs, et s’en alla rejoindre le reste de son équipage dans leur lieu favori à Nexus : la taverne du Port-Salut. L’ambiance y était bonne, l’hydromel y était bonne, les serveuses y étaient bonnes, que demander de plus ?
En chemin, un hurlement attira son attention. Il venait d’une ruelle proche, un cri féminin, qui appelait à l’aide. Malheureusement pour elle, son appel était vain aux oreilles d’Ulric. Il n’avait rien d’un preux chevalier, et ne comptait pas l’être non plus. Les agressions, parfois terribles, étaient malheureusement courantes dans cet endroit de la cité. Aussi cruelle soit la vie, c’était à chacun de prendre son destin en main. La prochaine fois elle prendra peut-être davantage de précautions, songea-t-il. Cependant, un détail ne lui avait pas échappé, titillant sa curiosité. La femme avait un accent étranger, très particulier, qu’il ne reconnaissait pas. Le pirate avait pourtant beaucoup bourlingué, et côtoyé des femmes venant des quatre coins du monde. Mais elle... Il continuait à marcher en direction de la taverne, pensif.
Jusqu’à ce que sa curiosité prenne le pas sur ses instincts. Il rebroussa chemin, et se hâta vers l’origine des cris. Il ne tarda pas à les retrouver, aussi bruyants que des vendeurs sur la place du marché. L'œil avisé du pirate les détailla avec attention. Trois hommes et une femme. Personne d’autre aux alentours, ni guet, ni passant. Les agresseurs étaient pauvrement vêtu, sans armes visibles, concentrée sur leur victime. Leur posture était typique du vaurien de caniveau. La jeune femme, quant à elle, était combative, mais impuissante, et terrifiée. L’intuition d’Ulric ne l’avait pas trompée : en plus de son accent, ses vêtements aussi semblaient venir d’une autre contrée, il n’avait jamais rien vu de tel. Et, cerise sur le gâteau, elle était tout à fait séduisante. Suffisamment pour qu’il révise sa décision de ne pas intervenir. La jolie rousse pouvait remercier sa bonne étoile.
- Vous avez les oreilles trop crasseuses pour entendre la demoiselle ? Elle vous a dit d’arrêter.
Les trois compères firent volte-face, surpris. Ils ne s’attendaient pas à être interrompus, et n’appréciaient manifestement pas l’intervention. Le plus gringalet des trois rétorqua sèchement.
- Tu veux quoi le guignol ? Dégage, elle est à nous. Tu peux r’garder si ça t’excite, mais t’attendras ton tour.
- Laissez là tranquille. C’est mon dernier avertissement.
- Oï, i’s’prend pour qui lui ? T’vas nous casser les couilles encore longtemps ? Ou tu cherches à c’qu’on t’casse la gueule ?
L’un d’eux, au physique massif, s’avança vers lui, les poings serrés. Il se voulait menaçant, mais Ulric restait stoïque, un sourire au coin des lèvres. Sa démarche était celle d’une brute, pas celle d’un combattant : il ne fera pas le poids.
Lorsque le brigand fut suffisamment proche, et en un instant, sa lame grinça hors de son fourreau, siffla dans les airs, et s’arrêta net contre sa gorge. Le geste était vif, précis, maîtrisé. Un long temps de réaction plus tard, la brute eut le réflexe de reculer, incrédule. Le coup aurait pu être fatal, et il en avait conscience. De concert, les trois agresseurs dégainèrent chacun un poignard caché sous leurs guenilles. Des armes certes plus petites, mais tout aussi létales. Cependant, même à trois contre un, le pirate restait confiant.
- Vous tenez vraiment à vous battre pour une gonzesse ? Moi ça me va. Alors, qui veut perdre sa tête le premier ?
Ils se regardèrent, hésitant. Ulric visait juste. Nul doute qu’ils se pensaient capable de l’emporter, mais ce ne sera pas sans blessures, et le jeu n’en valait pas forcément la chandelle. Après un petit moment, le gringalet conclut.
- V’nez on s’casse, pas d’temps à perdre avec un guignol et sa pouffiasse. Mais c’est pas fini, on s’retrouvera un jour ou l’autre, et on t’fera la peau, c’est sûr !
Son sabre toujours pointé dans leur direction, le temps qu’ils disparaissent dans une ruelle adjacente, il la rengaina finalement, et porta son attention sur l’origine de toute cette histoire : la belle étrangère. Et il espérait bien que, pour lui, le jeu en valait la chandelle, et qu’il en tirerait une récompense aussi délicieuse que ses rondeurs. Mais, pour l’heure, elle devait certainement être en état de choc. Il s’approcha lentement d’elle, une main tendue, bienveillante.
- Vous allez bien, mademoiselle ? Vous n’êtes pas blessée ?
Il la laissa reprendre ses esprits, en restant présent à ses côtés. Ses gestes étaient doux, mais son regard était perçant, presque intrusif. Il l’observait de la tête au pied, avec une curiosité assumée, et ne la quittait du regard que pour vérifier autour de lui que personne n’allait les prendre par surprise. Une méfiance instinctive.
- Les rues ne sont pas sûres ici. Il vaudrait mieux trouver une chambre, ne serait-ce que pour vous reposer un peu. Je connais justement une bonne taverne non loin d’ici.
En effet, rester dans la rue n’était pas des plus recommandé. C’était une occasion toute trouvée pour être seul avec elle, mais la justification restait légitime. Forcément, Ulric la guidait, comme s’il prenait soin d’elle et avait la situation en main, mais au fond il préférait ne pas la brusquer ou lui imposer des décisions si elle avait un autre avis.
Pour briser la glace, et en apprendre un peu plus sur elle, il lui demanda.
- Pardonnez ma curiosité, mais j’ai l’impression que vous n’êtes pas du coin. Je me trompe ?
Dans la foulée, et fidèle à son esprit taquin, il improvisa, avec la plus grande assurance.
- D’ailleurs, pour l’anecdote, dans ce genre de situation, la personne en difficulté embrasse généralement la personne l’ayant aidé. Enfin, vous savez, c’est une vieille tradition ici.