Depuis combien de temps n'avais-je pas été si fière de moi, fière de mon travail ? Quelques jours seulement, puisque j'accomplissais toujours les missions qu'on m'attribuait avec brio. Mais cette fois, c'était différent. J'avais tout fait moi-même, absolument tout. D'ordinaire, le maître me donnait des informations nécessaires à la réussite de ma mission grâce aux observations du monde qu'il effectuait périodiquement au travers des yeux de The World, comme les coordonnées spatiales des lieux d'intérêt afin que je puisse m'y téléporter. Mais cette fois, je m'étais débrouillée pour tout trouver. Cela m'avait demandé de nombreuses heures à feuilleter des livrages anciens et probablement dérobés à je ne sais quelle institution puisque je les avais achetés de façon très peu légale, auprès de vendeurs particulièrement douteux. Ces livres d'un autre temps parlaient de guerres, de conflits raciaux, de divinités impies, mais surtout de runes et d'artéfacts qui seraient en la possession d'une race recluse à des lieues sous la terre. Les « ilythiiri », selon l'un de ces ouvrages qui les décrivait comme des elfes corrompus par la magie noire. En me renseignant davantage auprès d'anciens ou de prétendus connaisseurs, j'avais à peu près assimilé les règles régissant leur monde, ou au moins les plus basiques. Mais ça, bien sûr, c'était si on ne m'avait pas raconté les rumeurs de temps anciens.
Pendant des jours, j'avais pris le temps de préparer ma future expédition en me renseignant sur l'Outreterre et sur ce que j'étais susceptible d'y rencontrer. Des monstres, beaucoup de monstres. Cependant, mon immortalité m'empêchait de ressentir la moindre peur, même face à une créature dont j'ignorais les capacités. C'est pour ça qu'au final, je m'étais laissée aller et n'avais emporté avec moi que l'une de ces nombreuses encyclopédies d'un autre temps pour l'accrocher à une épaisse ceinture de cuir capable de supporter son poids. En dehors de cette ceinture, j'avais choisi de m'habiller comme le ferait une aventurière, avec des gants, des bottes, une cape et une tunique de laine. Enfin presque. N'aimant pas l'esthétique des pantalons de toile, j'avais opté pour une jupe qui ne dissimulait pas mon meilleur atout, mes jambes. J'avais aussi gardé quelques bijoux en ma compagnie, notamment un collier en argent terminé par un pendentif orné d'un topaze bleu ainsi qu'un bracelet forgé dans le même argent, sans pierrerie mais gravé de quelques runes communes supposées attirer la bonne fortune. Dans cette simple tenue, sans la moindre arme, je m'étais téléportée à l'une des localisations trouvées par mes soins.
Dépaysement total. Après avoir ouvert les yeux, je constate que cette Outreterre ne ressemble en rien à ce que j'avais pu connaître avant. C'est sombre, rocheux, étouffant, silencieux... Je venais peut-être même de débarquer loin de toute civilisation. Je soupire, lasse, et m'asseois dans les airs après avoir commencé à léviter. Je détache l'encyclopédie de ma ceinture et commence à la feuilleter. Pas moyen de trouver où j'étais, pas même en observant les roches du coin. Génial. Et puis je n'étais apparemmet pas seule. J'entends des grognements sourds derrière moi, puis je distingue une ombre qui rend ma position encore plus obscure. Une grande ombre. Je soupire une nouvelle fois en claquant le livre et disparais. Une grande gueule se referme pile à l'endroit où j'étais avant. Malheureusement pour la créature, je me trouve maintenant sur son dos.
« Ce n'est pas bien d'interrompre quelqu'un dans sa lecture, mon loulou. Tu as beau être mordu de mon charme irrésistible, ce n'est pas une raison pour en oublier les bonnes manières. »
La bête s'agite. Je m'empare de sa crinière d'une main pour rester accrochée et utilise l'autre pour entamer l'ouverture d'un portail que je dispose près des pattes sur lesques le monstre se tient. Puis j'en ouvre un deuxième, de taille toute aussi importante, que je place juste devant la tête de la bestiole et que j'attire ensuite à moi. Le portail avale la tête de la bête en une fraction de seconde, têt qui ressort par l'autre portail. Dans sa rage, le monstre d'origine inconnue se mord violemment les pattes et finit par s'écraser au sol des suites de sa blessure. Juste avant l'impact, je referme mes portails et me téléporte à terre en soufflant.
« J'aurais bien envie de dire que t'es mordu la langue, mais c'est bien plus grave que ça. Reste couché et calme pendant que j'étudie, s'il-te-plaît. »
Se tenant d'ordinaire sur deux pattes, la chose blessée n'était plus en mesure de me suivre. Je me remets donc en marche et reprends la lecture de l'ouvrage antique en m'éclairant du mieux que je le pouvais, chose difficile en ces lieux à cause de l'absence de soleil. Au cours de mon trajet, j'ai l'étrange sensation d'être suivie. Je me retourne d'ailleurs plusieurs fois mais n'aperçois jamais rien. Ai-je pénétré en territoire inconnu ? Il serait normal que je sois filée pour cette simple raison. Mais si c'est le cas, alors on était déjà au courant de ma venue ici, à moins que cette sensation d'être observée soit purement imaginaire. Je me résous à ignorer ce sentiment et hausse les épaules.
Combien de temps ai-je passé à calmer des créatures hostiles et à marcher, depuis mon arrivée ? Je ne ressens aucune fatigue et n'ai pas le moindre outil capable de me donner ne serait-ce qu'une seule indication temporelle. Je ne ressens ni la faim, ni la soif, puisque je n'ai jamais besoin de manger ou boire. De fait, j'en arrive à la conclusion que je marche peut-être depuis des jours, sans même m'en rendre compte. Mais c'est cette différence qui m'a permis de trouver cette ville, ou cette forteresse souterraine, ou... peu importe. Ce lieu regorge de vie et a une architecture plus classique que ce à quoi on pouvait s'attendre de la part d'une civilisation recluse. J'en arrive néanmoins à la conclusion qu'il s'agit d'une ville, et pas des moindres. À la vue de celle-ci, je décide de m'y téléporter directement, atterrissant sur le toit d'un bâtiment plutôt élevé par rapport aux autres. Suis-je déjà repérée ? Je n'en sais absolument rien, mais ça ne m'étonnerait même pas. Je continue pourtant de jouer la carte de la discrétion et observe les environs avec intérêt. Si j'étais un artéfact magique de valeur, ou est-ce que je serais cachée ? Sûrement dans cet autre bâtiment aux allures à la fois sinistres et magistrales. L'ayant en visuel, je n'ai bien sûr aucun mal à atteindre son toit avec ma téléportation. Ce que je n'avais pas prévu, par contre, c'était la présence de ce qui ressemblait à des gardes, ou quelque chose comme ça. Oreilles pointues, peau particulièrement sombre, air féroce et fier. Des ilythiiri. Cette race ne semble d'ailleurs pas porter mon arrivée mystérieuse en haute estime, si j'en juge par les armes que les gardes brandissent. Approche diplomatique : échec. Quoique ?
« Ca ne sert à rien de s'agiter. Je peux disparaître aussi vite que je suis apparue, et cette fois je tâcherai de ne plus vous croiser, leur transmets-je en prenant une posture assise en lévitation. Hmm... Je sais. Vous n'avez pas un chef ou quelque chose comme ça ? Quelqu'un à qui je pourrais parler pour dissiper ce malentendu. Je ne suis pas venue ici pour que mes habits soient tâchés par du sang de piétaille. »
Tant pis, c'est mort. J'ai envie de jouer. C'est parfois difficile d'être comme ça, vous savez. Je dois maintenir choisir mon amusement personnel quitte à devoir effectuer la mission de façon criminelle, chose que j'appréciais moins, ou rester dans la légalité au risque de m'ennuyer. Que faire ? Je penche la tête sur le côté alors que ma dernière réplique semble avoir énervé les gardes. Je les observe puis laisse mon regard glisser sur l'escalier juste derrière. Je souris, ayant trouvé ma porte de sortie, et lévite soudainement vers l'arrière, jusqu'à être au dessus du vide. « Oups », je n'ai plus de sol à un mètre de mes pieds, ma lévitation ne fonctionne plus. Je tombe dans le vide, mais toujours avec le sourire. Comme prévu, les gardes acourent à mon ancienne position et me regarde chuter avec un air incrédule. Mais au dernier moment, peu avant de m'écraser, je disparais. Je me suis téléportée... juste dans les escaliers vus précédemment. J'adresse un signe de la main aux gardes qui, évidemment, ne me voient plus puisqu'ils observent bêtement le sol, et descends silencieusement les escaliers qui s'offrent à moi.
« Bon. Vu l'architecture du bâtiment, ça m'a l'air d'être le plus important, murmurè-je en descendant les marches d'un pas lent et feutré. Ne reste plus qu'à trouver la personne en charge ici. Je me suis assez amusée avec ceux là-haut... »