Pony sentait le regard de l'homme se poser sur elle, à même fréquence que sur sa manager. Elle appréciait ce détail, qui prouvait une volonté de démontrer un intérêt partagé pour ses deux interlocutrices. La chanteuse avait du mal à supporter lorsque, lors de certains rendez-vous professionnels ponctué de la présence de ses managers, elle demeurait dans l'ombre, la reléguant au rang d'enfant que l'on ignorait, prétextant l'aspect "adulte" des conversations. Certains devaient juste penser qu'elle avait juste assez de cervelle pour remplir un coquetier, et certainement pas les capacités nécessaires pour gérer l'aspect financier et contractuel de son travail. Joie.
Par contre, le léger malaise qui avait régné juste après les présentations laissait planer une question : l'avait-il reconnu ? Pony était habituée à se faire reconnaître par chacune des personnes qui la croisait. Il y avait toujours une admiration plantée dans le regard, une intimidation notable, également. La chanteuse n'avait rien vu de tout cela sur le faciès de son - peut-être - futur tuteur.
Il y avait un petit quelque chose d'appréciable dans ce fait. Une fraîcheur par rapport à d'habitude, agréable à accueillir.
« Je mets un point d'honneur à organiser chaque heure de ma journée plusieurs jours à l'avance afin de ne pas être dépassé en cas de surprise.
Étant célibataire, mon travail est mon unique priorité à l'heure actuelle. J'ai d'ailleurs pris la liberté de m'arranger avec mes collègues pour reprendre certains de mes groupes de soutien avant de prévenir mes élèves de ces possibles changements. »
Harley nota consciencieusement les paroles de l'homme sur son carnet, tandis que Pony plissait les yeux. Elle n'avait, bien sûr, retenu qu'une chose, la chose qu'aurait retenu la plupart des adolescentes de son âge, lorsqu'un élégant et bel homme évoquait les détails de sa vie conjugale. La jeune fille retint un ricanement, pas dupe. Pour la forme, elle vérifia quand même son opinion en reniflant doucement, mais ce qui lui semblait se confirma.
Vilain menteur que cet humain, qui avait sûrement eu des mains douces et chaudes autour du cou quelques heures auparavant !
Si Pony ne possédait pas toutes les capacités que pouvaient posséder les vampires classiques, elle avait conservé de son héritage des capacités olfactives mieux développés que celles d'un humain ordinaire. Les effluves d'un parfum se dégageaient des épaules de l'homme. Et ce n'était pas un parfum masculin. L'odeur d'une femme émanait de lui, de plusieurs femmes, même, en quelque chose de si subtil que lui-même ne pouvait pas le sentir, mais qui était perceptible pour des créatures à l'odorat développé.
Pony haussa juste les épaules mentalement. Ce type avait le droit de vouloir conserver certaines choses secrètes, non ? Qui était-elle pour juger, après tout...
Au final, Harley eut l'air satisfaite des réponses du professeur. Elle ne s'attendait pas à ce que lui-même en pose une, du moins si tôt dans l'entretien, et le ton interrogateur de l'homme lui fit relever la tête de son carnet.
« Je m'excuse par avance si ma question vous offense, mais... A qui dois-je enseigner ? Vous ne m'avez donné aucun renseignement à ce sujet. »
Pony jeta un coup d’œil à Harley, qui arborait un air mortifié derrière ses lunettes. La jeune femme se donnait tellement dans son professionnalisme que la moindre faute du genre entraînait un embarras paralysant de sa part. Pony aurait aimé la taquiner, mais elle se dit qu'elle garderait ça pour plus tard. Bonne pâte, elle préféra prendre les rennes pour laisser sa manager se remettre de ses émotions.
L'adolescente éclata d'un rire cristallin, qui brisa le silence gênant qui s'était installé et détendit l’atmosphère.
« Ha ha... on est désolé, Mr. Solis, moi et ma manager... enfin, disons qu'on est tellement habituées à ce que toutes les personnes que nous rencontrons me connaissent et connaissent mon cas, que... on a dû automatiquement supposer que vous comprendriez, sans plus d'explications ! »
Contrairement à Harley, Pony perdait facilement son professionnalisme. Elle entendait déjà la voix de la femme stricte dans sa tête, lui soufflant qu'on ne disait pas "on", mais "nous", que le ton de la voix ne devait pas s'élever, et d'autres commentaires du même genre qu'elle entendrait une fois l'entretien terminé et l'homme en dehors du building. La familiarité de la demoiselle n'était pas choquante, mais juste soudaine, au milieu de tout ce professionnalisme.
Pony se désigna donc du doigt, souriant à Mr. Solis d'un air désolé.
« - C'est à moi que vous devrez enseigner, en fait... c'est moi, la starlette qui a pas assez de temps pour aller en cours et qui a besoin que l'on vienne sonner chez elle pour lui faire ouvrir ses cahiers, hé hé ! »
« - ...Effectivement. »
Enfin remise de ses émotions, Harley replaça ses lunettes sur son nez, et accorda même à Arlan un de ses rares sourires en situation de travail.
« Nyoko a raison, nous avons l'habitude de traiter avec des clients qui connaissent les moindres détails de sa vie et de son patrimoine, et il est rare que nous rencontrions quelqu'un qui n'a jamais eu vent d'elle, pour ainsi dire. J'espère que vous saurez nous pardonner nos, hum, conclusions hâtives. »
Pony roula des yeux intérieurement, déçue que l'entretien ne garde pas la tournure qu'elle venait d'installer. Franchement, ce type allait probablement lui faire cours dans sa chambre et voir le pyjama à fraises qu'elle portait au saut du lit, les manières ampoulées n'allaient plus être trop adéquates après quelques cours de pris ! Elle remit son menton dans sa main, retenant un soupir de frustration, pendant que Harley continuait à poser diverses questions, concernant les temps de déplacement, les qualités et les défauts du candidat, les exigences de salaire... et, au final, le petit problème qu'allait poser le peu d'éducation qu'avait reçu la jeune fille durant ces dernières années.
« - ...pour finir, Mr Solis, je me dois de vous préciser que Nyoko a, disons... quelque peu déserté les bancs de l'école, ces dernières années.
- ...N'exagérons rien, quand même...
Elle était soudain gênée par cette révélation. Quand même, on n'allait pas la faire passer pour une retardée, non ?
Harley lui lança un regard en coin qui lui suggérait fortement de se taire. Ce qu'elle fit, un peu vexée.
- Nous avons fait l'erreur de l'inscrire directement au lycée de Mishima et d'espérer que des conditions d'études ordinaires se marieraient bien avec son emploi du temps. Malheureusement, si c'était fonctionnel au tout début de sa carrière, ça ne l'est désormais plus, et c'est ainsi que Nyoko a un peu déserté les bancs de classe, si je puis dire. Je pense que son niveau ne doit pas être supérieur à celui d'une élève de seconde moyenne.
Par ailleurs... J'imagine que vous vous en doutez, mais un emploi du temps d'idole est bien plus chargé que celui d'une élève de terminale classique. Nyoko doit jongler entre ses heures d'enregistrements, ses cours de danse, de chant, d'instrument... la liste est longue, et je crois que je saurais mieux vous la résumer si je vous montre directement le résultat.
Harley sortit une feuille d'une pochette, qu'elle donna à l'homme pour qu'il puisse l'examiner.
Il s'agissait d'une copie de l'emploi du temps hebdomadaire de Pony. Un emploi du temps où pratiquement toutes les cases étaient remplies, les journées s'étalant de 8h à 21h, avec quelques rares cases survivantes, sur le point d'être comblées par cette nouvelle tâche. Pony ne voulait même pas y jeter un coup d’œil, elle le connaissait par cœur de toutes façons. Mais surtout, la simple perspective de voir tout ce qu'elle devait faire en version résumé lui donnait envie de rendre son dernier repas.
- Voilà ce avec quoi nous allons devoir travailler. Je pense que votre organisation et votre flexibilité nous seront bien utiles, ici. »
Tu m'étonnes, pensa l'idole avec un petit sourire aux lèvres. Elle qui connaissait ce monticules d'heures par cœur, elle savait déjà avec quoi l'homme devait s'arranger. Il n'y avait pas de créneau dans ses après-midi, hormis le dimanche, un jour où personne n'avait envie de travailler. Les pauses déjeuners étaient également trop courtes, excluant une possibilité de ce côté-là. En faisant un rapide calcul mental, la chanteuse estima qu'il n'y avait que deux possibilités de rencontre : soit très tôt le matin, soit très tard le soir.
Et si elle avait son mot à dire... très tôt le matin, c'était... ugh.
Et très tard le soir ? Impossible qu'il accepte, songea-elle, épuisée à l'avance de devoir se lever encore plut tôt qu'à l'ordinaire. Contrairement à elle, les gens avaient une vie après le travail. Ce mec s'était déjà révélé surprenant une fois, cela dit... peut-être devait-elle s'attendre à tout et n'importe quoi de sa part.