Ils allaient loin, les clichés des gitans. Bohémiens, voleurs ou païens, traîtres à leur sang... l'avis des gens était rarement justifié, mais jamais égalée en matière d'intolérance. Luna se souvenait vaguement d'une charmante rencontre avec un garçonnet au détour de ses six ans, qui lui avait offert des fleurs... bon, d'accord, des fleurs de pissenlits, dont la terre pendait encore des racines, mais c'était l'intention qui comptait... c'était d'ailleurs sans compter l'intervention d'une mère assez protectrice à l'égard de son enfant. Les pissenlits s'étaient retrouvé réduits en bouillie, et elle n'avait plus jamais recroisé le gamin depuis.
Bien que Luna ne soit pas une gitane de pure sang, avec ses cheveux dorés et sa peau moins mate que celle de ses frères et sœurs… mais elle était une gitane de part le mode de vie, la forme de ses pensées, et sa famille commune. Jamais elle n'avait été autre chose, et jamais elle ne serait autre chose, certainement.
Aussi, l'air surpris de Poséidon la fit très soudainement sourire sous cape. Elle tenait à conserver sa froideur habituelle, qui relevait plus du stoïcisme qu'autre chose. Comme il faisait relativement chaud sous sa tente, la gitane avait daigné enlever son légendaire châle à perle, dévoilant ses longs cheveux blonds comme les blés, légèrement marqués par les ondulations qui ressemblaient à d'épaisses vagues d'or. Son visage également bien découvert, ses yeux rouges brillaient comme ceux d'un chat, dans la légère obscurité de la tente...
Elle écouta poliment les demandes qu'elle recevait de la part de Poséidon, le menton dans ses mains nacrés, les yeux mi-clos. Ce n'était jamais que des demandes habituelles : chaque client posait les mêmes questions. S'aurait pu être lassant, si ça ne changeait jamais, et surtout, si Luna ne pouvait voir précisément ce qui allait leur arriver. Étrangement, ils avaient toujours l'air plus intéressée quand elle prédisait des problèmes divers, ou des morts, dans le cas extrême.
Complètement illogique, mais la nature humaine était imprévisible, et c'était ce qui faisait sûrement son charme...
Après un temps, Luna hocha doucement la tête, et se releva pour tourner le dos à son client et se diriger vers une étagère improvisé. Au début, c'était dans une intention bien particulière : ouvrir la boîte qui contenait son Oracle. Ce que tout le monde prenait pour une arme. Une longue chaîne souple, au bout de laquelle pendait deux joyaux mauves, de chaque côtés.
Il permettait de connaître la race de l'individu qui faisait face à Luna, quel qu'il soit. Elle avait appris à ne pas trop s'y fier : les humains pouvaient égaler les Démons en cruauté, et avoir autant de pitié qu'une Succube affamée... Aussi, décida t-elle de le laisser là ou il était. Après tout, si elle devait tout savoir, ce ne serait vraiment pas drôle. Son après-midi serait bel et bien fichu.
Bon, elle risquait d'être assez... occupée cet après-midi, avec son beau client, mais elle ne le savait pas encore, ça, par contre~
En même temps que la bohème farfouillait dans les commodes rapiécés du meuble, elle éclaircit un premier point pour Poséidon :
« La méthode par boule de cristal prend énormément de temps, et d'énergie... je préfère utiliser des méthodes simples, qui me conviennent mieux. »
Finalement, Luna trouva ce qu'elle cherchait. Elle revint avec deux bougies, ainsi qu'un bâton d'encens. Deux éléments normalement coûteux, sur Terra, mais Luna ne les tirait pas de sa poche, fort heureusement.
Elle craqua une allumette, et les deux bougies ployèrent un peu sous les flammes. Le bâton d'encens répandit rapidement son odeur douceâtre, tandis que Luna expliquait ses faits et gestes à Poséidon en reposant ses fesses fermes sur le fauteuil.
« La pratique de la voyance requiert une importante quantité d'énergie. Si jamais votre aura est puissante de nature, entrer dans votre avenir pourrait m'être néfaste. La bougie (elle désigna du doigt la flamme vacillante) est une bonne arme de purification, tandis que l'encens (sa main oscilla vers la source du parfum) un instrument d'élévation spirituelle. »
Elle expliquait d'une voix claire, voyant Poséidon intriguée par de telles pratiques. Cependant, son regard fixe, bleu, profond, la déconcentra vaguement pendant quelques secondes, et elle perdit le fil de ce qu'elle disait. Baissant ses yeux, la bohème s'éloigna un peu des bougies pour éviter qu'il n'aperçoive la rougeur soudaine de ses joues, multiplié par trois, à cause de son hypersensibilité. Pour conclure les explications, elle annonça simplement, d'une voix plus douce et moins froide :
« ...Il faut... aussi voir les jours de la semaine... Aujourd'hui, nous sommes dimanche... alors, j'ai mis des bougies dorés. »
Elle fronça les sourcils en désignant la couleur peu visible des bougies. Mais la dernière remarque était plus pour reprendre contenance qu'autre chose. Que lui arrivait-il ? Elle venait de faire passer une dizaine de clients, dont le quart était des hommes, et ses réactions n'avaient jamais autant différés...