Il boit. C’est au moins cela de gagné. Je n’aurais pas voulu le forcer à boire davantage en lui basculant la tête en arrière, la bouche ouverte. Enfin, s’il avait fallu faire cela pour qu’il survive, je l’aurais fait. Mais je n’en suis plus là désormais. Il se réhydrate un peu, c’est un petit pas pour qu’il reprenne des forces. Il avait encore la force d’avaler, et de parler, assez du moins pour me répondre, se présenter.
- Enchantée, blondinet.Lamnard. Je saurais m’en souvenir, quand les âges auront passé, ou le jour où je me retrouverai coincée, avec des problèmes aux fesses, même si je ne pense pas que cela arrivera. Je fais bien trop attention à tout cela. On ne vit pas près de trois siècles, sans apprendre à survivre et à échapper à ceux qui nous veulent du mal. Pas sans savoir se battre, se défendre. À l’écoute de tout ce qu’il y a autour de nous, j’arrive à ne plus faire attention au souffle du jeune humain, et encore moins à son rythme cardiaque. Mes paupières scellent mon regard, et concentrée, j’essaie d’entendre ce que nous réserve le temps, en dehors de la grotte. La tempête est encore là, moindre, certes, mais toujours là. Je souffle un peu par le nez, essayant de rester patiente. Ce n’est pas tout de suite que nous allons bouger.
Enfin, lui décide de se mouvoir un peu pour se coller davantage à moi, comme pour profiter de ma chaleur. Ou d’un peu de réconfort ? Je sens ma peau brunir au niveau de mes joues, sans que je puisse le contrôler. En réalité, ça me met un peu mal à l’aise, surtout parce qu’il m’a pris par surprise. Je ne m’y attendais vraiment pas. Petit con. Retiens-toi, Yukka…Tu ne vas pas faire voler un blessé, tout de même. Et puis, il ne doit pas être conscient de ce qu’il est en train de faire, du moins, pas entièrement. Petite chose blessée et curieuse…Tss. Je ne t’en veux pas. Si j’étais humaine, moi aussi, je demanderai de quelle race est la créature qui m’a sauvée. C’est d’un ton neutre que je lui réponds.
- C’est normal. Je suis la dernière des Nunaat.Mmh…Je pourrais lui expliquer davantage, mais pour le coup, je n’en ai pas vraiment l’envie. Cette histoire est assez vieille, d’une autre époque, même ancienne par rapport à l’âge que j’ai aujourd’hui, mais…La blessure est toujours là. Ma soif de vengeance n’est toujours pas satisfaite. Elle me brûle. Ça fait mal. Je fixe l’éphèbe blond, qui ressemble un peu moins à un cadavre. Tu remues bien des choses, Lamnard, par cette simple question. Curiosité, quand tu nous tiens.
Une de mes mains se détache de son corps pour aller fouiller dans mon sac, que j’ai laissé à côté de moi. Concentrée, je suis à la recherche de…Ah ! Trouvé. Enfin, je sors ma dextre agrippant une petite bourse. Avec dextérité, j’arrive à l’ouvrir et en sortir quelques petites baies, mais en premier lieu des framboises et des mûres. J’approche une framboise près des lèvres du survivant.
- Essaie de manger, sinon, tu ne regagneras jamais des forces. Et tu ne sortiras jamais d’ici.S’il arrive à les manger, j’essaierais de lui donner de la viande séchée. Les baies sont bien assez molles pour qu’il puisse les ingérer et ne pas se fatiguer à mastiquer comme un fou. Et…J’espère le faire réagir aussi. Je pourrais le porter et le faire sortir de cette caverne quand la tempête sera terminée, mais je sais aussi que l’instinct de survie peut pousser les âmes à trouver une autre force au plus profond d’eux-mêmes.
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Tout est encore sombre autour de moi. « Sombre »…Je devrais dire d’un blanc laiteux, comme si je baignais dans un bain au lait d’ânesse. J’ai beau papillonner des paupières ainsi, pour tenter de mieux voir ce qui m’entoure, pour l’instant, rien. Je sens aussi que mon corps est lourd. Bien que je sais être sur Lamnard, entre ses bras ou son dos, je sais qu’il prend soin de moi. Je n’arrive pas à parler. Mes lèvres semblent s’entrouvrir mais rien ne s’en échappe, mis à part mon souffle qui est lourd et ronfle dans le brouhaha de notre avancée.
Je mets du temps avant de voir la silhouette du blondinet, enfin, d’en distinguer les traits flous. Ma respiration encore profonde, je reprends peu à peu mes esprits, ou plutôt ma mâchoire semble vouloir articuler quelques mots pour me faire comprendre de ma compagnie masculine.
- Putain d’me…La douleur au niveau de ma taille me tiraille subitement et m’arrache une grimace. Au moins, il avait réussi à se défaire de mes chasseurs, et je l’en remercierai jamais assez pour cela. On peut dire qu’il était tombé à point nommé. À croire, peut-être, qu’il y a une bonne étoile qui veille sur moi et qui ne souhaite pas me voir mourir. Pas encore. Ce surnom qu’il me donne m’aurait fait grogner si j’avais été en pleine possession de ma personne, mais cela ne m’arrache qu’un petit rire, sachant parfaitement qu’il en profite, le salaud. Je le fixe, son profil trouble, de mes yeux sans pupille ni iris.
- Tu as de la chance que je sois dans…Cet état…Je grogne l’espace d’un instant, retenant un ricanement pour ne pas souffrir davantage.
- Sinon je ne me serais pas gênée pour te foutre un pain dans les valseuses pour ce surnom débile.Mais l’heure n’était plus à la plaisanterie. Si je continue de saigner, je ne vais pas m’en sortir. Avec ce qu’il me reste de force, j’arrive à bouger mes bras pour plaquer mes mains sur la blessure et appuyer, retenant ma douleur de par ma mâchoire serrée. Putain que ça fait mal…J’observe Lamnard un moment, avant de me remettre à parler. Correctement, je l’espère.
- De l’eau…Du thym pour nettoyer…Puis du miel, et des feuilles de choux en cataplasme…Et un bandage pour tenir tout ça…J’avais…Dans mon sac…Mais à dire vrai, je ne sais même pas si je l’ai encore sur le dos. La seule chose que je ressens là, c’est ma taille et ma cuisse…Il faut dire que j’ai failli servir de viande à brochettes pour un futur feu de joie.