Vingt heure, ou vingt et une heure, quelle heure était-il ? Natacha jeta un coup d’œil à son poignet nu et, se rappelant que sa montre devait errer sous son lit, elle pressa le pas sous les lumières crues de l’éclairage public. Tant pis pour l’heure. Avec cette sale journée derrière elle, la jeune femme avait vraiment besoin de se défouler, de déverser une musique assourdissante dans ses oreilles, de gueuler au milieu de la foule et des wall of death. Bref, ce festival allait être une bénédiction.
La soirée était déjà bien avancée à Seikusu, et un léger vent frais commençait à s’infiltrer dans les ruelles. Natacha, en débardeur léger et jean noir, frissonna malgré sa constitution particulière. Le rythme lointain des basses était encore imperceptible à l’oreille humaine, mais elle n’eut qu’à en suivre l’origine comme un chemin bien tracé. L’entrée allait lui coûter un bras, mais qu’importe.
*C’est qu’une merde supplémentaire sur une longue liste…* Songea-t-elle, maugréant les mains profondément enfoncées dans les poches.
Virée. Elle s’était faite virer de ce boulot merdique, mal payée et ingrat, mais qui avait au moins le mérite de lui garder la tête hors de l’eau. En plus de lui acheter de temps en temps une place dans ces festivals favoris. La mauvaise humeur de Natacha n’était pas une nouveauté, mais ce soir-là, elle avait pris une dimension supplémentaire. Non seulement, elle avait envie d’engueuler le monde entier, mais la jeune femme ressentait également un vif désir d’autodestruction.
L’envie de faire une grosse connerie. Un sentiment qui prenait une toute autre dimension lorsque sa maudite lycanthropie exacerbait le moindre de ses sens et de ses émotions. Natacha n’était qu’une boule de nerfs et d’agressivité à cette heure-ci, mais fort heureusement, ce n’était pas la peine lune. Un maigre réconfort. La jeune femme s’orienta au son du festival, son odorat aiguisé flairant la lourde odeur d’alcool, de sueur et d’haleines humaines chargées.
Et soudain tout s’éclaira. Les japonais pouvaient se montrer particulièrement coincés à ses yeux, mais ce genre d’endroit racontait une toute autre histoire. Seikusu avait son propre lot de festivals rock dans un vaste terrain où des centaines de personnes se rassemblaient pour apercevoir leurs groupes favoris. Natacha plissa les yeux sous la violente lumière marquant l’entrée de la billetterie. Avec ses cheveux platines dans tous les sens, et ses piercings aux oreilles, elle allait passer pour une metalhead comme tout le monde. Enfin presque, avec sa physionomie slave et ses yeux bleus.
*Adieu mon dernier salaire de merde.* Jura-t-elle, en serrant les dents avant de payer le tarif d’entrée.
La place crépitait de musique, d’alcool, de corps brûlants et de transpiration. Tout ce qu’il lui fallait pour oublier momentanément ses emmerdes. Natacha suivit le mouvement de foule dans l’entrée, regardant ça et là pour repérer un groupe connu d’elle, et se mettre au plus tôt dans le bain. Du métal probablement. Quelque chose de bien fort, capable de lui vider la tête de sa journée à la con.
Ce soir, il lui faudrait un exutoire. De la baston, de la baise, de l’alcool, ou bien de la musique, l’un ou l’autre choix, voire tout en même temps. Quoique la bagarre allait sans doute être déconseillé lorsqu’on possédait la force surnaturelle d’une lycanthrope. Natacha sentit un début de sourire féroce se dessiner sur son visage. Le premier choix allait être évident : l’open bar.
Natacha fendit la foule à coup d’épaules pour se diriger vers l’attroupement entourant le stand d’alcool. Quel meilleur moyen de conclure une journée merdique qu’une sérieuse cuite…