L’inspection de son vernis à ongles achevée, Katelin daigna finalement reporter son attention sur les gradins bruissant de murmures impatients. Avec une telle foule de candidats venu des quatre coins de Terra, l’examen avait trainé en longueur plus que d’ordinaire, et le public, tout autant que le jury, étaient très pressés d’en terminer. Nul ne s’attendait à être surpris désormais. Les mages les plus prometteurs, souvent représentants de riches familles, pouvaient en effet se payer le luxe de réserver un ordre de passage précis en évitant les places les plus préjudiciables.
Néanmoins, tous se trompait, et plutôt deux fois qu’une. Katelin suivit des yeux une silhouette élégante fendre la foule accumulée sur les gradins, une pure beauté elfique au teint d’un doux mauve velouté, avançant d’un pas assuré vers le jury. De nombreux murmures traversèrent les spectateurs. La présence d’elfes à Ashnard n’était guère un évènement en soi, mais les membres de cette caste au physique très particulier demeuraient tout de même rarissimes en ces lieux.
Le regard de la sorcière se perdit quelques temps dans le balancement lascif des hanches de cette nouvelle rivale, alors que celle-ci débutait sa grande démonstration magique. Hors, au grand étonnement de Katelin, l’enthousiasme du jury ne fit que croitre au fur à et mesure que l’invisible magie œuvrait dans leurs esprits réceptifs. La vieille Bénédicte hochait vigoureusement la tête, le démon poilu affichait un sourire béat, si bien que la sorcière finit par se résoudre à sortir un monocle enchanté de l’une de ses poches afin d’assouvir sa curiosité naissante.
*Ah, ce sont des illusions personnalisées. Astucieux, mais guère suffisant.* Songea-t-elle, tout en se félicitant d’être suffisamment éloignée du sort de manipulation mentale pour en éviter les effets.
La démonstration terminée, le jury semblait totalement conquis, et Katelin rangea négligemment son monocle tandis que le démon applaudissait ostensiblement Tiriëlle. Enfin son tour était venu ! Pas un instant la sorcière n’éprouva un grain de remord envers l’elfe inconnue, aussi belle soit-elle. Tous ses espoirs de cette dernière allaient fondre, la bourse lui filer entre les doigts et Katelin n’allait guère se gêner pour donner à cet éphémère instant de gloire un goût de cendre. Et cela, par pur plaisir, par simple méchanceté.
Katelin se leva tandis que les applaudissements envers sa rivale s’éteignaient peu à peu pour laisser place aux conversations enthousiasmes, les mages persuadés d’avoir découverts là la grande gagnante. Il en faut peu pour les impressionner, songea-t-elle en vérifiant que sa robe n’était pas froissée par cette longue et exaspérante attente. La sorcière se dirigea d’un pas résolu vers l’arène, un sourire suffisant aux lèvres, le port altier, l’attitude même de la peste sûre d’elle-même.
« Tss… » En croisant la jeune elfe repartant en sens inverse, Katelin ne put s’empêcher d’émettre un reniflement de mépris, assorti d’un regard hautement condescendant.
« Je crois que nous avons notre… » Commença la vieille Bénédicte avant de remarquer la sorcière dont la patience se consumait bien trop vite. « Ah, il nous reste encore une candidate, c’est vrai. »
Si le vénérable Octavio, comme à l’accoutumée, ne laissait rien transparaitre de ses émotions, l’étrange démon à la pilosité si développé, ne se privait nullement de déshabiller Katelin du regard. Celle-ci l’ignora délibérément. Le désintérêt du jury en sa personne était manifeste, et plutôt logique, dans la mesure où ceux-ci estimaient déjà pouvoir décerner la bourse à Tiriëlle, dont la prestation semblait les avoir convaincu au même titre que le public. Hors, la sorcière ne partageait guère cet avis.
*Quelques illusions, et voilà quelques vieux gâteux impressionnés. La pimbêche elfique doit déjà se réjouir à ce stade…*
Devant ce manque d’intérêt, tout discours de présentation devenait futile, et Katelin décida de passer directement à la pratique. Elle se déganta avec une lenteur toute maniaque et élégante, exhibant des mains délicates d’un blanc pâle où étaient dessinés à l’encre noire des pentacles et des symboles mystiques. La sorcière avait eu, après tout, tout le loisir de préparer son coup au même titre que ses concurrents. Un silence lourd tomba dans le grand hall, alors que chacun retenait son souffle, suspendus aux gestes mesurés de la sorcière.
Katelin mit ses mains en coupe devant son visage, et souffla lentement dessus, comme une enfant dispersant une poudre. Cependant rien de comparable ne se produisit. Au lieu d’une vulgaire poussière, ce fut un mince filet de fumée grise qui se matérialisa lentement, se tordit en s’élevant, crépita soudainement avant de s’enflammer en d’authentiques flammes noires. Le feu sombre, fruit de la magie démoniaque, continua à enfler alors que la sorcière continua à souffler délicatement.
Mais la démonstration ne s’arrêta pas là. Au lieu de s’élever comme un brasier classique, les flammes noires continuèrent à croitre autour de Katelin, s’enroulant autour d’elle à la manière d’un serpent, ces anneaux enflant démesurément. Une vague de stupeur, et de crainte mélangée, commença à enfler dans le public étonnant donné la dangerosité bien connue de ce type de magie. Le sort prenait effectivement la forme bien identifiable d’un serpent, mais les proportions étaient gigantesques, alors sa tête de flammes frôlaient désormais le plafond !
« Mai… Maitrisez votre illusion ! » Protesta la vieille Bénédicte alors que la sorcière continuait à accroitre la puissance de son sort.
En l’espace de quelques instants, la réalité dépassa l’illusion en prenant des dimensions titanesques. Lorsque Katelin cessa de souffler, le doute n’était plus permis : une véritable vouivre constituée flammes noires occupait tout le centre du hall ! Les anneaux du monstre frôlaient les piliers, sa tête la coupole du toit, et tout cela se mouvait avec tant de réalisme, respirait, comme vivant, qu’on avait peine à croire à une illusion.
« Ne soyez pas insultante, je vous prie. Vous pensez que je suis venu ici pour vous présenter de vulgaires illusions ? Soyons sérieux ! »
La vouivre de flammes s’agita et, alors que Bénédicte allait répliquer vertement, le monstre plongea brusquement et goba un gnome ménager d’un seul coup. Le pauvre démon mineur disparu dans la gueule de la créature magique et, coïncidence ou non, juste sous le nez de la pauvre Tiriëlle. Katelin le rappela d’un geste sec, prenant un malin plaisir à voir les anneaux de flammes monstrueuses frôler la tête de l’elfe rivale. Un vent de panique souffla dans les gradins tandis que certains mages plongeait à l’abri sans cérémonie derrière les piliers.
« Comprenez que ceci est un jeu d’enfant à créer. Cela n’a rien d’une magie d’illusions, à peine bonne pour distraire la plèbe, je vous montre là une véritable sorcellerie, et non quelques tous de passe-passe pour enfants. » Clama-t-elle pendant que la vouivre resserrait docilement ses anneaux autour de sa personne.
En vérité, si Katelin avait si facilement généré ce sort, c’était avant tout grâce à son longue expérience, et aussi par les pentacles dessinés à l’avance dans ces mains, ces derniers servant de catalyseurs. Mais nul n’avait besoin de connaitre son âge réel. La gigantesque vouivre cracha un filet de flammes noires vers le plafond, créant une nouvelle onde de panique parmi la foule.
« Et comme vous pouvez le constater, je la maitrise parfaitement. » Katelin claqua des mains, et aussitôt, le feu sombre animant le monstre se tordit pour regagner ses paumes à toute vitesse.
En l’espace d’un instant, la vouivre avait disparu, et un silence soudain s’abattit sur le hall. Les juges se consultèrent du regard et, à la plus grande surprise de tous, même le vénérable Octavio se mit à hocher la tête.
« Parfait, eh bien… » Le démon juge tendit finalement un parchemin cacheté vers la sorcière. « Le jury est unanime. N’oubliez pas de remplir les formulaires nécessaires pour récupérer votre bourse. Et félicitations ! »
Un tonnerre d’applaudissements salua cette déclaration, tandis que Katelin s’avançait d’un air suffisant pour récupérer le document. Le public, remis de cette frayeur, s’était levé pour l’applaudir d’un seul coup, et même le jury se joignit aux félicitations. La sorcière fit une révérence guindée, presque théâtrale en guise de salut, puis gagna la sortie sous les salves d’acclamations enthousiastes.
Elle s’arrêta néanmoins devant Tiriëlle dont tout le monde semblait avoir momentanément oublié l’existence, la jaugeant de la tête aux pieds, comme si elle contemplait un déchet jeté là sur son trajet.
« Hmm. Amatrice… » Dit-elle d’un air délibérément moqueur.
Katelin franchit les portes du hall ensuite, allant récupérer les papiers officiels justifiant de sa bourse nouvellement acquise, sans accorder un regard de plus vers l’elfe humiliée.