Your eyes like a Tornado
Took 'way my heart to the sky
This is no time for goobye
Please throw me back to vertigo
Your eyes like a Tornado…
La tête d'Ike lui faisait mal. Était-ce à cause de ce morceau – une reprise entraînante et forte, dont on avait amplifié les basses – qui passait dans le night club ? Ce morceau, c'était son morceau, à l'origine. Le premier single du deuxième album d'I-Kiss, en 2014… il y avait déjà quatre ans. Ça ne lui paraissait pas si loin, et pourtant… dans l'esprit des gens, c'était déjà un vieux tube. Assez pour être remixé, et puis passé en boîte pour un classique.
Le message du morceau, pourtant, était sombre – un type quitté par sa copine, qui décidait d'en finir. Tous ces gens sur la piste de danse réalisaient-ils sur quoi ils se trémoussaient ? Pas sûr – combien parlaient anglais correctement, déjà ? Et même ceux à qui le parlaient, ils devaient s'en foutre pas mal. Ike ne pouvait pas leur en vouloir. Quand il avait écrit ça, de toute façon, il n'avait aucune idée lui-même de ce dont il parlait. Oh, et en vérité, il n'en avait toujours aucune. Pas de relation stable, c'était l'assurance de ne jamais être déçu. Tous ses couples avaient été des projets de communication, orchestrés par son père.
Il détestait son père. Oh oui, c'était la personne qu'il haïssait le plus au monde. Ce vieux requin n'en avait rien à faire de lui : au mieux il l'exploitait, au pire il projetait ses regrets de musicien raté sur lui. Tout ce qu'il n'avait pas pu faire dans sa jeunesse, par manque de talent, par manque de courage – Ike n'en savait rien. Ce qu'il savait, c'est qu'il n'avait pas eu de jeunesse, lui, entre les concerts, les interviews, les enregistrements, les photoshoots… Ce qu'il savait, c'est qu'il n'avait plus envie d'être ce que son père attendait de lui.
C'était une décision qu'il avait pris il y a un an déjà… dès sa majorité, en fait. Il avait essayé de monter un film – de la science-fiction, avec de la drogue, des aliens, des robots, des squats, des sangsues – mais ça c'était planté. L'acteur qui devait tenir l'affiche avec lui s'était tiré avant le tournage, les producteurs avaient lâché l'affaire. « Amateurs » qu'ils avaient dit. Qu'ils aillent se faire voir, pensait Ike. Premier projet hors musique, premier échec, et puis, l'inspiration depuis n'avait pas trop suivi.
– Un autre please ? Ouais ? Merci.
Le musicien referma ses doigts sur le verre froid. Non, ce n'était définitivement pas son propre morceau, aussi mal remixé qu'il fut, qui lui faisait mal à la tête. C'était sûrement plutôt l'alcool. Il en avait déjà bu beaucoup pour l'heure. Son organisme, à force d'être sollicité de plus en plus souvent, finissait par s'habituer à l'éthanol. Le carré VIP du Black Hole, ce n'était pas le genre d'endroit où on lui refuserait un verre de plus… tant qu'il était encore en état d'en demander un. Enfin, quand il ne tiendrait plus debout, on le ramènerait gentiment chez-lui. Il commençait à avoir l'habitude.
– Hey. Georgio. Rappelle moi… rappelle moi pourquoi tu passes cette merde ?
– Parce que les gens l'aiment bien m'sieur StCloud.
– Mmmh… les gens. The people…
Georgio était à l'image de l'établissement qu'il dirigeait. Jeune, branché, habillé dans une tenue noire brillante, presque latex, qui reflétait les nombreuses lumières mauves de la salle. Ambiance mi-espace mi-SM. Ike aimait bien parce qu'avec l'éclairage spécial, on ne le reconnaissait pas trop facilement. Il était attablé à un petit bar spécial, réservé aux personnalités et aux visiteurs qui avaient les moyens. Sauf qu'un soir de semaine, il était presque tout seul. Georgio était venu lui tenir compagnie par obligation professionnelle plus que par amitié.
– Si je meurs, t'veux que je te lègue un truc en particulier Georgio ?
– Dis pas ça, fit le gérant en lui tapotant l'épaule.
– J'ai un harmonica qu'a appartenu à Jim Morisson… ça te parle yeah ?
L'heure commençait à tourner, et Georgio dut aller s'occuper de quelque-chose ailleurs. Ou peut-être était-ce juste une excuse pour filer. Ike commanda un troisième verre.
…Squeez' my throat with cold hands
This is a place for no men
Please throw me back to vertigo
Your eyes like a Tornado…