Jack accélérera le pas et doubla la file discipliné d’une douzaine d’élèves qui attendaient sagement l’arrivée de leur professeur, à l’entrée de leur classe. Il était en retard, comme d’accoutumée ; la double-vie qu’il menait rendait la ponctualité optionnelle. L’homme n’avait guère eu le temps de préparer son cour du jour, mais il faisait confiance à son habileté à improviser… Après tout il connaissait suffisamment bien la seconde guerre mondiale pour se débrouiller sans notes. A défaut de ponctualité, l’homme était d’une élégance irréprochable. Grand et musclé, il portait un costume sur-mesure en laine marine, une chemise rayée bleue et blanche à poignées mousquetaires et des bottines marrons, assorties à sa ceinture et au bracelet de sa montre ; seule sa chevelure indisciplinée venait rompre l’habile harmonie de sa mise. Sa serviette sous le bras, Jack allait pénétrer dans la salle de classe, mais s’immobilisa sur le seuil lorsqu’il vit qu’un attroupement s’était formé à proximité de la fenêtre du fond de classe. Kenji et ses potes semblaient s’acharner sur Timothé, un garçon timide dont Jack ne savait pas grand-chose, hormis le fait que l’histoire n’avait pas l’air de l’intéresser et qu’il n’avait pas beaucoup d’amis. Il arrivait toujours exactement à l’heure, et repartait rapidement après les cours et Jack n’avait pas eu le temps de véritablement apprendre le connaître, comme cela avait pu être le cas avec certaines de ses autres camarades. Lorsque les insultes fusèrent, Jack fronça les sourcils, mais n’intervint pas. Il estimait que les adolescents devaient apprendre à affronter leurs difficultés, sans se cacher derrière une figure d’autorité. Par ailleurs, intercéder en la faveur du jeune Timothé ne lui aurait probablement pas rendu service, eu égard à la nature de la querelle. Ce dont Timothé était accusé était relativement courant à Mishima, mais Jack ne pensait pas que le jeune homme se livre à ce genre d’activités.
« Hé… »
Visiblement à bout de nerf, le garçon frappa brutalement Kenji au visage. Le lycéen était gros et costaud, mais Tim avait visé juste, et l’emmerdeur tomba en arrière, se recevant sur le postérieur. Jack esquissa un sourire ; le gosse avait du cran. Cependant la chute de leur leader avait provoqué l’ire de ses sbires, qui se jetèrent sur le pauvre Timothé, l’assommant de coup de pieds désordonnés. Une clameur s’éleva alors que le combat faisait rage, Timothé se débattant avec toute la vigueur dont il était capable.
« Bon. »
Lâchant sa sacoche au sol, Jack traversa la salle en trois enjambées. Saisissant un premier belligérant par le col, il le tira en arrière, l’envoyant percuter une table inoccupée, avant d’écarter un second élève du plat de la main.
« Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? Que tout le monde se calme ! »
Lorsqu’il posa sa main sur l’épaule du troisième élève, celui-ci se retourna vivement, et lui décrocha un coup de coude. Le lycéen avait beau être grand et fort, il ne faisait pas le poids contre un agent de la CIA, même en costume ajusté. Levant le bras au visage pour contrer la frappe, il décocha un rapide coup du plat du pied à l’arrière de la jambe du gosse, qui tomba sur les genoux. Passant son avant-bras musculeux sur la gorge de ce dernier, Jack verrouilla la clé en attrapant son poignet. Sa réaction avait été naturelle et si rapide que la plupart des élèves n’avaient pas eu le temps de réaliser ce qui venait de se passer. Stupéfié, les autres sbires de Keiji interrompirent leur lynchage pour se reculer vers le fond de la classe. Lâchant Yujiro, Jack fit deux pas en arrière, hésitant. Y-était-il allé trop fort ? La plupart des élèves de Mishima savaient que Jack était sportif, mais probablement pas à ce point. Rajustant le col de sa chemise, Jack afficha un sourire de façade.
« Keiji, Yujiro, Murai, Wade et Ken, vous allez me suivre jusqu’au bureau du proviseur ».
Cherchant un visage bienveillant, il découvrit celui, en larme de Tomoko, la déléguée de classe. La petite avait un cœur d’or, et suçait comme la pire des catins.
« Tomo’, accompagne Timothé à l’infirmerie, pendant que je m’occupe de ces petits cons. Le cours est ajourné », ajouta-il en grommelant, alors que fusaient déjà les cris de joie.
Une bonne vingtaine de minutes plus tard, Jack pénétrait dans l’infirmerie, les mains fourrées dans les poches de son pantalon. Il s’approcha du lit sur lequel avait été installé Tim, et s’assit sur la chaise qui le jouxtait. Le gamin souffrait de quelques contusion et ecchymoses, mais rien de bien grave. Visiblement, l’infirmière s’était déjà occupée de lui, puisqu’un pansement lui barrait l’arcade sourcilière. Elle n’avait pas pu faire grand-chose en revanche pour sa lèvre tuméfiée et son œil qui commençait à noircir.
« Tu veux me raconter ce qui se passe, avec Kenji ? J’ai cru comprendre que ce n’est pas la première fois qu’ils te tombent dessus ».
Jack s’était rejeté en arrière, contre le dossier de la chaise et observait attentivement Tim de ses yeux vairons. Après tout, son rôle de professeur s’étendait au-delà des salles de classe et qui plus est, Jack ressentait une réelle sollicitude envers le jeune homme.