Il faisait frais, ce matin-là. Il avait neigé pendant la nuit, et les rues de Nexus étaient couvertes de verglas. Je marchais avec précautions, un grand sac de tissu sur le dos. Je m'étais emmitouflé dans un long manteau à manches longues, et m'abritais du vent sous une capuche doublée de fourrure. Je revenais tout juste du marché, avec de la nourriture et des offrandes à ramener au temple. La plupart des prêtresses avaient du mal à laisser le Grand Prêtre sortir seul par ce froid pour ramener des provisions, mais je restais un Marluxien. Aussi je n'étais pas très confiant dans l'idée de laisser mes protégées passer sous le nez des marchands d'esclaves. Un homme de haute stature, encapuchonné et avec un grand sac sur le dos, curieusement, retenait bien moins leur attention.
J'avais surtout acheté de la venaison et quelques légumes verts, mais aussi des fruits et du vin que j'allais disposer aux pieds de la statue de ma Déesse, celle qui se trouvait dans le grand hall, après l'autel. La semaine s'était plutôt bien passée et nous avions même célébré trois mariages en quelques jours. Je n'en avais présidé qu'un, un mariage arrangé entre un parent éloigné de la famille Ivory -neveu par alliance de la cousine de l'Impératrice, une connerie comme ça-, et l'héritière d'une famille de tisserands en plein essor. Les deux promis se regardaient de façon timide, mais mes manières avaient suffi à les détendre. Ils feraient sans doute un beau mariage, à la longue. Les parents avaient fait une offrande bien généreuse.
Après avoir déposé mes dons et présenté mes respects à ma Déesse, j'avais apporté le reste de la nourriture aux cuisines, en flanquant le sac négligemment sur un plan de travail. Quelqu'un s'en chargerait. En sortant, j'annonçais à un prêtre, Rogrim, qui était là depuis plus longtemps que moi, que je me retirais dans mes appartements. Il était suffisamment avisé pour comprendre que je ne voulais pas être dérangé, sauf en cas d'urgence.
En arrivant dans mon bureau, je trouvais sur le meuble homonyme un papier à demi replié, une lettre, qui n'y était pas avant mon départ, une heure et demie plus tôt. La lettre disait "ne me fais pas attendre davantage", et je reconnaissais l'écriture. Un sourire se dessina sur mon visage, alors que je me précipitais vers ma chambre. J'y trouvai, comme je m'y attendais, Mérédith, une des prêtresses, allongée sur mon lit et vêtue du plus simple appareil. Son regard était tout empreint de malice.
"Et moi qui comptais m'adonner à la prière..." lui avais-je dit, avec une déception volontairement exagérée.
"Je vous attends pour communier, votre Sainteté!"
Sa voix était aussi espiègle qu'enjôleuse, et je ne résistais pas à l'appel de la chair. Je me jetais à corps perdu dans ses bras, ce qui lui arracha un petit rire complice. Mes lèvres rencontrèrent les siennes, mais mains rejoignirent ses seins. Il n'était pas très vertueux pour un prêtre de coucher avec une prêtresse, mais se laisser aller au désir n'en était pas un vice pour autant. Et si Héra l'avait un jour désapprouvé, elle m'aurait sans doute déjà envoyé un signe.
Au terme de nos ébats, je m'étais levé pour me passer un peu d'eau sur le visage. Je me tenais nu au milieu du bureau lorsque Rogrim frappa à la porte:
"Votre Sainteté?"
"Qu'y a-t-il?"
"Navré d'interrompre votre... Méditation, mais quelqu'un vous demande dans le Grand Hall."
L'homme de quarante-deux ans était loin d'être sot. Par le ton qu'il avait employé, facile de comprendre qu'il savait que Mérédith était entrée dans mes appartements. Il mettait ce genre d'agissements sur le compte de "ma fougueuse jeunesse", et de ce fait je ne tenais pas à lui avouer que j'étais de cinq ans son ainé. Il aurait sans doute peiné à le croire. Je lui fis un demi-aveu:
"Qui que ce soit, essaye de le faire patienter, le temps que j'enfile une tenue plus convenable."