Éloignée de tout et très bien dissimulée, la caverne qui servait depuis maintenant quelques jours de tanière à Nassirah était parfaite. Située à proximité immédiate d'un point d'eau potable, offrant assez de poisson pour la nourrir également, et cachée par une cascade qui assurait l'humidité et la fraîcheur du lieu. La trouver avait été le fruit du hasard, alors que la jeune Lamia errait toujours au gré des vents, bien encore incapable de se faire totalement à sa nouvelle nature, et à la réaction des autres à sa vue. Elle avait croisé par accident une troupe itinérante sur une route deux jours auparavant, et à sa simple vue, avant même qu'elle aie pu dire quoi que ce soit pour les apaiser, des carreaux d'arbalètes avaient fusé dans sa direction. Nassirah n'avait du sa vie qu'à ses réflexes nouvellement évolués, et à la solidité de ses écailles, elle avait eu peur comme jamais et en fuyant était parvenue à les perdre dans la forêt.
Le lac lui avait offert refuge, entre autres pour dissimuler ses traces, puis la caverne s'était révélée à elle. Bien cachée à l'intérieur, ses agresseurs n'avaient pas pu la retrouver et avaient abandonné leur poursuite. Ces fortes émotions, et le mélange de haine et de peur qu'elle avait vu dans le regard de ces gens, l'avaient poussé à s'installer ici, dans un endroit où on ne viendrait pas la déranger, où les chances qu'elle croise qui que ce soit étaient minimes. Nassirah avait besoin de réfléchir, et c'était ce qu'elle avait fait, longuement, le calme de ces lieux l'aidant à se ressourcer après des jours d'errance et de stress, elle était heureuse de pouvoir enfin s'accorder une halte.
Elle repensait sans cesse à l'agressivité immédiate des occupants de cette caravane, qui avaient voulu la tuer, non seulement car ils la considéraient comme un monstre, mais aussi dans le but de la dépecer et de gagner une petite fortune avec son corps. Autrefois une chasseuse de monstres avant d'en devenir une, Nassirah savait combien les Lamias étaient rares, et aussi dangereuses qu'elles pouvaient être une mine d'or. Elle était donc maudite, de par sa nature même, elle ne pouvait plus espérer une vie normale.
Elle songea à de multiples reprises à un moyen de se donner la mort, mettre un terme à une vie qu'elle n'envisageait pas "viable" lui paraissait une solution. Les Lamias sauvages étant généralement des créatures évoluant seules, n'ayant pour compagnie que les proies qu'elles capturaient, un tel futur n'enchantait guère l'ancienne elfe qui avait passé sa vie jusque là à aider les autres. Sa nouvelle nature entrait directement en affrontement avec l'ancienne qu'elle conservait, et plus elle y songeait, moins elle trouvait de solutions à ce dilème autre que d'y mettre un terme définitivement. Mais le suicide n'était pas un concept que son instinct de préservation entendait laisser passer, d'autant qu'intérieurement elle se savait désormais membre d'une race très rare, presque en voie d'extinction. Cela combiné à ses nouveaux instincts de prédatrice l'avaient empêché de commettre l'irréparable, car elle n'était pas encore assez âgée pour que les armes normales ne soient d'aucun effet sur elle, il lui auait suffit de retomber sur une caravane gardée pour mettre fin à ses souffrances...mais elle ne le pouvait pas. Sa tête était un vrai champ de bataille, cherchant continuellement à concilier des natures diamétralement opposées, entre sa mémoire d'antan altruiste, et ses instincts actuels égoïstes et prédateurs.
Nassirah avait peu dormi cette nuit là, le calme, et le fait de ne pas bouger, la faisaient se focaliser sur ces problèmes. Ses pouvoirs qu'elle ne maîtrisait pas, sa récente découverte qu'elle pouvait faire de la magie, mais en n'ayant aucune connaissance en la matière elle était un danger ambulant, et puis aussi cette faim intérieure qui la dévorait de plus en plus. Les Lamias sauvages étaient craintes non seulement à cause de leur dangerosité, mais aussi car elles avaient, pour la plupart, l'habitude de capturer des femelles pour créer un nid. Quelque chose au fond d'elle même la poussait à partir en chasse, mais d'un autre type de gibier, et c'était une pulsion contre laquelle elle luttait avec de plus en plus de mal. Lorsque son regard avait croisé celui d'une belle humaine dans la caravane, elle avait bien failli partir à l'assaut, massacrer tout le monde pour la capturer, et fonder un nid.
C'est dans ces circonstances, alors qu'elle se trouvait métaphoriquement parlant au bord du précipice, avec un pied penchant dans le vide, qu'une présence vint troubler sa tranquillité. Elle n'y avait fait attention qu'au moment de, instinctivement, "goûter" l'air avec sa langue, qui comme celle des serpent était une alternative à l'odorat capable de capturer odeurs et phéromones. L'odeur proche d'une femme, de sa transpiration lui était venue, et elle s'était raidie comme un tronc d'arbre.
Une humaine seule...non ce n'est pas une humaine...différent. Mais en quoi ? Est-ce que c'est une chasseuse qui m'a trouvée ?
Sur le qui-vive, tous les sens de Nassirah étaient en alerte. Le bout de sa queue trempé dans l'eau du lac, elle percevait les vibrations que la nage de la femme faisait, ses mouvements, sa direction, qui s'éloignait ou se rapprochait de façon chaotique...avant de très clairement s'approcher. Nassirah ne voulait pas être vue, elle ne voulait pas risquer de faire du mal, aussi, juste avant que la femme n'arrive au delà de la chute d'eau, la Lamia avait elle plongé dans le but de s'échapper. Et là, sous l'eau, elle avait pu voir un corps de femme nue, très beau, et l'espace d'un instant, Nassirah se surprit à penser qu'elle ferait une belle mère porteuse pour son premier nid de serpents...
Non ! Elle donna un vif coup de queue dans l'eau dans le but de se propulser, mais avait dans le même temps révélé sa position à la femme. Tout aurait pu mieux se passer si cette dernière n'avait pas essayé de lancer un sort. Très réceptive tout en y étant partiellement résistante, Nassirah venait de sentir une hausse subite d'énergies magiques en direction de cette intruse, ce qu'elle prit immédiatement comme une menace, une agression à son encontre. Déjà effrayée et pas très bien dans sa peau, ce fût la goutte d'eau qui fit déborder le vase. Nassirah laissa son instinct parler, celui d'auto-conservation, et avec une vitesse hallucinante, l'extrémité de sa queue sortit de l'eau et fouetta l'air, pour aller percuter l'intruse avec toute sa force. L'adrénaline se mit à couler à flots dans son métabolisme, et Nassirah sentit presque en anticipation le goût du sang dans sa bouche. Elle surgit alors, sa queue retournant foncer en direction de la femme, et s'enroula autour de ses pieds avant de très rapidement monter le long de son corps, l'emprisonnant de fait totalement.
HISSSSSSSSSSSSSSSSSSSSSSSSSSSSSSSS !!!!!!!!!
Furieuse, énervée et apeurée, Nassirah se mit à siffler dans sa direction, sortant ses crocs et sa longue langue fourchue, tandis que sa chevelure en serpent faisait de même. Elle se mit alors à serrer...et à serrer...
La prédatrice prenait le dessus.