Les Valdur ne parurent, de façon étonnante, pas croire à la banalité pourtant évidente, en apparence, de Tomo. Eux aussi étaient des individus plutôt solitaires, et que la majeure partie des classes qu'ils fréquentaient (car ils en fréquentaient plusieurs) classait directement dans la catégorie des asociaux. Heureusement, si les autres, les trouvant étranges et un peu effrayants, ne leur adressaient que rarement la parole, ils adoraient en revanche parler entre-eux. D'ailleurs, quelqu'un qui s'intéressait à leur travail, c'était un peu une partie d'eux-même : mais ils ne pouvaient s'empêcher de trouver ça légèrement suspect.
« Mais tu veux une démonstration… tu sais ce que ça fait, au moins ?
– Bien sûr qu'il sait, il savait comment ça s'appelait.
– Ouais, ben étrange d'ailleurs. Parce que même nous on sait pas exactement, ce que ça fait.
– Tu es de mèche avec les aliens, c'est ça ? T'as de la chance, on a de bons rapports avec les aliens… »
Peeter haussa les épaules et répliqua d'une voix lasse et contrariée :
« Tu devrais pas lui parler des aliens, c'est secret défense.
– Bah, de toute façon, il doit déjà nous prendre pour des dingues, ça change rien.
– Bon, on a qu'à bricoler dans le salon, on rangera avant que père arrive. Viens Tomo. »
Transportant maintenant le ré-assembleur seul, à la verticale devant lui, Peeter eut assez de mal à marcher droit, et sa sœur dû le soutenir plusieurs fois pour qu'il ne heurte pas un mur ou ne bascule pas. Ils passèrent dans une grande cuisine à l'américaine, bar et carrelage noir et blanc bien propre, avant d'arriver dans le salon. Ce dernier était gigantesque, présentant au sol un très beau parquet, plusieurs fauteuils en véritable cuir de couleur acajou, et un canapé assorti. Ils étaient dirigés vers un grand écran plat, dernière génération. Cependant, tout semblait très standard. Stella expliqua :
« On a interdiction de bricoler ici, normalement. Mais normalement, on a pas le droit de toucher au ré-assembleur non-plus, alors… »
Enfin, Peeter déposa le lourd appareil sur le sol. Essoufflé et les bras douloureux, il posa les mains sur ses genoux et baissa la tête pour récupérer. Une fois que sa respiration se fut calmée, il s'arrangea avec sa sœur.
« Tu peux aller chercher un terminal, s'il te plaît ? Mieux vaut qu'on revoit ce que fait le multiplexeur manuellement. »
Sa sœur hocha la tête et se dirigea vers de grands escaliers en bois, dans le fond de la pièce, qui montaient à l'étage. L'adolescent, lui, s'agenouilla devant le ré-assembleur. Soulevant un peu le tissu de sa chemise rouge, il attrapa un tournevis dans la poche arrière de son jean et l'approcha de ce qui ressemblait à une vis. Toutefois, il n'eut pas à tourner, car à peine le morceau de métal introduit, la carcasse de l'appareil s'ouvrit. Peeter commença à en observer l'intérieur, donnant de temps en temps petits coups avec la tige en métal. Sans le regarder, il ré-engagea la conversation avec Tomo.
« Alors tu t'intéresses à la science ? C'est cool, c'est rare à nos âges. On se sent un peu seuls, des fois, avec Stella. Tu dois être plutôt informaticien, toi, je parie ; c'est le seul domaine qui a encore du succès. Mais bon, tu t'entendrais bien avec ma sœur. Tu as l'air très sympa. Par contre, t'as pas l'air beaucoup plus japonais que nous, non ? Nous on est estoniens d'origine. Mais c'est pas très intéressant, d'accord, je te parle surtout pour éviter de penser à mh, eh. »
Il ne termina pas sa phrase, mais ses joues, à mesure qu'il parlait, n'avaient pas cessé de rougir. Au bout de quelques instants, il s'exclama, sa voix, s'interrompant parfois, avait des intonations un peu étranges, presque sensuelles :
« Ah ! La solution photocathodique s'est dégradée et… hm, se comportait comme un channeltron. Forcément, le germanate de bismuth scintillait à fond… Tu le crois ça ? Je me disais bien que c'était pas normal… toute cette lumière. »
L'intérieur de l'engin n'avait à première vue rien d'exceptionnel, si ce n'était sa complexité : sa structure était en spirale, et sur chaque spires venaient se greffer une multitude de cylindres de tailles variables, semblant contenir des solutions chimiques, certains étant reliés à d'autres par des conduits annexes. Une couche d'électronique, des cartes gravées de circuits logiques indiscernables à l’œil nu, entourait complètement le cœur de l'appareil, qui restait mystérieux.