Le jeune homme avait du mal à se détacher des gros seins de la femme. Vivre sur la route, ce n’était pas facile tous les jours pour rencontrer des femmes, et, avec l’éveil de la puberté, l’homme en était réduit à se branler dans la roulotte le soir en lisant les livres érotiques que son grand-père vendait à un public mâture, et cachait secrètement dans le double-fond d’une malle, ce que le jeune homme, Pod, savait. Depuis lors, il les lisait en cachette, et, s’il fantasmait tant sur le corps de cette femme, c’était parce qu’elle lui rappelait une héroïne dans l’un de ces livres qu’elle avait lu, une aventurière qui se faisait prendre par un troll dans une forêt. Il n’arrivait pas à cacher l’émoi que cette femme lui procurait, ce qui ne faisait que le rendre encore plus ridicule. Quand il en prit conscience, soit lorsque la femme aux gros seins commença à parler de la Légende des Trois-Pics, il referma sa bouche, et baissa la tête, en essayant de dissimuler son érection. Ciri’, elle, ne s’intéressait guère à Pod. Ce n’était qu’un puceau, et, même si, à sa place, la Princesse Korvander l’aurait pris en adoration, elle, elle avait une sainte horreur des blaireaux et des boulets. Pod n’était qu’une tare, et, tout ce qu’elle espérait, c’est qu’il n’essaierait pas de la mater en train de se doucher... Mais, fort heureusement, il semblait encore un peu trop naïf pour cela.
Ciri’ vit que la femme l’observa brièvement, tout en expliquant à un Arnand estomaqué en quoi la légende était fausse. Elle parla d’un maître, « Lago », un nom qui ne disait absolument rien à Ciri’, et elle présenta ensuite à l’homme une sorte de contrat. Arnand considéra le papier en clignant des yeux, de plus en plus ébahi, peinant à se demander si c’était une blague, ou si cette femme était vraiment sérieuse. Dans leur dos, pendant ce temps, des clients en profitaient pour mater le cul de la femme. Comme elle s’était penchée pour remettre à Arnand le « contrat », on en profitait naturellement pour la mater. Cirillia, elle, se méfiait. Cette femme n’était pas nette, et, de base, rien que sa proposition était étonnante... Vouloir restaurer la version originaire d’une légende ? Qu’est-ce que c’était que cette histoire à dormir debout ?!
« Comprenez bien que notre but n'est pas de tuer les conteurs, après tout nous vivons par eux et pour eux, seulement si vous saisissiez l'importance de la vérité des récits, vous accepteriez sans contrepartie. »
Arnand fit une petite moue, et ne tarda pas à répondre, tout en écartant le contrat.
« Je ne sais pas qui est votre Lago, Madame, mais, si vous êtes bien ce que vous prétendez être, alors je suis au regret de devoir décliner votre offre. »
Cirillia sentit la tension monter d’un cran. Arnand s’humecta les lèvres, avant de joindre les mains devant lui, et de s’expliquer :
« Un récit n’est pas un documentaire, Madame. C’est une œuvre de fiction, répondant à un imaginaire collectif, et s’inscrivant dans une continuité historique à un moment donné. Autrement dit, Madame, dans un récit, il n’y a pas de version ‘‘vraie’’ ou ‘‘fausse’’. Une œuvre a pour elle d’évoluer avec son temps, et de permettre de s’interpréter et de s’adapter. Ce que vous me demandez, ce n’est ni plus, ni moins, que de tuer l’essence même du conte, et de transformer les conteurs en des espèces d’historiens ataviques et objectifs ne racontant pas des histoires, mais des faits historiques. »
Le conteur s’humecta les lèvres brièvement, et bascula son dos en arrière, avant de poursuivre.
« Aucun conteur digne de ce nom ne devrait accepter votre offre. Je sais que ma version ne correspond pas à la version originelle, mais tout n’est qu’interprétation. Prenez la légende du Déluge. Elle-même tient son origine d’une autre légende, radicalement différente, et on peut faire ce parallèle avec n’importe quelle légende. Toute histoire est inspirée d’une autre histoire, et, à vrai dire, si on devrait vraiment en venir à l’origine des contes, je pense qu’on en reviendra à la toute première fois où un homme, probablement en regardant les étoiles, s’est dit qu’il allait imaginer quelque chose pour passer le temps, et égayer sa journée. »
Il conclut alors :
« Autrement dit, toute création artistique n’est qu’interprétation et évolution. »