ELENA IVORY
«
Donc, si je récapitule votre planning, ma Reine... Un voyage vers Edoras, une visite diplomatique aux Vaporéens, et... N’oubliez pas la réception commémorative aux Îles Mélisi ! »
Elena émit un soupir de protestation. Toute nue, la jeune Reine se prélassait dans l’un des luxueux bains de la Tour d’Ivoire, une sorte de piscine luxueuse, avec des colonnes en marbre, des lierres aux murs, et quantité de parfums doucereux, ainsi que des produits d’hygiène corporelle, et une eau chaude, filant depuis plusieurs robinets. Certains Ivory avaient déjà organisé des orgies ici, et Elena pouvait le comprendre. Les chaudes vapeurs remontant des canalisations faisaient frissonner son corps, et elle peinait à réfléchir. Si elle s’écoutait, elle aurait probablement demandé à Adamante de la laisser prendre tranquillement son bain, mais elle savait très bien que la Mélisaine était pointilleuse.
«
Je sais tout cela, Adamante... Mais tu peux me tutoyer, tu sais... J’ai l’impression d’entendre Jamiël me sermonnant quand j’ai oublié telle ou telle localité isolée de Meisa, ou le nom de l’avant-dernière Reine de Curiyam... -
Hum-hum... Tu envisages toujours d’utiliser le Galathea pour aller voir les Vaporéens ? -
Je pense que ce serait du plus bel effet. -
J’ai eu vent de rumeur sur cet Empereur. On dit que ses servantes sont toutes dénudées, et qu’il aurait engrossé plusieurs femmes dans des tavernes de Nexus... Notamment une femme qui est depuis lors reconvertie en bonne sœur. »
Elena hocha lentement la tête, tout en frottant ses épaules avec une éponge imbibée d’un savon.
«
Tes sources sont toujours stupéfiantes, Adamante. -
Ce que je veux dire, c’est que l’Empereur pourrait se faire des idées si vous venez avec le cadeau que son père vous a offert. -
Et bien, qu’il s’en fasse ! soupira la Reine.
On m’a donné un bateau volant, il faut bien que je l’utilise, après tout. »
Adamante hocha la tête. C’était un point de vue qui se défendait. Depuis des années, le
Galathea croupissait dans l’arsenal, dans un entrepôt surveillé par des hommes de confiance, relevant de l’autorité directe de
Ronald « Scar » Langley. Impossible d’y entrer sans son autorisation, et les seules personnes autorisées à y pénétrer, outre la Reine et son entourage, étaient les ingénieurs vaporéens, afin d’entretenir le vaisseau, de vérifier les éventuelles avaries. Ainsi, bien qu’il n’ait pas volé depuis des années, le
Galathea était toujours flambant neuf, et Langley s’assurait que, trimestriellement, le navire soit fouillé, afin de rechercher d’éventuels dispositifs piégés. Sur ce point, on pouvait se fier à Langley. Le régent n’assurait pas la garde du Palais d’Ivoire pour rien.
«
Je suggère de rapprocher le voyage vers les Vaporéens, reprit alors Adamante.
Le navire de Matthieu de Peyrac a du arriver. »
Elena hocha la tête, silencieusement.
«
C’est un bon point de vue. »
Cette remarque, assez neutre, amena entre les deux femmes un léger silence, avant qu’Elena ne soupire.
«
J’avais promis à Zephyr de ne plus la rapprocher des Kovariites ! -
Je sais, Majesté, mais on ne peut pas se permettre, pour l’heure, de s’attaquer directement à votre oncle. Il a encore trop d’influence, trop de cartes en jeu, et je sais qu’il se trame quelque chose à l’Empire de Vapeur. Personne n’a oublié le cadeau que Largor XVI a offert quand vous êtes revenue de Saint-Antoine, Majesté, tous les Nexusiens s’en souviennent, et tous savent à quel point Vapeur est riche, et à quel point l’intérêt que Szaalion vous porte est crucial. -
Oui, oui, s’agaça Elena,
ça, je le sais, mais... C’est juste que j’ai le sentiment de... Enfin, j’ai l’impression de l’utiliser... »
Adamante soupira, en secouant la tête.
«
Si j’étais toi, Elena, je ne remettrais pas en doute la fierté d’une Zerrikanienne.
ZEPHYR
Matthieu de Peyrac s’avançait à travers les ruelles sinistres et sombres de l’Usine, quartier poussiéreux et vaporeux, misérable. L’envers du décor. Là-haut, dans le ciel, depuis leur navire d’ivoire, la haute société de Vapeur toisait les misérables, aux poumons inondés de vapeur. Un air toxique, vicié, sinistre, avec des rues où des tuyaux de vapeur filaient dans tous les sens, libérant ici et là de la pression, se manifestant par des jets de vapeur qui vous aveuglaient. Zephyr était bien dans les profondeurs de l’Usine, cette partie de l’Empire de Vapeur que les Vaporéens ne montraient généralement pas de bon cœur aux étranges. Les épais mures entourant l’Usine, cette fumée constante, donnaient l’impression de baigner dans une noirceur perpétuelle.
Enveloppée dans un long manteau grisâtre masquant ses formes, Zephyr, originaire d’une jungle pure, dénuée de toute atmosphère toxique, de toute forme de pollution, crevait sur place. Elle avançait à travers des ruelles étroites, en suivant la cape de Matthieu de Peyrac. L’homme était un Nexusien, un navigateur, qui travaillait pour Kovik Kovar, futur duc de Kovar, une importante contrée nexusienne, connue pour ses gisements de minerais et de matières premières... Fer, nickel, acier, cuivre, bronze, platine, or... Et Solsticium. Ce précieux minerai était la base de la technologie vaporéenne, et il y en avait beaucoup, dans les profondeurs des mines interminables de Kovar. L’Usine avait aussi ses propres mines, qui s’enfonçaient dans les profondeurs de Terra, afin d’y rechercher le charbon et le Solsticium. De ce que Zephyr avait vaguement cru comprendre, le Solsticium était un minerai précieux, une sorte de mélange entre la magie et la roche, qu’on trouvait surtout dans les profondeurs de Terra. Kovar, en ce sens, était un endroit prolifique, car la région possédait des puits interminables, s’enfonçant, pour certains, jusque dans le noyau extérieur de Terra. Ceux qui en étaient tombés n’étaient plus là pour en parler, et ces puits sans fin constituaient un excellent moyen de se débarrasser de cadavres encombrants.
Le Solsticium de Kovar était extrait à Kovar, et envoyé par cargaisons à l’Empire de Vapeur, afin d’y être traité et raffiné. Matthieu de Peyrac faisait partie de ce convoi. Cependant, en fouillant ses cales, en y étant entrée clandestinement, Zephyr avait trouvé, outre du Solsticium et d’autres denrées, des armes en quantité importante. Des armes à feu, essentiellement. Zephyr avait notamment vu un solide
fusil à pompe, mais elle n’avait, en revanche, vu aucune munition.
Pourquoi avoir conçu une centaine d’armes, si elles étaient déchargées ?
C’est dans cet état d’esprit qu’elle traquait Matthieu de Peyrac, à travers les ruelles enfumées de l’Usine, évitant les prostituées qui se tenaient dehors, et invitaient tous els passants à venir. Une prostituée fut un peu trop insistante auprès de Matthieu. Il la repoussa sèchement, et elle l’insulta copieusement. Matthieu se dirigeait vers une taverne, et y entra rapidement. Zephyr hésita un peu, puis suivit l’homme.
L’auberge était animée. Les hommes et les femmes qui y buvaient étaient encore couverts de crasse et de suie, certains toussaient, et beaucoup fumaient abandonnaient.
*
De la vapeur dehors, de la vapeur dedans...*
Elle s’avança, évitant de révéler son visage, et vit Matthieu monter à l’étage, dans la section réservée aux clients de marque.
Il allait falloir lui trouver un moyen de grimper, car deux hommes à la mine patibulaire gardaient l’escalier.