« I don't want to set the world on fire
I just want to start
A flame in your heart »
Dans ses oreilles, la délicieuse musique filait depuis les baladeurs. Une musique pirate, qu’on ne trouvait pas sur les canaux légaux tekhans.
I Don’t Want To Set The World On Fire, des Ink Spots. Dissimulées sous leurs longues robes noires classiques, les sœurs attiraient quelques regards étonnés des adolescentes du métro aérien. Ce dernier filait rapidement, sous un coucher de soleil en train de s’amorcer, dardant les immenses tours argentées de lueurs éblouissantes. Elles pensaient qu’elles devaient venir du Couvent de Tekhos Metropolis, une importante structure religieuse en périphérie de la ville. Il arrivait parfois que des nonnes en sortent, soit pour faire des courses, soit, ce qui était plus fréquent, pour accomplir du travail caritatif auprès d’associations de quartiers ou d’hôpitaux.
Louisa Cain avait la tête baissée, laissant la musique filer, inaudible pour les autres. Son objectif était de suivre les instructions de
Lasandra Dixon, leur mère supérieure, qui les accompagnait. Leur groupe comprenait trois autres Saintes, et c’était Lasandra qui avait en tête le dispositif de traçage magique, qui leur indiquait la position de la cible.
Officiant habituellement dans les Badlands, cette portion de lande désertique entre Tekhos et Ashnard, les Saintes se trouvaient plutôt bien de leur secteur d’activités. Essayant de réinstaurer un peu de morale religieuse dans une région sans foi ni loi, gouvernée par les barons de la drogue et les seigneurs de guerre, elles étaient sur un trafic d’esclaves impliquant un cartel. Il y a quelques semaines, elles avaient assiégé l’un des ranchs principaux de ce cartel, dans une fusillade déjantée ponctuée d’explosions. Plusieurs Saintes avaient été blessées durant l’assaut, mais elles avaient soulagé les Badlands d’une bonne trentaine de salopards, et avaient découvert, dans les caves, des adolescentes tekhanes, venant de Tekhos Metropolis. Pas vraiment les Terranides et les sauvages venant des Contrées du Chaos auxquels elles étaient habituées. Elles avaient choisi de remonter la filière, et avaient rencontré le personnel de l’Ordre dans la Grande Cathédrale de Tekhos Metropolis, considérée par beaucoup comme le pivot central de l’Ordre Immaculé. Lasandra avait rencontré une cardinale supérieure de l’Ordre, qui lui avait indiqué que l’Ordre avait repéré, à Tekhos, une force divine malveillante. Il avait déployé plusieurs agents de l’Inquisition sur cette affaire, mais ces derniers étaient paralysés par les aspects légaux de cette affaire, devant collaborer avec les forces de police. La cardinale voulait agir vite, et avait besoin d’un groupe d’indépendants.
C’est là que les Saintes intervenaient. La cardinale leur avait remis un dispositif magique perfectionné, qui permettait de tracer la signature magique de leur cible. La mission était simple : la tuer... Si possible en évitant de faire trop de vagues. Elles n’étaient pas dans les Badlands, il y avait beaucoup de civils ici. Lasandra avait réuni un petit commando. Elles se reposaient dans une église des ghettos de Tekhos, et avaient ainsi eu l’occasion de constater que les ghettos masculins de Tekhos Metropolis n’étaient guère différents des villes des Badlands. Il y régnait la même insécurité, la même odeur de crasse permanente, formant presque comme une seconde peau, par-dessus les traces de désolation urbaine et de détritus jonchant le sol. Elles avaient vu les expéditions punitives, les gangs marquant leurs territoires à grands renforts de dents arrachées, de rotules pétées, et de cervelles éclatées contre des murs. Elles avaient fait profil bas, et leurs armes commençaient à les démanger.
«
Prochaine station, mes sœurs », annonça Lasandra.
Louisa hocha lentement la tête, tout en laissant
Beyond The Sea défiler dans ses oreilles. Le tramway aérien s’arrêta à une station longeant le parc, et les nonnes en sortirent, sans tenir compte des interrogations posées par les petites. Le tramway fila rapidement, et elles arrivèrent dans une station remplie de badauds, dont deux ou trois policières. Louisa jeta sur eux un regard louvoyant, les trouvant plutôt sexy.
«
Elle est dans le parc. Vanessa, trouve-toi un point demire pour nous couvrir. »
Vanessa Sinclair, une tireuse d’élite, hocha lentement la tête, et s’écarta. Sous leur robe noire classique, les Saintes portaient leur réelle tenue, avec leur équipement. Elles descendirent l’escalier métallique, et s’enfoncèrent dans le parc, mains jointes, têtes penchées vers le bas, en position de parfaites dévotes. Certaines Tekhanes les photographiaient, d’autres promenaient leurs chiens.
«
Est-on sure d’avoir les moyens de la supprimer ? demanda l’une des Saintes à Lasandra.
-
Nos armes et nos munitions ont été enchantées par des sortilèges sacrés, rappela Lasandra.
Ne laissez pas le doute voiler votre jugement, ayez la foi. »
Louisa avait coupé sa musique, et entendit un message radio. Vanessa avait trouvé son point de mire, d’où elle pouvait les couvrir avec son fusil à lunettes automatique. Elle s’entraînait dans le désert à tirer sur des
radcafards depuis une position surélevée. Louisa pouvait lui faire confiance, et le regard de Lasandra se portait vers une simple lycéenne allongée sur le toit d’une cabane en bois... En apparence innocente.
«
C’est elle, grinça-t-elle.
-
Elle a l’air totalement anodine..., nota l’une des Saintes.
-
Les démons le sont toujours, jusqu’à ce qu’on leur défonce le cul. Je m’occupe de la saluer. »
La femme se tenait près d’un jardin pour enfants, probablement pour y trouver des proies. Lasandra s’avança lentement, puis retira sa robe, et sortit son lance-roquettes. Sous la robe noire, il y avait sa tenue en latex, sa robe moulante. Le lance-roquettes, lui, était une armetekhane qui se déploya quand elle le sortit, jusqu’à avoir une apparence normale. Elle le maintint sur son épaule, visant la bicoque, et balança un missile, sous les hurlements catastrophés des Tekhanes situées à proximité.
La cabane n’abritait rien d’autre que du matériel de bricolage, et elle vola en éclats quand le missile la frappa de plein fouet.
*
BOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOMMM !!!*
C’était une entrée en matière comme une autre.