Le bretteur hocha la tête, et laissa son compagnon de se dégager. Il aurait eu une infinité de choses à rajouter, mais la pertinence de toutes n'étaient pas assurées. Après tout, il ne pouvait pas se prévaloir d'une sagesse supérieure à la sienne. Il avait parfois tendance à oublier qu'il n'avait que seize ans, et il était peu probable que son interlocuteur soit plus jeune encore. Bien que persuadé que le nombre des années n'avait pas grand-chose à voir avec le discernement, et même en considérant ce fait comme véridique, il savait qu'il y avait des pensées qu'il valait mieux avoir par soi-même. Qu'un autre les formule à votre place n'avait bien souvent aucun effet, ou pire, annihilait l'effet qu'elles auraient du avoir. Du reste, s'il savait assez bien faire des discours sur des sujets ciblés, et s'il savait facilement broder sur ceux qui lui étaient imposés au hasard, vestige de ses cours de rhétorique, Ozvello était loin de les connaître en profondeur. Mieux valait pour l'estime qu'il espérait inspirer, s'arrêter avant que les doctrines soient trop creusées. Aussi acquiesça-t-il :
« Je vous souhaite une bonne nuit, Zeckiel ! Mais prenez garde aux bêtes qui hantent les songes ! Les limbes de la léthargie sont l'un de ces rares lieux où je crains de ne pouvoir veiller sur vous. »
La phrase était empreinte d'humour, mais le castelquisian ne sut pas si en faire à cet instant était une idée lumineuse. Il espérait seulement détendre un peu l’atmosphère, qui était devenue peu à peu très solennelle, et si cette seule fonction était remplie, alors il considérerait sa réplique comme couronnée de succès. Peu après, il trouva une couchette ; une paillasse qui, si elle ne sentait pas vraiment bon, semblait avoir été épargnée par les blattes. Une telle hygiène était presque inespérée, et Ozvello fut satisfait de savoir la perspective de se réveiller mordu et piqué par la vermine s'éloigner. Il s'y étendit, et ne mit pas longtemps à trouver le sommeil. Même si son rythme avait été altéré de sa propre volonté, il était jeune et n'avait jamais encore éprouvé de mal à s'endormir.
Son repos dura simplement moins longtemps, car il n'était pas aussi fatigué qu'après une journée complète, et s'interrompit aux premières lueurs du jour, quelques heures plus tard. Se levant, l'adolescent inspecta l'état de sa blessure à l'épaule. Le sang avait séché, la plaie paraissait à peu près saine, et quoiqu'elle ne s'était pas encore refermée, elle avait cessé de saigner. Peut-être aurait-il fallu faire des points de suture ? Il n'y vit pas d'intérêt, et s'en désintéressa. Dans ses souvenirs, lorsqu'il était tombé, plus jeune, on avait du refermer ainsi une estafilade à la cheville, et toujours dans ses souvenirs, cela avait été très douloureux. S'il pouvait s'en passer...
Le jeune homme remit sa chemise, et se dirigea vers la sortie, saisissant Caracole au passage.
« Vois mon amie, je suis toujours en vie, même après une nuit passée avec celui que tu traites comme si c'était un diable. » chuchota-t-il, pour ne pas réveiller celui qui dormait encore.
La rapière ne répondit pas. Ozvello voulait, lui, avait un objectif autre que de débattre avec son morceau de métal enchanté personnel. Il comptait ramener de quoi manger, car la faim le tiraillait. Il ne fallait pas trop qu'il s'éloigne, certainement, cela aurait été imprudent de laisser Zeckiel seul, en considérant la chance qu'il y avait que les bandits finissent par revenir. Il y avait des chants d'oiseaux assez agréables qui naissaient dans le bois non-loin. Le bretteur s'enfonça dans la lisière de quelques pas, avant de réaliser qu'il n'avait pas la moindre idée de comment il allait faire pour attraper le moindre gibier. À Nexus, il n'avait aucun mal à payer un repas, et à Castelquisianni ils avaient toujours été offerts par sa famille. Lorsqu'il partait en expédition, il emmenait avec lui des provisions. Mais voilà : lorsqu'il était parti, il n'avait pas prévu de camper.
Une ombre passa à sa gauche, dérangeant le feuillage d'un buisson. Un instant, le garçon pensa avoir rêvé. Il se reprit vite et vit là son repas à venir. C'était probablement une petite bête très savoureuse, un lièvre, sans aucun doute. Avec une agilité certaine, il se mit à poursuivre la forme, ne lui laissant pas prendre de l'avance. Son dépit fut grand quand, convaincu qu'il allait enfin la rattraper, il se retrouva seulement face à un trou creusé dans le sol. Ces animaux, songea-t-il, était d'une ingéniosité débordante dès qu'il s'agissait de fuir où de se cacher. Après une hésitation, l'adolescent décida de passer Caracole par le terrier, voir s'il ne parvenait pas à embrocher un lagomorphe imprudent. L'arme s'indigna aussitôt.
« Par Gilgamesh ! Veux-tu bien le gratter toi-même ! Je n'ai pas été cent fois enchanté pour donner la chasse aux lapins.
–Hm. Mes confuses. » répondit Ozvello, un peu gêné par sa propre tentative.
Sa main trouva son visage. Il grimaça.
« Qui est Gilgamesh ?
–Ça n'a pas d'importance. »
Finalement, c'est bredouille qu'il rentra au camp, ayant abandonné tout espoir de faire un forestier convenable. Sa fierté un peu bousculée, il traînait des pieds. Ce ne devait pas être si difficile de trouver de la nourriture en pleine nature ! Mais à bien y repenser, il était probable que les anciens occupants de la grotte en aient stocké un peu. Cela aurait du percuter son esprit plus vite. Tant pis, le bretteur ne comptait pas révéler, de toute façon, la réelle raison de sa sortie, et ainsi l'honneur serait sauf. Une heure peut-être avait passé, et les rayons du soleil s'étaient fait un peu plus sûrs. C'était l'heure de se réveiller. Si son compagnon ne l'était pas, il était de son devoir de faire que les choses changent. D'une voix assez forte, il lança avant même que son ombre l'annonce à l'entrée de la cachette :
« Vos rêves ont-ils été agréables ? »