Il la regardait avec l'étonnement qu'on peut imaginer dans cette situation. Ses yeux vagabondaient dans trop savoir où s'attarder : Sa face, son poing, sa propre main ?... Ou sur ce sang qui coule, vue qu'il a l'habitude d'avoir en bien d'autres circonstances. En l'occurrence, c'était franchement pas naturel. De quoi être convaincu à vie des prouesses de la jeune femme, et de ne plus la remettre en question. Il essaie de lire les runes, perplexe, avant de la regarder elle. Impressionnant...
Et quelque chose fait tilt dans son esprit. Von quoi ? Ton nom, Sieg. Ah, oui, exact. Il était resté muet pendant toute la scène, et le restera encore quelques secondes après. Ce qu'elle venait de faire était, en un sens, prodigieux, et justifiait totalement la confiance qu'elle lui insufflait.
On ne m'avait pas appelé comme ça depuis... Une éternité. Elle aurait rajouté le "baron" qui va bien, et ç'aurait été génial. N'empêche, l'entendre prononcer ainsi sa véritable appellation avant qu'il ne devienne un prétendu surhomme, ça lui fait quelque chose. Pour un peu, il en pleurerait presque.
Au-dessus, dit-elle. Oui, il est un Übermensch. Dans la mélancolie qui l'avait saisie quelques secondes plus tôt, sans qu'il n'en puisse expliquer la raison, il en avait douté. Lui, une bête ? Non, tu as raison, déesse : Nous sommes ceux qui sont destinés à régner. Les humains ont un large temps de retard. Nous sommes au-dessus d'eux et ils paieront pour leur mépris envers nous. Lui aussi en a bouffé, au début du programme. Cobaye. Bête de foire. Utilisé à des fins dérisoires par rapport à ses capacités. Il poursuit toujours l'idéal qu'on lui a inculqué, cependant. Mais si il devait retomber sur l'un de ceux qui, dans les hautes instances du parti, l'ont considéré comme un simple objet, il les massacrerait.
Dommage, ils sont déjà morts.
Il sort de ses pensées. Retour soudain à la réalité. Il hoche de la tête, puis se relève, et fini de se rhabiller avec la rigueur qu'on lui connaît.
Tu peux mettre tes vêtements. Je suis désolé de t'avoir demandé ça. La première fois, c'était pour éprouver ta soumission. Aujourd'hui, ce n'était que par curiosité de ton corps... Puisse-tu me pardonner un jour de t'avoir fait subir ça. Il regarde sa montre. Une dizaine de minutes avant que quelqu'un ne passe. Il avait prévu trop court. Tant pis. Il est quand même dans les temps.
Passe chez moi samedi, je te prie. Disons... 21h. En forme. Veille à bien manger, bien dormir. Je veux essayer quelque chose. Avant de partir, il enfile ses gants en cuir qu'il a toujours sur lui, par tradition, et lui prend la main pour regarder une dernière fois son bras, remontant sur le reste de son corps. Il va compléter le puzzle qu'il avait commencé à dessiner, cette retranscription sur papier des différents symboles qu'elle porte sur elle, et qu'il avait commencé après son départ de la dernière fois, de mémoire.
Un baiser sur le revers de ses doigts, en s'inclinant.
Ne doute jamais de tes talents, ma chère Adelheid. Il monte les escaliers de l'amphi avec son attaché-case, d'un pas enjoué.
Et viens de bonne humeur ! J'aime la bonne humeur le samedi soir. ᛋᛋ
Il était en pleine prise de son traitement. À vie, le traitement. Peu lui importait, de toute façon, puisque la contrepartie qui lui semblait offerte valait bien ce sacrifice : l'immortalité et la supériorité sur sa propre race. Combien de temps cela va durer ? L'effet s'estompera-t-il un jour ? Revivra-t-il le calvaire de sa résurrection, à ramper plus bas que terre, faible et vide, avec l'impression d'être un junkie en manque de sa dose ? Jusqu'à ce qu'il fasse tout pour retrouver les seringues conservées avec son uniforme qui, par chance, avait été récupéré par un officier américain, il ne se reconnaissait plus. Période terminée. Piqûres régulières désormais. Et il se sentait plus fort que jamais.
Le trip post-prise lui était toujours désagréable. Il respirait difficilement, son cœur ralentissait, son esprit s'embrumait... Et s'embrasait. Des envies naissaient. Diverses. Extrêmes. Il tremblait un peu, et se penchait difficilement pour prendre une gorgée de son thé. Trop infusé, l'amertume reste sur le palais. Quelle honte.
Il s'offre ensuite un temps de réflexion, malgré ses synapses au ralenti. Adelheid. Un objet parfait. Dont il pourrait se servir pour assouvir non seulement ses envies, mais aussi réaliser ses buts. Une grande Allemagne. Une domination mondiale. Et il pourrait l'avilir, la dégrader. Il a envie de la baiser avec haine, de la frapper, de graver lui-même, au couteau, des runes sur son corps nu. Il a faim, soif. Envie de courir. Il reprend vite une gorgée de thé. Son estomac commence à le secouer. Les désirs se succèdent. Il veut ouvrir un livre, écrire, découvrir. Il veut prendre le train, ou l'avion, vers ailleurs, au hasard, peu importe. Il veut porter son uniforme. Il a encore envie de sexe. Il a envie de tuer. Tuer. Oooh oui.
Donnerwetter...Les effets se dissipent sans se presser. Il revient à un état normal. Ses pensées se font plus claires qu'avant son injection. Il a l'impression d'avoir des membres tout neuf. Ses muscles hurlent. Bougeons !
Il se laisse tomber à terre et enchaîne les pompes, récitant avec entrain une leçon d'histoire. Au hasard... L'installation de ses ancêtres à Königsberg. Hop, l'ordre teutonique chassé de la terre sainte, la Prusse, la montée en puissance d'un ordre militaire contrôlant l'Etat qu'il a lui-même créé. Il enchaîne les exercices physiques, récitant avec application tout ce qui lui passe par la tête. Jusqu'à tuer son corps.
Et ses pensées reprennent là où elles s'étaient égarées. Utiliser Frig comme objet servile serait probablement plus intelligent que de s'en faire une amie. Une fois qu'elle aura ce qu'elle veut, elle disparaîtra. Et il ne pourra plus utiliser ses talents de divination, entre autres. Il faut s'en faire une simple esclave.
Il s'arrête et regarde son uniforme, vêtu le mannequin de bois. Si samedi elle réussit son test, alors... Elle deviendra une alliée de choix. A lui de voir si elle doit être son égale ou son inférieure.
ᛋᛋ
Entre ! Installe-toi. Il est de bon poil, et de nouveau torse nu. Pantalon de costume en bas. Pieds nus. Un Siegfried en mode détente, assez dérangeant. Il lui fait signe de s'asseoir sur son fauteuil, et prend le canapé pour lui. Il faut cependant naviguer entre son bordel... Et quel fabuleux bordel.
Rien, absolument rien de ce qu'elle n'a sous les yeux n'a moins d'un demi-siècle. Et encore. Parmi tout le matériel déployé dans le salon, sur la table basse, à terre, sur le canapé même, certains objets ont l'air tout bonnement millénaires. Dans ces oeuvres, elle retrouvera les recueils qu'il amena en cours quelques semaines plus tôt. Les couvertures, ternies par les âges, portaient pourtant un sceau très distinctif, qui tranchait avec l'aspect vieilli et travaillé de ces grimoires.
L'infamie imprimée avait profondément envahi les fibres du livre. Tenter de le retirer, c'était arracher tout bonnement un morceau d'un témoignage de l'histoire scandinave.
Devant lui, entre les piles de livres et de documents, un petit espace. Une petite poubelle médicale en plastique épais, jaune, une boite en métal type porte-cigarette en acier mat frappé d'un aigle et d'une croix gammée en blanc. Parfaitement conservée. De la ouate. Et deux tasses de thé. Il fait glisser l'une d'elle vers Adelheid.
Prête pour une leçon d'histoire ? Oh, d'abord, je dois faire ça. Laisse-moi deux minutes. Il se fait un garrot, et ouvre la petite boite, d'où il sort une minuscule seringue. Il trouve sa veine, et pique. Il ne diffuse pas tout de cette substance limpide dans le sang, il prend son temps, donnant des petites poussées saccadées avec précaution, jusqu'à l'avoir vidée. Râle de plaisir. Il abandonne la seringue, défait le garrot et appliqué un morceau de coton. Son corps semble se détendre. Il a du mal à parler.
Les premières fois... Ces piqûres ne me faisaient rien. Avec le temps, j'ai commencé à avoir quelques effets secondaires. Appelons ça ainsi. Je ne me souviens pas de ce que j'ai pu faire, mais je sais que j'ai déjà détruit tout le mobilier du labo. Je crois avoir tabassé le docteur Weingart. Ils n'ont jamais voulu me dire ce que je faisais pendant mes... crises. Mais il est possible que j'ai violé une infirmière et tué du personnel du labo... S'enfument ses pensées, au rythme où son corps assimile son eau de vie. Sa sauvagerie commence à le reprendre. Tiens bon. Lutte. Tu sais faire.
J'ai appris à maîtriser... Même si... Des fois... C'est plus dur que la normale... Il semble se combattre. Il ne faut pas qu'il la regarde. Les images lui viennent en tête néanmoins. Son corps, ses visions, et la violence qu'il voudrait éprouver. La tempête s'estompe progressivement. Il respire calmement. De nouveau, il se sent vivant.
Bien... Par où commencer ?Des photos, d'abord.
C'est moi lors de mon intégration. Untersturmführer. Comme tu le vois, j'ai pris dix ans depuis. L'uniforme m'allait bien... Il me va toujours. Il est dans la chambre. J'en prend grand soin. Ça... C'est moi avec Heydrich. Un fils de pute comme il en existe peu. Un type assez mesquin, mais il m'aimait bien. Et bon escrimeur. Il avait de l'estime pour les aristocrates, ce qui ne coulait pas de source dans la SS. Et ça, c'est moi avec Rosenberg. Il était sympa, en privé. Discret mais agréable. Enfin... Bon. Il a été condamné à mort à Nuremberg je pense que cette donnée suffit à te donner une idée du personnage. Et ca... Une photo de mon unité. C'était près de Koursk. Je suis ici. Là, il y a Panntreffe, mon adjoint. Panni, qu'on l'appelait. Il était formidable. Je ne l'ai pas revu depuis. Ah, la nostalgie. Ça lui permet de faire passer les dernières gouttes de violence en douceur.
Tout ça, là. Ces livres sont théoriquement à toi. Ils ont été volés dans les pays que nous avons envahi. Hm... Je vais clarifier la chose. Il y a trois organismes distincts : le Sicherheitsdienst, les services secrets, qui appartenait au Reichssicherheitshauptamt, le services de sécurité de l'Allemagne, dirigé par Heydrich. Très connu pour avoir dirigé les crimes de guerre et crimes contre l'humanité reprochés à l'Allemagne. À côté de ça, la Waffen-SS, branche militaire de la SS, qui elle n'était qu'une organisation générale qui côtoyait le RSHA. Et encore à côté de ça, l'Ahnenerbe, chargé des recherches archéologiques, génétiques et autres. Clair ? Bon. J'appartenais d'abord à la Waffen, en tant qu'officier dans une unité de combat, avant d'être doublement affecté au SD, en tant que sujet de recherches. Les tests ont commencé. J'étais le seul sur qui ils étaient concluants. Ils ont été tenté de me garder comme cobaye enfermé dans un laboratoire, mais Himmler à tenu à tester mes capacités au combat. J'ai fait quelques campagnes en 39 et en 40, et à l'occasion de la campagne en URSS, j'ai eu ma propre division. À mon nom. Enfin, le nom qu'ils m'avaient donné pour les tests. Siegfried. Division Siegfried donc. Effectifs restreints, mais j'ai eu le droit de choisir parmi les meilleurs. On a eu quelques coups d'éclat à notre palmarès. On tenait l'intenable et on secourait les unités en difficultés. La Wehrmacht, l'armée régulière si tu préfères, était toujours contente de nous voir arriver. De quoi blinder une défense, mes hommes et moi étant un bouclier des plus féroces. Parallèlement, l'Ahnenerbe avait besoin de moi. J'ai donc dû prendre des vacances de mon unité pour être responsable des recherches et fouilles. Mes capacités intellectuelles supérieures et mon apprentissage des langues me permettait de tout retenir, de tout coordonner. Norvège, Russie, Japon, Grèce. Rosenberg m'a fait faire quelques beaux voyages. Entre temps, je devais gérer mon unité pour être sûr qu'elle tienne bon en mon absence, subir les tests à Berlin, et survivre sans péter un câble ou me prendre une balle. Pause. Le moment difficile arrive. on sentira une certaine tristesse dans sa voix.
En 45, j'étais bloqué au Japon. Le Reich avait déjà capitulé depuis plusieurs jours. Les japonais venaient de le faire. J'ai tenté la guérilla contre l'invasion américaine. J'étais une poche de résistance à moi tout seul. J'ai assassiné et saboté. Finalement, ils m'ont eu. J'ai préféré me tirer une balle plutôt que de risquer qu'ils découvrent, avec moi en vie, les secrets du Reich. Une balle entrée sous la mâchoire. Et je suis mort. Il lui sourit faiblement. Mourir pour l'Empire était un honneur. Il ne regrette rien.
À force d'aligner ses mots, le sentiment d'oppression revient. Pas naturel. Il sait que ça veut sortir, mais il n'a aucune idée de ce que c'est. Il sait qu'il a besoin d'elle. C'est diaphane, apparu à lui depuis qu'elle lui a parlé. Et il ressent le besoin vital qu'elle réussisse.
Venons-en à toi. Tu as un don manifeste. Tu as des capacités. Je ne sais pas pourquoi ni comment. Peut-être est-ce dans l'un de ses livres. Je t'offre le loisir de les consulter. Tous les mythes scandinaves s'y retrouvent. Tu peux les consulter. Peut-être que quelque chose te viendra. Je l'espère pour toi. J'accepte de te les prêter. Je les ferais porter chez toi, si tu veux. Entre nous, j'ai rarement vu des ouvrages plus intéressants que ça. Speech terminé. Tout est à sa disposition. Délicate attention, il lui a même laissé des gants de soir, pour que la sueur naturellement présente sur les mains n'abime pas trop les œuvres.
En parlant de main. Il lui tend la sienne.
Tu as aussi dit que tu n'as jamais essayé volontairement. C'est le moment de réitérer. Je vais te demander de revivre un moment précis de ma vie. Et tu devras t'y plonger. Ça va être sur. Je vais te faire recommencer, encore et encore, jusqu'à ce que tu aies une image claire. De ma vie, je veux que tu revives ma mort. Et surtout... Ce qu'il s'est passé après. On va s'entraîner ainsi jusqu'à ce que tu maîtrises ton don. Qui sait... Peut-être arriverons-nous à quelque chose.Voilà. Lui a toujours pensé avoir halluciné. Le délire de sa résurrection, quand le cerveau se reconstituait lentement, pendant ses jours dans sa tombe anonyme. Mais chaque nuit, ses rêves sont tourmentés par les images qu'il a pu voir dans l'au-delà ; le supplice venant du fait qu'il n'arrive jamais à s'en souvenir. Tout vient par bribes informés, que ses neurones boostées aux hormones n'arrivent à reconstituer. Elle, elle le peut. Elle voit les choses plus clairement que n'importe qui, y compris lui-même.
Quand tu veux. Tu peux prendre ton temps, feuilleter ça. Dès que tu es prête, on y va. Il pose sa main sur son bras, et ses paupières se font soudainement lourdes. Ferme les yeux, Siegfried, et laisse les dieux t'envahir.
ᛋᛋ
1945. Siegfried, coincé au Japon, avait décidé que la guérilla était le meilleur moyen de continuer le combat, quitte à le faire en solitaire. Il refusait cette défaite du Reich dont on abreuvait les ondes, et la capitulation du Japon encore moins. En quelques jours, le guerrier honorable s'était mué en un redoutable terroriste, faisant sauter des convois américains sur les routes, tuant officiers et soldats, brûlant des dépôts. Le bonheur couplé à la rage.
Mais ils le poursuivaient maintenant dans la ville. Il en avait tué une trentaine aujourd'hui, avant de se réfugier derrière une poubelle, dans une impasse. De ce qu'il estimait, ils étaient une dizaine à l'attendre. Un genre de sous-officier lui parlait. Il répondait par des invectives et des insultes. La pochette en cuir nouée à sa ceinture était vidée par terre. Trois balles pour son Walther. Ca ferait léger. Le fusil mitrailleur qu'il vient de voler à un soldat est déjà vide. Il ne compte pas se laisser abattre comme un chien.
Une balle. Deux balles. Trois balles. Il charge le pistolet.
« -Tu es déjà mort.-Non. Je peux tenir. Il suffit de faire diversion. De jouer sur leur peur. Ma détermination. Ma vitesse supérieure. Je vais ruser, et les avoir.-Oh, c'est un bon plan... Mais ce n'est pas la peine. Tu vas mourir.Le désarroi le saisit. Ce dialogue avec lui-même commence à le noyer de désespoir.
-Tout est fini. Abandonne. -Non. Non, je peux encore le faire. -Ils vont t'avoir.Oui, ils vont l'avoir. Si il ne meurt pas, que feront-ils de lui ? Ils découvriront son secret. Lui, le super-soldat du Reich. Il le cloneront. Le Reich ne reviendra pas. Il doit rester une exception.
Une main, plus jeune que celle du Père, plus fine, précautionneuse, saisit son pistolet. Elle lui retire des mains, et il n'arrive pas à lutter. L'inconcevable présence retire le chargeur, ôte deux cartouches, n'en laissant qu'une. Il laisse tomber les munitions au sol avec lenteur. Siegfried suit le trajet sans rien faire. Puis on charge la balle dans la chambre. Et on lui rend.
-C'est fini... fini... »Il retient une envie de pleurer. Il n'est pas du genre à laisser ses larmes couler si facilement.
J'ai encore une arme. J'ai encore mon Walther. Il a toujours été près de moi.
Il ne m'a jamais déçu.Blam.« -Siegfried ?-... Père... -Lève-toi, Siegfried.-Je n'y arrive pas. J'ai mal à la tête. J'ai mal partout. -Je t'ai connu plus combatif.-Je suis fatigué... J'en peux plus... -Lève-toi, et je te soulagerai de tes souffrances.Cette promesse lui insuffle la motivation nécessaire pour tenter le coup. Couché comme un chien qui dort, les bras tendus devant lui, les jambes à moitié repliées, sur ce sol crasseux, il essaie vainement de bouger ses membres. Mais ceux-ci semblent coulés dans le béton. Ils refusent de s'animer sur son ordre. Il pleure enfin, mais ce n'est pas la libération escomptée. Il supplie qu'on l'aide, mais l'ancêtre refuse, se contentant de le toiser avec méchanceté. Il lui ordonne de continuer ses efforts. Siegfried y met toute sa volonté. Quand, enfin, son bras et sa jambe acceptent de répondre, la douleur est atroce. Ses muscles se broient, ses os se fissurent, ses articulations se fendent et le liquide y coule, sa peau se craquelle et se déchire comme un collant qu'un chat aurait griffé. C'est atroce. Il hurle, pleure, bave, traîne sa face endolorie au sol, les dents toutes sorties, raclant la terre. Il lâche des insultes dans sa langue natale, maudis Dieu, le Christ et sa pute de mère, maudis les américains, les communistes, les oisifs, les terroristes, les résistants, les faibles, les lâches, les traîtres, toute sa haine y passe pendant qu'il tente de se redresser. Jamais, jamais il n'a eu mal comme ça. Il se demande même si un homme a déjà vécu son calvaire.
Sur ses coudes. C'est déjà un exploit. Lorsqu'il tente de redresser le dos pour se mettre à quatre pattes, c'est au tour de sa colonne de se tordre, et de se briser – c'est du moins l'impression qu'il a. Son corps ne lui appartient plus. Faible chose. Sous cette nouvelle douleur, plus perçante encore que les précédentes, ses bras lâchent et il tombe visage au sol. Son crâne se fissure, son cerveau se répand au sol.
Stop. Pause. Il ne bouge plus. Respire difficilement, tentant de reprendre un souffle commun. Et il hurle, crie tous ses poumons pour évacuer tout ce qu'il ressent, tandis qu'il tente l'ultime effort pour se redresser. Ses pieds arrivent à se poser au sol, et, s'aidant du mur sur lequel il rampe à la verticale, il parvient à se mettre complètement debout. Un peu courbé, certes, mais c'est déjà ça.
Son cadavre tient bon. Il lève enfin les yeux sur l'ancêtre, qui a l'air bien plus jeune que la dernière fois. Le paysage se transforme soudain. Oublié la ruelle sombre, place à un cimetière militaire d'automne. Siegfried s'appuie sur une tombe, la stèle n'était qu'une croix chrétienne de faible qualité.
-Pourquoi... Pourquoi ça fait si mal... -Parce que tu es mort.-Ca n'était pas comme ça... la dernière fois... -Tu étais encore en vie. Au bord de la mort. Je t'en ai sauvé. Cette fois-ci, c'est bien la mort que tu as vécu. Tu t'en relèves, lentement. Ca va prendre du temps. Tu vas avoir mal, et tu t'en sortiras.-... Grâce à vous ? -Et grâce à ce que tu as dans le sang. Je te donne l'occasion de survivre. Ta reconstruction se fera de toi-même. -... Qu'est ce que je vais devenir, Père ? Je suis seul. Je n'ai plus de but. -Tu te rappelles de ce que je t'avais demandé, la dernière fois ?-Non... Enfin... Maintenant, si... Mais une fois revenu à ma conscience, j'aurais de nouveau tout oublié... C'est dur, Père, de se souvenir...-Je t'avais donné une mission et tu vas l'honorer. Siegfried pleure de nouveau. Il fatigue. C'est psychique, c'est physique. Tout se mélange et il ne peut se contenir.
-Pourquoi... Pourquoi me faire souffrir ainsi... Je préférerais être mort... définitivement... -Un jour, tu me remercieras d'être en vie. Un jour, tu te souviendras de tout ça. Ce jour-là, tu pourras faire ce à quoi tu es destiné.-Est-ce que ça vaut le coup, Père... de vivre tout ça, de faire tout ça, pour vous ? -Question légitime. Oui, ça vaudra le coup. Cela dépendra de ce que tu feras, cependant, avec ce en quoi je tiens le plus.-Qu'est-ce que c'est, Père ? -Tu le découvriras. C'est une chose merveilleuse.-... Je suis votre instrument... -Nous sommes tous l'instrument de quelque chose, Siegfried. »ᛋᛋ
Il rouvre les yeux. Nausée. Mal de tête. Quelque chose vient encore de lui arriver, mais il ne parvient pas à l'identifier. Il la lâche un instant. S'enfile sa tasse de thé d'une traite, puis s'éloigne.
Je reviens.Le voilà filant dans sa salle de bain, se mettant de l'eau sur le visage. Il regarde ses paupières dans le miroir. Est-ce son injection qui le met dans un tel état ? Ca lui arrive, parfois. Un genre de bad trip. Mais c'est la seconde fois, après qu'il l'ait touchée. C'était fugace et violent, comme une tarte en pleine gueule. Ressaisis-toi. Respire.
Quelques minutes plus tard, il est de retour. En forme. Il s'est pris un petit truc à manger en passant dans sa cuisine, un fondant au chocolat, et en tend un à Adelheid. Oui, il adoooore faire bouffer ses desserts aux autres.
Alors ?