"Hell"come ! [Pv : Muse]

Fwaaaaah... Encore une journée lassante à tamponner un bon millier de papiers. Pas une seule requête de procès, rien. Je pense que je vais fermer, il est bientôt 19 heures. Il est temps que j'aille me préparer à manger... Au menu ce soir, heu... Vu comme je suis nul en cuisine, on va dire que ce sera des pâtes, comme pour changer. Bon, je mets l'eau dans la casserole, le verse mes pâtes, je mets à chauffer... Et direction canapé, télé. Très utile d'avoir son cabinet en tant que lieu de résidence. A la télé, ils passent encore une émission débile de chanteurs. Il est temps de changer de chaine pour regarder les infos.

-En direct du lieu du crime, ou la statuette de Kagamini a été dérobée. Sa valeur a été évaluée à plus d'un milliard de yens. On suspecte l'œuvre du fameux pillard Looter Phazer...

Oh, on parle de moi. C'est vrai, la statuette de Kagamini, c'est moi. J'ai touché une belle somme en la volant pour un riche député. Combien, déjà ? 1,6 milliards, il me semble ? Enfin, c'était un coup de maître que je n'aurais jamais pu réussir seul. Si Zakuro n'avait pas été là, j'aurais oublié un détail capital : le musée ou elle était exposée comportait un genre de vigiles un peu spéciaux : d'anciens membres de l'armée de terre armés jusqu'aux dents. J'ai donc du rentrer dans le musée et utiliser mon pouvoir pour observer la ronde des gardiens. Ca a été un beau bordel, mais j'ai réussi.

-Heureusement que t'étais là, Zakuro... Hé, Zakuro, tu fais quoi ?
-Tu verras... Ca va t'aider, je pense.

J'ai peur quand mon chat fait des trucs sans mon accord. Je m'approche du bouquin qu'il est en train de lire et je regarde la couverture. "Invocations de l'Enfer". C'est un souvenir de Terra. Qu'est-ce qu'il compte faire, Zakuro... Je regarde la formule qu'il est en train d'examiner... "Oeil du démon, version I. Permet de percevoir la vérité. Les mensonges sont affichés par le biais de cadenas rouges entourés de chaînes. L'utilisateur choisi pour porter l'Oeil signe alors un pacte avec Infer." C'est dangereux. je me pousse, mais Zakuro commence déjà à tracer le pentacle et me met dedans sans ménagement.

-En, alleen, juyen...
-Zakuro, tu dois déconner, là...
-Aen, hosen, yumen, tren, hamen... Omen.

Une grande lueur sort du pentacle, une sorte de créature étrange arrive et pose sa main sur mon front. C'est quoi ce bordeeeel... D'ailleurs, c'est normal qu'il ait posé la main sur mon oeil gauche ?! Oh putain d'bordel. Zakuro, lui, se lèche la patte comme si de rien n'était, alors que je commence à paniquer. Soudain, je sens que quelque chose a changé, et la créature disparaît. Seule une voix caverneuse se fait entendre :

-Maintenant, tu as l'Oeil. Adieu...

J'aime pas ca... Mais alors, pas du tout... Bordel de merde ! J'ai maintenant des sujets d'occupation plus importants que mon oeil gauche... Le bouquin est en train de cramer. Zakuro regarde le livre, étonné, et se recule.

-Oups. J'avais oublié ca.
-De quoi ?!
-Si on oublie une formule, la créature invoquée donne quand même le pouvoir, mais le livre se désagrège et une muse peut apparaître.
-Une muse ?
-Ouais, mais pas les muses de la mythologie... D'ailleurs tu ferais mieux de sortir du pentacle. Va te voir dans le miroir.

J'aime pas cette recommandation, mais mon instinct me dit "vas-y ou crève." Je vais donc consulter mon miroir, et une première chose me choque : mon oeil gauche. Il est maintenant rouge, avec une pupille en forme de rose des vents. Et j'ai comme l'impression que si j'éteins la lumière, je vais le voir dans le noir, tellement il est brillant. Quoique... C'est pas QUE mon oeil qui brille. Je cours pour tenter d'effacer le pentacle, mais trop tard. A peine je me suis jeté à terre avec de quoi l'effacer que je sens un poids sur mon dos. Je relève la tête vers  ce qui est sur moi, et c'est apparemment une femme.

-Qui êtes-vous... ? Seriez-vous... une muse ?

         Tapie au fond des Enfers, une cigarette immense et longue au coin de la bouche, et les yeux pâlis par l'ennui, Muse n'avait eue de cesse de s'ennuyer. Admirer les suppliciés était un passe-temps. Les regarder souffrir - non, pas mourir, ils ne sont pas là pour ça - était tout aussi divertissant. Tout autant que veiller au bon fonctionnement d'un écosystème hors de toute atteinte et de toute réalité : L'Enfer.
         Pour le moment, tout allait bien, même pire. Les livres qu'elle protégeaient ne protestaient pas, l'Enfer allait décidément de mieux en mieux, au rythme des vers autrefois tracés par un des meilleur poètes italiens. Dante. La jeune créature souffla quelques vers au vent, et se releva du siège de racine sur lequel elle s'était posé, et admira le ciel de souffre qui tonnait au loin. Une odeur de cendre, dans l'air ... Un orage se préparait sur l'Enfer, ce jour. Elle comptait bien y rester pour l'admirer ... Elle joignit les mains, trépignant de joie, admirant les nuages qui se préparaient, au loin, noir d'encre et de foudre, et remit sur ses épaules sa longue cape noire, se protégeant d'une bise fine et chaude comme un brasier.

          Quand elle la sentie. La douleur. Qui se mit à trépigner au fond de son cœur. Cette souffrance lui arracha un cri sourd et rauque, tandis qu'elle reprenait son souffle avec difficulté. Le livre est en danger. Elle ferma les yeux, visualisant la scène, la main posée sur son cœur, étreignant la peau blanche de son corps blafard. Un homme. Un chat. L'oeil. Et le livre, en flamme, agonisant. Dans un grognement digne d'une muse, elle serra les poings.

"Emmène-moi où tu es
Moi seule peut encore de libérer."

            Aussitôt dit, aussitôt fait. Elle se retrouva dans la pièce où le livre mourrait à petit feu. Elle ôta sa cape, la jeta sur l'ouvrage en flamme, afin de faire taire ce feu, et se jeta aussitôt sur l'homme, toutes griffes dehors. De sa main droite, elle pointa le sol.

" Disparais, création.
Efface d'ici ton seul nom.
Que mon souffle décadent,
Ôte ce pentacle d'un même temps.
Que par mes tendres élixirs,
Il ne soit plus qu'un souvenir."

             Une voix qui ordonne, une voix que l'on craint ... Le pentacle, aussitôt, s'effaça, volant au vent et se perdant dans l'atmosphère. Elle s'ôta du jeune homme - sauter ainsi sur les gens ne lui ressemblait guère, l'agitation sans doute ... - et récupéra sa cape. Le feu était éteint. Elle prit le livre dans ses bras, le serrant contre son corps, inspirant violemment. Il était sain et sauf.
Elle reprit son souffle, et ferma les yeux. Quand elle les ouvrit à nouveau, ils brillaient de milles flammes malsaines et inquiétantes. Son regard se posa sur le chat - un familier, sans doute - puis sur le jeune homme. Elle fronça les sourcils, et posa le livre sur le sol, à ses pieds. Elle passa ses mains sur sa robe, une toge d'une noirceur inconnue, comme une masse vivante et grouillante.

" La mélopée de sa douleur
M'a menée jusqu'ici.
Dites-moi par quel malheur
Vous avez eu l'idée de jouer avec ceci ! "

               Elle pointa du doigt le livre, la colère teintant définitivement sa voix.

" Seriez-vous sans esprit,
Pour risquer ainsi sa vie ? "

                 Eh ... Oui, elle parlait toujours du livre. Elle passa sa main dans ses cheveux noirs, où se déroulait, comme toujours, ce sortilège étrange ; des papillons de cristal noir, vivants, soutenaient ses cheveux tour à tour, battant des ailes.

" Je suis la Muse, oui.
Celle d'un livre qu'on occis,
Et d'un Enfer exquis,
Né du plus beau des esprits. "

                 Ah, vanter ainsi Dante ... Une habitude qu'elle jugeait nécessaire. Elle les regarda à nouveau. L'un d'eux portait l'oeil ... Bah, qu'il le garde, tant que le livre restait en vie ....

Hein ?  "risquer sa vie" ? De quoi, le livre ? J'y comprends rien, et limite je me sens pas concerné. C'est la faute à Zakuro, qu'il assume. Enfin... Plus que le livre, c'est surtout pour la muse que je m'inquiète.Au moins, je suis plus cloué au sol. Je me relève tranquillement mais péniblement, et je regarde Zakuro. Celui-ci bat des ailes, comme pour me dire qu'il est aussi paumé que moi. J'ai beau rien n'y comprendre, je peux voir la muse. Je sais pas si c'est la faute à l'oeil, mais je la trouve plutôt belle. Très belle, même. Aucun des cadenas dont parlait le bouquin, aucun mensonge. Pourquoi mentirait-elle à propos d'elle, d'ailleurs ? Et pourquoi mentirait-elle tout court ? Enfin, j'ai cru comprendre qu'elle parlait du livre. J'ai quelques questions à lui poser à ce propos.

-Hey, c'est moi qui aimerait savoir quelque chose. D'une, pourquoi ce bouquin m'a à moitié forcé à l'emmener avec lui quand j'ai quitté Terra ? De deux, c'est quoi, ce bouquin d'invocation ? De trois, pourquoi mon oeil gauche s'est transformé ? Et enfin, quatrièmement, pourquoi le bouquin s'est embrasé ?

D'ailleurs, il y a un truc qui cloche. J'utilise mon pouvoir pour revivre la scène de l'invocation. La muse devrait le voir aussi. Je me penche sur le livre, et je regarde l'incantation. En, alleen, juyen, aen, hosen, yumen, tren, hamen, omen. C'est bien les mots qu'a prononcé Zakuro. Et je sais que la muse l'a vu aussi. Je me retourne vers elle et je désactive mon pouvoir. Une utilisation de grillée, mais on est le soir et dès ce soir, minuit, mon pouvoir se régénèrera.

-A ce que je sache, le livre ne se détruit que si l'on ne prononce pas certain mots de l'incantation. Alors, quelques réponses à m'apporter, chère muse ?

Malgré que ses yeux jettent des flammes, je n'ai pas peur. On peut pas dire que j'aie vu pire, mais il y a quelque chose en cette muse qui calme ma peur. Serait-ce... ? Non, pas possible.

        La jeune femme resta muette devant ces questions, se contentant de cajoler le livre des yeux. Les explications viendraient ensuite. Elle voulait s'assurer qu'ils ne recommenceraient pas de si tôt ce genre d'aventures risquées. D'un air quelque peu ébahi, elle laissa la scène se jouer à nouveau sous ses yeux. Les mots qui défilent, les phrases graciles, ces assemblages si risqués ... Le pouvoir de certains mots, en somme. Un pouvoir plus qu'incontrôlable. Un pouvoir immense, in-quantifiable ... La magie aimait se cacher partout, décidément.
         Elle toussota. Ne pas philosopher seule, dans son coin, alors qu'une scène importante se déroule sous vos yeux. Un commandement qu'elle se devait de respecter, même s'il était contraignant.

" Ce n'est pourtant pas dur à comprendre ...
Mais je pense qu'il est des êtres à qui il faut tout apprendre ... "

       Elle soupira longuement, reprenant son souffle. Elle n'allait pas leur faire un cours sur le pouvoir des mots, il était tard et cela serait sans grand intérêt. De plus, elle avait hâte de rentrer pour l'orage, là-bas, qui se préparait. Quoique ... Elle les dévisagea, puis se posa en tailleur, sur le sol. Un des papillons, dans ses cheveux, s'échappa un moment, mais elle le retint entre ses doigts et le remit à sa place. Sans eux, ses cheveux tomberaient en une cascade d'encre. Elle n'aimait pas cela.
         Elle fixa le jeune inconnu, sans cligner des yeux, et commença à parler.

" Un livre possède une vie.
Ou, comme l'on dit ici, un esprit."

           Elle joignit ses mains.


" En somme, considère que ce livre a une vie,
Et qu'il réclame ta compagnie,
Afin de te voler ton énergie,
Pour nourrir la sienne, enfouie."

               Elle eut un sourire, qui dévoila sa dentition blanche et fine.

" Ainsi, lors de cette invocation,
Tu as réveillé le démon
Qui sommeillait en ces pages. "

             Elle tendit le bras vers lui, et toucha son œil.

" Cet œil est le sien.
Le tien est enfermé dans cet ouvrage. "

             Le récupérer serait un jeu d'enfant. Un simple échange à effectuer en un claquement de doigt.

" Si le livre a brûlé,
C'est que tu l'as malmené.
Tu as oublié, tout simplement,
De le saluer.
C'est une simple histoire de respect. "

                 Elle s'efforça d'avoir un sourire réconfortant, bien qu'elle ne soit pas douée pour ce genre de choses ... Elle sentit le livre s'apaiser, à ses côtés, et posa sa main sur lui, bienveillante. Un papillon, à nouveau, voulut quitter sa chevelure, pour tourner autour du chat. Elle le laissa faire, laissant une mèche quitter sa coiffure structurée pour tomber sur son épaule. Cet inconnu, face à elle, semblait en connaître un rayon sur la magie. En tout cas, les bases - ce qui était étonnant et méritait des félicitations, trop de sorciers négligeaient les bases, hâtifs de jouer avec les esprits - et les invocations. Il était accompagné, de plus, d'un familier incongru ; un chat parlant. Quelle soirée ...

Saluer le démon... Mais j'ai rien demandé, moi ! Zakuro m'a foutu dans une merde pas possible... Ce chat est une aide précieuse mais aussi un venin puissant. En parlant de venin puissant, j'ai l'impression de me faire couler par la muse en face de moi. Je vais de surprise en surprise, ce soir. D'abord elle me gueule dessus, ensuite elle affiche un sourire réconfortant... Sans parler du papillon qui s'est échappé de sa chevelure et qui va taquiner mon chat. Lui ne bouge pas, donnant un coup de patte  préventif dans le vent pour le chasser quand il approche trop près. J'envie mon chat. Lui ne reçoit aucune parole de la muse alors que je me prends tout dans la gueule. Assume, Zakuro, assume...

-Hey, Zakuro, je me demandais... Ou t'as eu le bouquin ?

Il faut bien le plonger un peu dans l'histoire, sans quoi il n'y sera jamais plongé. Je suis la victime de ce coup fourré, merde, la VICTIME ! Je note quelques signes d'inquiétude chez mon chat, comme le fait qu'il se gratte nerveusement le flanc et qu'il bat des ailes, tentant de desserrer son keffier. Je m'approche de lui et je le desserre un peu. Il me répond, posément :

-Ben... Tu l'avais laissé trainer, lundi dernier, non ?

QU-- !! L'espace d'un instant, tout est devenu noir, sauf mon chat, et un cadenas rouge s'est dressé devant lui, avec des chaînes tout autour de lui. Lui ne voit rien et ne semble pas gêné par les chaînes. C'est donc ca, l'Oeil du démon, version I. Je me tourne vers la muse, interrogatif, et elle me regarde avec le même air. Je dois avouer que j'ai fait un bond en arrière phénoménal. Il est temps de percer le mensonge du chat à jour.

-Zakuro... Tu mens.
-Je mens ?
-Oui. Merci pour l'Oeil que tu m'as donné, il me renseigne sur ton mensonge. Alors, selon toi, je l'ai laissé traîner ? Alors vérifions. Ou l'ai-je laissé trainer, selon toi ?
-Ben, heu... Sur la table, là-bas.
-Soit. Je vais utiliser mon tout premier pouvoir oculaire pour percevoir la vérité... Cette table, tu dis ?
-Ouais. C'était lundi dernier, je te rappelle.

Donc il y a trois jours. Okay, on va utiliser pour la deuxième fois la magie de la vérité. Il est temps de percevoir la vérité derrière lundi dernier. J'active donc mon pouvoir, et ce que je vois m'impressionne, pour un chat, même si il est loin d'être seulement un chat. En effet, mon cher Zakuro est en haut de la bibliothèque et c'est assez clair qu'il fait bien exprès de choper le bouquin quand il fait sa longue descente de la bibliothèque jusqu'au sol. Saloperie de chat, c'est à cause de toi, tout ca. Mais j'aurai pas perdu ma soirée, si je garde l'Oeil. Il me sera très utile pour savoir si la défense bluffe. Un dernier point à éclaircir... J'ai réussi à lire l'incantation, mais Zakuro a été obligé de traduire pour moi pour les particularités de l'Oeil. Dans un élan de détermination, je prends le bouquin rapidement, mais délicatement. Il est essentiel que je n'abîme pas le bouquin avec la muse juste là. Je regarde la page de l'Oeil... Et voilà.

-Ne vous en faites pas, j'en ai pour trente secondes, après je vous le rends. Chère muse, Zakuro... C'est quelle langue, les particularités de l'Oeil, au fait ?
-Bah, c'est du Neko... Ah !!
-Voilà. Pourquoi j'aurais laissé traîner un bouquin que je peux même pas lire ? Zakuro, arrête de faire l'innocent. J'y suis pour rien, dans tout cela.

Je rends le bouquin à la muse et je croise les bras. Bon, il est temps de changer de sujet, sinon mon chat va perdre des poils, je le sens. C'est une question de vie ou de mort pour ce bon vieux Zakuro. Peu importe si ca froisse la muse, mais si ca lui permet de rester plus longtemps et que ca la calme à propos du livre, je vais faire sacrifice de ma personne, hein. Surtout si je peux rester à contempler la muse. Elle est froide, mais très belle, aucun doute.

-Dites, chère muse, en dehors du livre, quel rôles avez-vous ? Cela m'intéresse grandement...

Un instant, elle envisagea de foudroyer le chat. Elle aurait très bien pu assassiner l'humain, certes. Mais sa bonté d'âme venait de sauver le pauvre être vivant. Si son humeur avait été tout autre, il serait déjà réduit en cendres. Bref. Le fait que cet animal ose ne pas assumer ses actes la mettait, à nouveau, en colère. Colère qui se calma aussitôt qu'il lui parla à nouveau. Semblant s'intéresser à elle, il lui demanda quels étaient ses rôles. Elle en fut flattée ... Et regretta ce ressentiment. Ce genre de sentiments humains l'entachait  beaucoup, et ne l'aidait pas dans son rôle de Muse. Il y a peu, elle avait même oser ressentir de la pitié ... Cesse de te battre contre toi-même, on dirait que tu es folle.
Elle toussota, un moment, et ordonna à son papillon de revenir dans sa chevelure. Il ne se fit pas prier, et revint soutenir sa coiffe. Et, de sa voix fine et cristalline, elle recommença à parler.

"Je suis une Muse, mon cher.
Celle qui demeure aux Enfer.
Celle qui inspira Dante dans ses écrits,
Et bien d'autres dans leurs créations.
Je vis nourrir l'imagination
Des artistes d'ici."

Ici désignait, bien sûr, la Terre. Sur laquelle elle ne vivait pas.

" Je fais concurrence aux divinités.
Je ne vieillis jamais,
Je veille sur artistes, écrivains,
Et apprentis magiciens.
Je protège les ouvrages précieux,
Et tout autre joyaux à mes yeux. "

Elle lui assena un sourire, et vint prés de lui. Le dévisageant sans aucune gêne.

" Et vous, à quoi servez-vous, ici-bas ?"

Son sourire s'élargit, laissant voir ses dents blanches, tandis que ses yeux étincellaient.

Toutes ces rimes commençaient à s'imprimer dans mon esprit, comme une sorte de rengaine infinie. Au fond, c'était bel et bien une muse, la seule différence résidant dans le fait qu'elle réside aux enfers. Mais comment j'en suis venu à accepter tout ca, moi ?! D'accord, j'ai un peu appris la magie noire à Terra, mais quand même. Je me suis rangé, depuis une bonne dizaine d'années maintenant. Je mène mes procès à la loyale... A part le fait que Zakuro est un chat avec des ailes et doté de parole, ma vie est à peu près normale. Artistes, écrivains, apprentis magiciens... J'en connaissais peu. On peut me considérer comme apprenti magicien, après cette expérience, mais désormais je n'aurais plus besoin de Zakuro. De toute façon ce chat me serait inutile, il ne saurait pas gérer la situation. Puis vient la question de la muse, qui se rapproche de moi avec les yeux qui étincellent.

-Comment dire... Je suis un représentant de la Justice. Non pas la Justice divine, que personne d'autre que vous autres créatures divines ne peut appliquer, mais la justice de la Terre, composée de longs textes sans saveur. Je suis chargé de convaincre les juges de donner un verdict coupable à tout accusé. Pour être sûr que le défendeur soit jugé coupable, je dois utiliser toute sorte de méthode.

Jusqu'ici, j'avais parlé du rôle officiel. Cependant, la perspective de procureur est différente à mes yeux. Je ne l'ai compris qu'à mon premier procès perdu, il y a peu de temps, mais un procureur a un rôle tout autre.

-Cependant, c'est ce que notre cher système judiciaire aimerait bien voir. En tant que procureur, je suis l'émissaire de la Justice, et qu'elle soit tragique, joyeuse, que j'aie fait une erreur ou que j'aie attrapé le coupable, la vérité doit éclater. Non seulement je dois m'assurer d'établir la vérité face à des avocats n'hésitant pas à mentir pour protéger leurs clients, mais en plus je dois convaincre des juges à priori impartiaux que ce que je dis est une vérité. Le messager de la Vérité que je suis est, en quelque sorte, un chevalier combattant pour une Justice ambiguë. Chacun sa définition de la justice, mais tout le monde doit se ranger à l'idéal de l'Etat.

Je savais que si cela se répétait, pour sûr, je serais viré. Mais cette muse, non seulement elle repartira pour les enfers, mais en plus, je pense qu'elle se fout éperdument de cette notion de justice collective. Et je la comprends, je n'ai aucun intérêt envers cet Etat qui nous dicte comment vivre. Seulement, puisque nous sommes obligés de vivre selon un mode de vie, autant se ranger du bon côté et tenter de désamorcer la bombe de l'intérieur. Que peut-on faire, sinon rétablir la vérité, dans un Etat qui nous ment pour nous détruire ? Bref, je m'égare dans mes pensées et j'en oublie mon invitée. Je lui ai exposé ma façon de penser, à son tour de me dire ce qu'elle pense de cette sensation de grandeur erronée.

-Et vous, chère muse, qu'est-ce que la Justice, pour vous ?

Était-ce un héros ? A l'entendre ainsi parler, elle commençait à comprendre qui il était, et le principe de cette Terre. Quelque chose de collectif, qui courait vers l'utopie. L'idée d'un ensemble suive les mêmes régles, comme si les désirs étaient abolis, était un idéal. Mais qui tenait à peu prés ... Trop soucieux de leur corps, les gens se pliaient aux règles. Le chaos de l'Enfer était expliqué par le fait qu'il n'y restait que des âmes, ou des corps qui se mourraient jamais. Un idéal qu'il serait incapable de suivre. La jeune femme poussa un soupir, et haussa un sourcil, intriguée, en entendant sa question.
Pour elle, qu'était la Justice ?

- La Justice est une notion divine.
Dur à appliquer, je le devine.

Elle fronça les sourcils.

- Les hommes jouent à Dieu.
Ils jouent, punissent
Et nomment cela Justice.
Une justice qui n'est
Que violence régulée.

C'était son avis. Dieu jugeait, et voici que l'Homme faisait la même chose. L'Homme s'appropriait le pouvoir d'une divinité ... Au fond, ce n'était pas bien méchant, et dans un bon angle, bien qu'idéal. L'être humain était bien difficile à cerner, elle le savait. Un goût âcre tacha sa langue, tandis qu'elle repensait aux hommes qu'elle avait croisée aux Enfers. Les Enfers existaient, parce qu'ils y croyaient. Et ils y étaient, parce qu'il y croyait.

- Pourtant, tout n'est
Que songes, pensées ...

Murmura t'elle, fixant le nulle part. Elle détenait bien trop de vérités.

- Que pensez-vous de la vie ?

Les mots lui avaient échappés. Surprise, elle plaça sa main baguée face à sa bouche, comme pour retenir d'autres mots rebelles. Elle opta finalement pour approfondir sa pensée, ne le laissant pas en proie à ses pensées glauques dûes à des années de réflexion intense. L'éternité était bien longue, elle devait l'avouer avec un soupçon de regret ...

- Comment concevez-vous la vie ?
Êtes-vous maitre, asservi ?
L'avez-vous seulement choisi ?
Mon éternité dans les bas-fonds
Me fait ignorer la vie et ses notions.

Elle n'avait jamais été humaine, en vérité. Née de pages, de livres ... Elle ne connaissait que visites et poésies, rencontres et nuits tendres ou sauvages, afin de nourrir les hommes d'une inspiration et d'une imagination sans bornes.

La vie... ? Je ne m'attendais pas vraiment à cette question. Je vais là ou j'ai laissé mes pâtes, qui ont brûlé. Tant pis, je ne mangerai pas ce soir. Mais ce n'est pas ce que je voulais voir. Je prends la cafetière, prépare de quoi me faire un bon café bien serré, mais pas turc pour un rond. Les pâtes et le café... Deux des seules choses que je sais cuisiner. Je suis une vraie bille en cuisine. Pendant que le liquide noir tombe goutte à goutte au fond de la cafetière, je me retourne vers la muse.

-La vie ? Ceci est une question assez compliquée... Pour répondre à toutes ces questions... Je dirais que l'on est maître et asservi par la vie à la fois. On décide de notre destin, cependant le destin nous rattrapera toujours. Quant à la vie, non, je ne l'ai pas choisie. Mes parents ont décidé pour moi. Cependant, quitte à avoir une chance, autant ne pas la gaspiller.

Ploc. Ploc. Bruit des gouttes. Cette douce mélodie que celle du café qui passe me fait réfléchir à la question générale. C'est après quelques réflexions de plus que je réponds.

-La vie en elle-même est un cadeau et un poison. Nous avons la chance d'êtres conscients, et condamnés à mourir. Nous rions, nous pleurons. Cependant...

C'est ici que je comprends pourquoi elle m'a posé cette question. Je vois... Telle est donc votre destinée, dame Muse. Je n'avais jamais envisagé le fait d'être immortel, mais l'immortalité doit être bien pire que la vie. C'est le raisonnement que j'ai tenu que je conte maintenant à la muse.

-Cependant, l'immortalité doit être un fardeau encore plus lourd à porter. Nous rions. Soit. Mais nous souffrons aussi... Et ce "cadeau" qu'est l'immortalité n'est que plus lourd. Nous avons nous autres mortels la chance de pouvoir abréger nos souffrances à tout moment. Mais d'un autre côté, à tout jamais. Cela doit être horrible de vouloir mourir, et de ne pas pouvoir... Je ne parle même pas de ce que l'on appelle immortalité réellement, et sa différence entre la jeunesse éternelle. Chère muse, sans doute je ne vous apprends rien en vous abrégeant ce mythe. Vous savez, cette chère Aurore qui veut épouser un mortel réticent. En échange de ce mariage, Aurore aux doigts de fée lui a offert l'immortalité. Cependant, elle ne lui avait pas offert la jeunesse éternelle. Il vieillit comme tout le monde, et passé 200 ans, demanda à Aurore de l'achever. Voici ce que je pense de l'immortalité... C'est sans doute la pire malédiction du monde.

Je ne sais plus trop ce que j'ai fait après. J'ai eu la vague impression de m'avancer et plus rien. J'ai repris mes esprits grâce à Zakuro.

-Lyan, tu fous quoi, la, bordel ?

Reprise des esprits, et à première vue énormément de noir. Rien d'étonnant, je me rends compte que j'avais pris la muse dans mes bras. Je ne sais pas quelle température corporelle a un être immortel en logique, mais le contact avec elle me brûle la peau. J'arrive au final à me détacher d'elle, à reculer. J'arrive peu à peu à articuler une phrase.

-Je... Je suis désolé. Je ne sais pas ce qui m'a pris.

En fait, si. Ce qui m'a pris m'a pris par le cœur  et c'est ce que l'on appelle "compassion". Elle porte ce fardeau qu'est l'immortalité. Et j'ai oublié d'ajouter une chose dans l'immortalité : la notion d'ennui... Comme on doit s'ennuyer, après un certain temps de vie !