«
Alors, c’est vraiment la merde, hum ? »
Il haussa les épaules, en finissant de boire son verre.
«
C’est toujours la merde », commenta-il sobrement.
Le barman hocha la tête. Ce n’était pas la première fois que Nathan Joyce se rendait dans ce pub. C’était un pub irlandais, le «
Irish Garden », très chaleureux, et plutôt rare. On était au Japon, après tout. Les pubs ne couraient pas les rues. Nathan avait fini sa journée, et, plutôt que de rentrer chez lui, avait décidé de faire un crochet au «
Garden ». Ian Neileen, le tenancier, était un Irlandais pure souche. Il détestait la Couronne d’Angleterre, les Anglais, et Nathan, pour être honnête, soupçonnait Neileen d’être un individu ayant participé aux Troubles, qui avait fui l’Irlande du Nord pour éviter les représailles. Neileen s’inquiétait, et à bon droit. Il avait ses sources, des oreilles partout, et même la presse nationale avait mentionné ce coup de filet que les forces de police avaient effectué hier. La police de Seikusu avait neutralisé une planque dans un garage, qui était au cœur de tout un trafic de stupéfiants. Des caisses entières d’héroïne, de marijuanas, et d’autres produits festifs, avaient été sortis des caves du garage, après un échange de coups de feu entre les forces d’intervention et les occupants.
La planque appartenait à une mafia russe qui avait décidé, depuis plusieurs semaines, de s’installer à Seikusu. Ils étaient dirigés par Boris Petrovski, le représentant d’une puissante mafia implantée dans l’Europe de l’Est, et qui faisait fortune à l’aide de trafics de prostitution. Les Petrovski avaient trouvé judicieux de s’implanter à Seikusu, afin de répandre leur trafic pornographique dans un nouveau secteur. Parmi les nombreux objets saisis dans la planque, il y avait aussi eu quantité de littératures pédopornographiques et d’autres saloperies, qui, même au Japon, n’étaient pas tolérés. Boris Petrovski était arrivé à Seikusu, mais la police ignorait où il se terrait. Les Petrovski s’étaient heurtés à l’hostilité des Yakuzas, mais il n’y avait pas de bloc commun contre eux. Les différents clans de Yakuzas régnant sur la ville étaient divisés entre eux, et la police craignait qu’une guerre n’explose, surtout entre les Petrovski et les Guramu, un puissant clan yakuza de la ville. La rumeur disait que Boris avait amené avec lui un spécialiste, un expert qui se faisait appeler «
Arctos ». Nathan ignorait si cet Arctos existait, ou était une pure invention du monde de la rue.
Il reposa son verre. La bière de ce pub était magique, forte et puissante. Il aimait aussi l’ambiance qui se dégageait de ce bar, très animée. On parlait sport, et un jukebox répandait des musiques de rocks, généralement irlandaises, ou hostiles à l’Angleterre. Autant dire que, si quelqu’un entrait ici avec un drapeau de l’Union Jack, il risquait fort de repartir la queue entre les jambes, avec le manche du drapeau planté dans le cul. Nathan avait du entendre au moins trois le
Bloody Sunday de U2 ce soir. Et il n’avait bu que quatre verres. Assez pour qu’un humain normal finisse complètement pété, mais il avait, du fait du monstre qui sommeillait en lui, une étonnante résistance à l’alcool.
«
Comme si ces sales niakoués nous faisaient pas déjà assez chier avec leurs taxes de merde, il faut en plus que les Ruskofs s’y mêlent... C’est une putain de situation de merde. -
C’est ça la mondialisation, Ian ! -
Oh, ta gueule, Patrick ! grogna Ian.
Pour la mère-patrie ! »
Nathan n’était pas Irlandais de souche, et les laissa donc trinquer... Lorsque son biper se mit à sonner. Soupirant, il attrapa son pager, et vit un message défiler rapidement :
« RIXE ENTRE YAKUZAS ET RUSSES. AGENT IMPLIQUÉ... »
L’adresse apparut ensuite. C’était proche. Il se leva rapidement, lissa un billet froissé qu’il sortit de sa poche, puis sortit du pub. Le carrefour était juste à côté, et il avait son arme avec lui. Il courut rapidement.
Quand il arriva, la rixe avait en effet dégénéré. L’attaque avait été menée par les Russes, contre une berline yakuza renfermant un
saiki-komon. Au sein de chaque mafia, il existait un principe fondamental et essentiel à sa survie : l’absence d’écrits. Moins il y avait de traces par écrits, et moins la police pouvait réunir de preuves contre vous. La seule exception, c’était le comptable. Celui qui prenait des notes. Au sein de Cosa Nostra, la célèbre mafia sicilienne, ce rôle était tenu par le
consigliere. Il prenait des notes dans des carnets, les
taccuimo. Les Yakuzas avaient un équivalent : le
saiki-komon. Le point fort d’une mafia n’était pas son dirigeant, mais ce petit comptable discret, ainsi que ses notes. Boris Petrovski l’avait bien compris, et ses hommes avaient repéré l’un des quelques
saiki-komon officiant au sein des Guramu. D’où cette attaque.
Une puissante berline russe avait fait un tête-à-queue sur une voiture yakuza abritant, à l’arrière, le comptable. La voiture yakuza avait fait un élégant dérapage avant d’heurter un lampadaire, explosant l’ampoule de ce dernier, et les Russes étaient sortis de leur voiture, essayant d’arracher
manu militari le comptable. Ce ne fut pas un franc succès, car les Guramu avaient réagi rapidement. Les Russes auraient pu dégainer leurs armes à feu, mais il ne fallait surtout pas blesser le comptable. Ils avaient fondu sur les Guramu, mais ces derniers savaient se battre. Dans la mêlée, une flic qui passait par là avait été renversée par un Guramu.
Le comptable était sorti de la voiture, en rampant sur le sol, paniqué. Il portait un costume élégant, mais pas de grosses lunettes. Il s’éloignait du stéréotype du comptable, mais était pour autant paniqué et nerveux. Un Guramu poussa du pied un Russe, le renversant sur le sol, et il eut à peine le temps de sourire qu’il vit devant lui la gueule d’un fusil à canon scié, de la part d’un autre Russe.
«
Assez déconné ! s’exclama le Russe.
’Va faire chier ailleurs avec ton kung fu de merde. »
Le canon rugit, et les chevrotines fondirent sur le Guramu, provoquant comme une explosion. Le corps du Yakuza décolla du sol, comme catapulté, et, dans une mare de sang, s’écrasa contre la voiture, passant par-dessus pour tomber de l’autre côté, éclaboussant le costume du comptable. Ce dernier se mit à hurler, et se redressa, avant de choisir de s’enfuir.
Dans un crissement de pneus, un van gris métallique débarqua sur la gauche, et plusieurs Russes en costume en sortirent, arborant fièrement des pistolets et des pistolets-mitrailleurs. Ils se mirent à faire feu contre les Yakuzas, qui choisirent prudemment de s’abriter derrière des voitures. Nathan débarqua au milieu de ce bordel, depuis une allée, en évitant des gens qui hurlaient en courant. Il dévala des marches piétonnes, ayant sorti son arme de service, un Glock.
*
Une fusillade en pleine rue ! Ces Ruskofs sont tarés !*
Contre une telle puissance de feu, sa pétoire ne serait guère utile, et il n’avait pas spécialement envie de se transformer. Il cherchait des yeux le flic qui avait appelé à l’aide, et finit par le voir... Ou par
la voir. Il cligna des yeux, légèrement surpris.
*
C’est quoi, cette nana ? On l’a envoyé ici pour inciter un violeur à commettre une erreur ?*
Même dans cette situation, Nathan se félicitait de pouvoir avoir ce genre de pensées. Il avança prudemment, plié, et se rapprocha de la femme, s’abritant derrière une voiture abandonnée en plein milieu de la rue. Il y avait un chaos de balles qui s’abattaient autour d’eux.
«
Inspecteur Joyce ! hurla-t-il à l’attention de la femme.
Je viens en renforts ! »