Ça y est, le cours de dessin va commencer! Depuis le temps que je l’attend celui-là. Pour une fois je me dis que je ne jouerai aucun tour au prof. Le dessin, rien que de penser à cette matière j’ai les doigts qui en frémissent, le crayon me titille et la toile blanche sera bientôt dans les grandes expositions. Bon ok, j’en fais peut-être un peu trop mais je suis une artiste, ce cours est comme une pause pour moi, enfin une matière pour laquelle je ne passerai pas mon temps à faire marrer les p’tits potes de dernière. Dommage que nous n’avions pas ça lorsque j’étais à Tokyo... J’avais été déçue lorsque j’avais appris qu’ils ne dispensaient pas l’art du crayon, l’art visuel, le libre parcours de la main sur la vierge page. C’était déterminée que j’avançais vers la salle, accompagnée de quelques crétins tentant de me regarder sous le meilleur angle possible. Un regard en coin à gauche, un regard en coin à droite, pas de doutes possible, la basse-cour avait sorti les coqs de seconde zone. Aucun pour rattraper l’autre et rien qu’à leurs regards je devinais qu’ils me voulaient pour modèle. Que dalle, moi je suis une comique, pas une modèle pour des tocards à deux yens cinq. Non, moi, on me méritait et ce cours était le moment d’exposer mon imaginaire aux yeux de tous sans avoir à le faire sortir dans ce monde.
Une fois arrivée devant la porte, je l’ouvris et avançait, suivie des larbins baveux. C’est dingue ce qu’ils me répugnaient et m’attristaient en même temps. Les anciennes coutumes ne valaient donc plus en des temps si avancés? Dommage, les porteurs de bananes trop mûres allèrent s’asseoir dans un coin, comme pour mieux m’observer et, après avoir regarder l’agencement de la pièce, je m’installais là où ils ne verraient presque rien, me cachant encore plus avec le rideau blanc à dépuceler. Je laissais glisser mes doigts le long de cette page vierge, je la voyais déjà se remplir alors qu’elle restait blanche, pure. Un coup d’oeil aux voyeurs et des mines déconfites, là, je jubilais intérieurement. Oh oui, j’avais bon. Oui, leur mannequin fétiche aimait les voir tristes de ne pas pouvoir la reluquer mais qu’importe, la professeur entra et s’installa avant de capter l’attention de la classe. Elle prit les présences, ce qui eut pour effet de déconcentrer un peu la basse-cour de la poule aux oeufs d’or. Oui, la poule aux oeufs d’or c’est moi, la pin-up, miss beauté incarnée la basse-cour, vous l’aurez compris, c’est eux, le tas de jeunes dégoûtants même pas capable de savoir faire la cours correctement à une dame.
Une fois les présences prises, notre enseignante, contre qui je ne ferais jamais rien, nous dit qu’une élève allait poser comme modèle. Cette nouvelle me déçu un moment, moi qui voulait laisser parler l’imagination débordante était réduite à peindre quelqu’un existant déjà. Enfin, je n’allais pas me plaindre, il fallait bien commencer ce cours par quelque chose et quoi de mieux, pour montrer mon talent, que de peindre la réalité. L’imagination viendrait certainement plus tard. La porte du fond de la classe s’ouvrit alors et j’aperçus les vestiaires des modèles derrière une jeune fille uniquement vêtue d’un drap blanc. Je souris, elle était plutôt mignonne la petite et observait déjà ma toile. Je me voyais déjà dessiner son corps, ses courbes légères que l’on devinait à travers le drap. Alors c’était un nu que l’on nous proposait de dessiner... Ma foi, pour un premier cour c’était quand même pas mal. Je vis les pervers idiots loucher sur le corps de la jeunette et soupira... Aucune décence, aucune retenue. Soit ils étaient encore jeunes, soit ils étaient vraiment en manque. Ils ne se donnaient même pas la peine de lancer un regard furtif, non, ils insistaient. Tout pour me déplaire en somme.