-Ça tombe bien, je vais là.
Le doigt de l’aventurière s’était posé sur un bout de la carte, à peu près à un kilomètre d’où nous allions accoster chaque nuit… Je me retournai, la dominant de toute ma grandeur. Je n’étais pas vraiment disposé à l’écouter; en fait, je me demandais plus comment j’allais la tuer : jeter en mer, la pendre au navire à la proue, aidant mon bateau à briser les vagues ou encore simplement lui trancher la gorge ici et maintenant. Toutes ces options étaient bonnes, mais un tintement que je reconnaissais trop bien retint ma lame.
Un sac remplit de pièce d’or était venu s’écraser sur la table de bois grossièrement fabriquée, laissant s’échapper un peu de son contenu. Il ne m’en fallut pas plus pour accepter la demande de transport. Accrochant la bourse brune à ma ceinture, je roulai par la suite la carte maritime des environs.
"Bien, on dirait que t’es motivée… Mais, même si t’as payé et que t’es que de passage sur L’Appronde, y’a quelques règles à connaître sur mon bateau, pas beaucoup, mais je tiens à ce qu’on les suive à la lettre. Uno : C’est moi le capitaine, tu fais ce que je te dis, point barre. On se comprend?"
À l’aide de mes doigts, j’illustrais le nombre des règlements qu’elle devra tenir compte tout au long du périple.
"Deuxio : Tu te rends utile. Mis à part quand je te l’autorise, je veux pas te voir te prélasser sur le pont ou encore roupiller dans la calle. Tercio : ON TOUCHE PAS À MA FOUTUE CARTE!!! C’est une carte de capitaine, et seul le capitaine peut y toucher!"
Le dernier de mes commandements, je l’ai accompagné avec quelques postillons pour finalement tapoter la carte en rouleau sur la tête de mon nouveau membre d’équipage.
"Bienvenue sur L’Appronde, matelot. GUS, BIRN!!! Aidez la demoiselle avec ses effets personnels, elle vous dira ou ils sont. On met tout dans mes quartiers, elle prendra mon lit, j’ai pas confiance en vous… Y’a trop longtemps que vous avez pas dormi à côté d’une vraie femme, et au prix qu'elle m’a payé, je vous laisserai pas faire un viol collectif."
La guerrière allait ouvrir la bouche alors que je posai la main contre celle-ci. Je savais qu’elle allait sûrement protester contre le fait de dormir avec moi. C’était drôle, que de voir ma main faire presque toute la largeur de sa tête au complet. Un petit sourire plein d’orgueil alors que je me disais que c’était plaisant d’être plus grand et baraqué que tout le monde, je secouai la tête, retirant ma main de sa bouche.
"Je navigue aussi de nuit. Je ne laisse la barre que lorsque je vois les premières lueurs du jour. Donc on ne dormira pas en même temps. QU’EST-CE QUE VOUS ATTENDEZ, BANDE DE FEMMELETTES INCOMPÉTENTES?! J’AI DÉJÀ VU DES MAMIES DE 115 ANS PLUS RAPIDES, L’ANCRE AURAIT DÉJÀ DÛ ÊTRE SÈCHE DEPUIS LONGTEMPS!"
À peine trois quart d’heures ont suivis et nous avions déjà quitté le port, L’Appronde naviguant majestueusement sur une mer plutôt calme et ce, malgré le vent qui poussait les voiles. Les yeux rivés vers l’horizon, je faisais pivoter le gouvernail à bâbord, à tribord, alors que la jeune femme, elle, était accoudée au bastingage, regardant probablement les habitants sous-marins, tous curieux de rencontrer un monstre de bois.
"Pourquoi t’veux aller dans les plaines dévastées? Y’a rien là bas. Qu’un château d’un noble merdeux… Pas de chance celui-là, tout le monde veut le buter, alors il va se cacher dans le royaume du roi Pirate… Moi j’men fiche de lui. Du moment qu’il cherche pas les embrouilles, ça va. Alors? C’est quoi la raison?"