Les contrées du Chaos / Re : Le hasard fait si bien les choses… [Flint Eklepios Adaenika]
« le: dimanche 16 mai 2021, 14:48:25 »Il était difficile de déterminer réellement qu’elle était la relation entre l’aubergiste elfe et son employée. Il y avait quelque chose dans sa voix qui indiquait clairement une relative marque d’affection, mais teintée également d’un ras-le-bol certain, qui provenait peut-être également d’autre chose. Il suffisait de se fier au choix des mots prononcés pour comprendre que la tenancière avait probablement eu une longue journée et que sa collaboration avec sa jeune employée ne l’aidait pas particulièrement à alléger sa charge mentale. Le Démon esquissa un léger sourire, se voulant quelque peu compatissant. Il pouvait parfaitement comprendre le problème qu’était de mener du personnel quand il s’agissait de prendre en compte leurs spécificités. Car si les Enfers étaient avant tout faits d’individualité et d’égoïsme, il fallait parfois gérer des efforts de groupe, ce qui était bien entendu, un véritable cauchemar compte-tenu de tous ces égos surdimensionnés à considérer. « Les fortes personnalités font toujours l’attraction dans ce genre d’endroits, mais ce n’est pas les plus dociles, j’en conviens. » Le voyageur attrapa sa chopine et en but une longue gorgée, la terminant par l’occasion. Il reposa la grande tasse en bois sur la table passant un pouce sur ses lèvres pour enlever le léger excédent de liquide qui s’était agrippé à ces dernières. Le franc-parler de l’aubergiste n’était pas pour lui déplaire. Même si Asep’Timusoth était habitué au langage soutenu et faussé, que ce soit par ses propres implications ou bien simplement par ses expériences avec de nombreux Mortels, il devait admettre que la franchise avait une saveur particulièrement agréable, d’autant qu’elle lui permettait d’être moins alerte et lui offrait un avantage certain. Même si, présentement, il n’était pas convaincu que cela lui fut d’une quelconque utilité. La dénommée Tissandre n’était pas son invocatrice et il n’avait aucune raison valable de vouloir s’en prendre à son âme. Même si, une fois encore, un Démon n’avait pas nécessairement besoin d’une bonne raison pour cela. Il n’avait pas fallu grand-chose pour pousser l’aubergiste à se confier davantage qu’il ne l’aurait même pu imaginer. C’était la politesse qui avait conduit ses mots à s’inquiéter de son état compte-tenu qu’il avait pu voir qu’elle n’était pas vraiment d’humeur en rentrant dans son établissement quelques secondes plus tôt. Un esprit peu affuté aurait également pu déduire que c’était en partie la raison pour laquelle elle était venue l’aborder lui. Un peu plus de déduction laissait suggérer qu’elle l’avait choisi lui, en particulier, parce qu’il n’était pas du coin, et, en particulier, que son problème, ou ses problèmes, étaient intimement liés à quelque chose de local. Visiblement, le Maire de ce petit trou perdu semblait causer quelques problèmes à l’Elfe, en sus d’une relation qui, apparemment, n’était pas des plus cordiales. Le Démon l’écouta silencieusement, intéressé. Non pas que les ragots locaux l’intéressaient véritablement, mais il était de toute façon plus passionnant de faire un brin de causette que de se contenter d’écouter des poivrots à moitié avinés dont les seuls motifs de rigolade étaient les pirouettes d’une pauvre serveuse essayant d’éviter leurs mains perverses tremblotantes. Ainsi donc le Maire s’était fait rosser le cuir et comme le coupable était une voyageuse sur laquelle il n’avait aucune autorité, la culpabilité était automatiquement retombée sur les épaules de celle qui était à l’origine du passage et du séjour des voyageurs dans le village. A la dernière phrase de la tenancière, le Démon haussa un sourcil. « Un nez-bruni ? » Son ignorance sur ce qui semblait être une expression n’était pas une source de honte pour le voyageur, simplement une curiosité inhérente à celui qui essayait de comprendre la situation que lui exposait son interlocutrice. Après tout, il n’était pas du coin, et, pour autant que cela pouvait lui servir, pas de ces contrées non plus. Qui pouvait savoir combien de temps il parcourait les routes ? Cependant, au-delà de cette expression, le récit qu’on venait de lui résumer avait éveillé chez l’Incube une nouvelle curiosité insatisfaite. Y’avait-il tant de voyageurs, ou plus exactement de voyageuses, capables de s’en prendre à un homme ? Il n’avait jamais vu le Maire en personne et peut-être ce dernier était-il à l’image du piètre discours qu’on avait fait de lui. Néanmoins… L’auberge, si elle semblait accueillir beaucoup de monde, n’avait pas l’air de crouler sous les voyageurs. L’écurie était quasiment vide et la plupart des saoulards du coin parlaient de leurs femmes qui les attendaient derrière la porte de la maison, la poêle à la main. Alors qu’il s’interrogeait en silence, Tissandre interpella sa serveuse, faisant relever le regard du Démon vers les escaliers desquels la jeune femme descendait. Amusé face à la petite scène, la créature des Enfers posa son regard d’ambre, au travers de ses lunettes, sur celui gris clair de l’aubergiste. « Merci pour le verre. » Un léger sourire s’était glissé sur ses lèvres. Peut-être ne fallait-il y voir qu’un retour de politesse pour avoir accepté de tailler une bavette en sa compagnie, peut-être pas. Dans tous les cas, un verre ne pourrait pas lui faire de mal. Alors que Flint revenait à leur table, déposant deux verres et une bouteille, à la forme étrange, sur la table, l’Incube se fendit d’un regard, moins insistants, mais reconnaissant à l’adresse de cette dernière. La dénomination de la boisson lui fit hausser un sourcil de surprise. S’il y avait une chose qu’il avait apprise des Mortels, c’était bien que la plupart du temps, les noms des alcools étaient particulièrement bien choisis et qu’un tord-boyaux avec un nom aussi évocateur ne pouvait qu’augurer une boisson particulièrement sauvage. L’odeur qui se dégagea de la bouteille quand l’Elfe la déboucha pour leur en servir un verre chacun était suffisamment équivoque, bien qu’un bouquet fruité, derrière des relents évidents d’alcool, venait l’adoucir légèrement, très légèrement. Il prit entre ses doigts le verre que poussa Tissandre dans sa direction et le leva vers elle. « A quoi buvons-nous ce soir ? » |