Centre-ville de Seikusu / Un renfort Céleste [PV Elemiah]
« le: vendredi 26 février 2021, 16:49:19 »Adossé au pick-up de p'pa, on prend notre courage à deux mains pour rejoindre l'hôpital dans lequel m'man y séjourne depuis quelques jours déjà. Dans ses yeux larmoyant caché derrière ses sourcils grisâtre, j'ai bien compris que le coup de fil qu'il avait reçu était loin d'être un cadeau du ciel. Pour un rapide historique, m'man avait plusieurs symptômes inquiétant; une toux qui ne disparaissait pas, crachait du sang, s'essoufflait vite. On savait que le diagnostic serait pas bon.
On passe à l'accueil, on nous reconnaît facilement. Seul détail, c'est que j'dépasse de plusieurs têtes mon père, donc difficile de faire comprendre que j'suis de leur famille, leur fils qui plus est. En montant à l'étage, on rejoint donc l'aile affiliée au service d'oncologie. On passe la porte, ma mère est en train de dormir, notre médecin détient des radios dans les mains et l'infirmière note quelque chose sur son bloc note.
La dernière fois que j'suis allé à l'hôpital, c'était pour sauver Moya, une nana qui travaillait avec moi dans un chantier. On a traversé deux étages de béton d'un parking en construction avant d'être aspergé de propane qui a déclenché un incendie. Il a fallut purger mes poumons malgré ma régénération accéléré. Depuis, j'ai toujours un malaise de pénétrer à nouveau dans cet établissement. Peut-être la tristesse de regarder tout ses visages atteint par la maladie, la souffrance, le chagrin. Aujourd'hui je n'ai pas le choix devant ma matrone.
Au côté de mon père face au toubib, on se zyeute silencieusement pendant de longues et interminables secondes. Il va ouvrir la bouche, j'aurais aimé qu'il ne le fasse pas.
- Il n'y a pas de traitement.
La phrase résonne comme un coup de tonnerre. Le médecin nous dit qu'il évidemment désolé, mais moi j'entends rien d'autre que cette négation, martelant mon esprit infatigablement. La fatalité, tout est fini. Il y a plus rien à faire. Mon cœur se fissure, puis explose en mille morceaux, les genoux au sol, et la tête posée contre le ventre de ma mère adoptive, les yeux inondés de larmes. Le doc nous laisse seul, et j'essaie quand même de trouver des solutions. Coute que coute.
- Et... si j'lui donnais un peu de mon sang...?
- Ca l'a tuerai, tu le sais bien.
Il s'adosse au mur, j'pouvais l'entendre sangloté de son côté aussi. C'était la fin d'un monde. Notre monde.
***
J'ferme la porte à double tours de mon appartement. Un studio en faite. Tout est dans une seule pièce à part la salle de bain qui fait aussi chiotte. J'ouvre les fenêtres, parce que ça sens le mâle en rut, on voit même plus le sol à cause du linge sale, des magasines, des canettes, des cartons de nouilles, de pizzas et de burgers. Est-ce que j'avais envie de ranger tout ça ? Non, bien sûr que non. J'ai ni envie de faire le ménage, ni de faire quoi que ce soit.
J'avais envie d'un miracle.
Mon père disait que j'pouvais en accomplir. Pour l'instant ce n'est qu'une grotesque connerie. J'jette mon sac dans mon clic-clac avant de rejoindre le miroir de la salle de bain, crade comme tout le reste. Le blanc des yeux encore rouge depuis mes sanglots récents, j'essaie de trouver un semblant de lumière dans tout ce merdier. Raté. Dans ces moment-là qu'on fait le bilan. Le bilan de sa vie. Un réflexe ? Un message de son inconscient ? Aucune foutue idée.
- Pas de boulots stables, pas d'amis, pas de proches, pas de vie heureuse, ta planète d'origine est détruite et ta mère va canner sans que tu puisses faire quelque chose.
Mes lèvres tremblent, et mon poing part à côté de la glace pour empaler le mur. L'avant-bras et le poing à l'extérieur du bâtiment, je n'ai absolument rien senti. Et c'est bien ça le problème. Impossible d'être bourré, impossible de se piquer, impossible de se détendre. Et mes coucheries sont bien trop rares et violentes pour espérer être détendu. J'suis en dehors du cercle, un individu qu'on ne pas battre, casser et reconstruire pour le ramener à l'intérieur. J'peux même pas finir dans une institution. Pire, on peut que me plaindre.
Qu'est-ce qu'il me reste ? Dieu ? J'suis pas croyant. Je crois aux gens, et en leur capacité d'y arriver. Et pourtant, mes yeux vont chercher le ciel, ramenant mon bras qui fait passer l'air frais nocturne.
- Dieu, ou j'sais pas qui. Je ne sais pas ce que tu veux, et je ne sais pas ce que tu as prévu pour moi. Mais j'ai une mère formidable qui m'a ramassé il y a 20 balais pour me sauver la vie dans les couloirs de la mort. Je dois lui rendre la pareille. Par n'importe quel moyen.
Ma voix résonne dans ma salle de bain, la résonnance de la solitude. J'pousse un soupir et m'en vais m'affaler sur mon lit de fortune, où j'sais déjà que je ne vais pas fermer l'œil de la nuit. L'esprit tourmenté et le cœur en miettes.
Quelle nuit de merde.