Le palais d'ivoire / Dans la fleur de l'âge [Elena Ivory]
« le: mardi 02 octobre 2018, 23:35:29 »Équipée de sa fidèle ombrelle, la jeune femme était trop occupée à observer d'un œil rond les alentours pour leur rendre le sourire qu'ils lui offraient. C'était la première fois que Madeleine venait dans la cité de Nexus, à fortiori prés des portes du Palais, et chaque instant sans un coup d’œil dans les paysages et esthétiques était un coup d’œil de perdu pour elle. Quand l'adolescente avait entendu ses parents lui dire qu'elle les accompagnerait pendant leur visite de courtoisie, seule la bienséance et la migraine qui lui prenait depuis le début de la journée l'avait empêché de sauter de joie.
Elle n'était pas ce qu'on aurait pu appeler une fille d'extérieur. Chaque sortie lui coûtait un peu trop de force pour que ses parents envisagent de lui faire faire autant de route très souvent. Cette fois-ci, cependant, les menaces extérieures autour des frontières du pays s'étaient renforcées. La Révolution battait toujours son cours, même hors de la cité. Madame avait préféré prendre son enfant avec eux, un pressentiment la pesant. Elle avait déjà des difficultés à laisser sa fille seule, malgré la compétence évidente des serviteurs sélectionnés par elle-même en personne, mais dans ces circonstances-là... c'était encore plus compliquée. Son époux avait refusé tout d'abord, faisant valoir la santé délicate de sa fille, mais les lubies de sa femme avaient fini par triompher. Il voyait maintenant cette situation comme une opportunité d'observer les capacités actuelles de sa progéniture à vaquer dans le vaste monde sans tomber malade ou s'épuiser. Le Marquis espérait que les bons traitements donnés à son enfant l'avaient renforcé. Qui sait, peut-être auraient-ils une agréable surprise.
Madeleine, elle, jubilait. Sous sa lourde coiffe de mousseline et de dentelles, le joli masque de la bienséance ne laissait rien paraître, mais dés le début du voyage, une grosse boule de bonheur s'était installée dans sa poitrine. Les heures passées à observer les paysages défiler par la fenêtre du véhicule l'avaient rendu rêveuse, et avec le Palais désormais sous ses yeux, elle avait envie de pousser un cri de joie. L'excitation l'empêchait de trop ressentir les tensions qui s'étaient accumulées dans ses jambes. Quelle aventure ! Il lui tardait tant de voir l'esthétique intérieure du Palais, d'observer les gens de la cour, les tentures et les tableaux... la Reine et ses conseillers !
Vraiment, c'était une expérience pour elle. Ses parents la connaissant bien, sa joie était visible à leurs yeux, et leurs sourires s'intensifièrent. Voir leur fille si loin du château, en plein milieu du monde, était quelque chose d'inédit, de franchement bizarre, même. Soudain un peu anxieuse, sa mère vint à elle et la vérifia sous toutes les coutures, pour éviter une mauvaise surprise une fois dans les couloirs, mais également pour vérifier si sa fille n'était pas trop pâle ou un peu fiévreuse.
« - Est-ce que tu as bien pris toute la médecine que l'on t'as donné, ce matin ? Tu n'as pas mal, où que ce soit ?
- M-mère, non, je vais bien, vraiment... »
Ce soudain élan maternel embarrassait un peu sa fille, qui ne voulait absolument pas se faire remarquer - et surtout pas pour de telles raisons. Les quatre potions que l'on lui avait donné ce matin devaient agir actuellement, et sa mère en avait encore un stock complet dans son sac à main. Honnêtement, il n'y avait pas de raison pour qu'elle se fasse pouponner ainsi.
« - Olivia, tout va bien, intervint le Marquis, posant une main rassurante sur l'épaule de sa femme. Vous avez déjà posé ces questions à Madeleine durant le voyage, et la réponse a été la même.
- Je ne veux juste pas que- enfin, elle n'est pas habituée à partir si loin et...
- Tout ira bien, Mère. Vous avez un stock complet de potions dans votre sac à main, non ? Tant que vous êtes tous les deux avec moi, je ne crains rien ! »
La dame effleura de la main sa sacoche, effectivement remplie de fioles qui tintèrent sous le mouvement. Rassurée, elle finit par hocher la tête, et laissa sa fille se placer entre eux deux, avant d'avancer tout trois vers les portes du Palais. Les gardes les laissèrent passer après une brève conversation et quelques vérifications mineures.
L'intérieur du Palais d'Ivoire se révéla encore plus impressionnant que son extérieur. Les Blancpré étaient habitués, comme tous les nobles, à des architectures somptueuses et travaillés. La matière qui composait l'ensemble du bâtiment était ici sans cesse mise en valeur, du haut plafonds jusqu'au sol qui claquait sous les talons. Tout ce blanc se mariait avec les couleurs froides et chaudes, les reliures dorées sur les murs, les vases de fleurs fraîches et les uniformes des serviteurs. Ceux-ci effectuaient leur travail en misant sur la discrétion. Au loin, un orchestre jouait une mélodie qui pouvait sûrement s'entendre à travers tout le Palais. L'ambiance était vivante et charmante.
Le portrait de la Reine se dévoilait dés que l'on passait les hautes portes, laissant entrevoir à chacun qui était à la tête du pays. Madeleine s'attarda sur la peinture qui prenait une large place sur le mur. Elena Ivory ne lui avait jamais été présenté autrement que par des paroles, l'image que l'adolescente s'en était faite ne correspondait pas trop à la réalité. La Reine paraissait bien jeune, assise dans le gigantesque trône, une expression à la fois sérieuse et bienveillante sur le visage. La blonde n'avait pas pensé à s'informer sur son âge - et il y avait peu de chances pour que le sujet soit abordé actuellement. La blonde cessa son inspection et rejoint ses parents toujours en mouvement, son observation l'ayant laissé un peu à la traîne. Sa mère lui lança un regard un peu sévère.
Un serviteur franchit l'une des portes, appelé par quelques battements de main de la part de ses collègues. Un peu mieux habillé et plus grand que les autres, il se présentait probablement comme un esclave un peu mieux gradé. Accompagné de plusieurs soubrettes, il offrit une longue révérence étudié à la famille arrivante.
« Mon Sieur, ma Dame, je vous souhaite la bienvenue au Palais d'Ivoire. Le voyage a-il été agréable ? »
Quelques convenances se firent, en échangeant quelques banalités. Madeleine observait discrètement ses parents et calquait ses moindres gestes sur eux en conséquence. La conversation n'avait pas de place pour elle, et l'excitation descendait un peu. La blonde pouvait sentir à présent le bas de son corps émettre de légères protestations. Cela faisait bien longtemps qu'elle avait autant fait bouger son corps, à bien y réfléchir. Pour éviter de trop y penser, elle huma le parfum des roses prés de leur position. Elle pensa aux jardins d'où devaient provenir ces fleurs, probablement au sein du Palais même, et cela lui redonna du baume au cœur.
La conversation finit par diminuer, laissant place aux indications du serviteur.
« ...nous vous prions d'excuser l'absence de notre Reine dés à présent. La matinée a été consacrée à quelques réunions prioritaires, et le temps s'est probablement un peu joué d'elle et de ses conseillers, expliqua-il, en accompagnant ses excuses d'une nouvelle révérence. Nous allons vous installer dés à présent à la table des invités, l'heure du déjeuner approchant ! Nos servantes vont vous aider à vous débarrasser. »
Un groupe de soubrettes tendait déjà les mains, pour aider la famille à retirer capes, vestes et autres détails entachant leur confort. Une terranide s'empressa de ramasser les affaires que Olivia lui tendait, et ses yeux s'attardèrent sur son sac, que la femme ne lui tendait pas.
« - J'aimerais conserver ceci, s'il vous plaît, expliqua poliment la noble.
- Ah, ma Dame, répondit le serviteur mieux gradé, je suis navré de vous l'apprendre, mais avec les circonstances extérieures, les mesures de sécurité se sont drastifiées. Nous ne laissons plus aucune sacoche de quelque sorte que ce soit entrer dans l'enceinte du bâtiment.
- Oh... et une simple fouille ne permettrait pas de...
- C'est ce que nous faisions, auparavant. Jusqu'à ce qu'une troupe d'aventuriers conviés entre nos murs ne nous dérobe les cuivres, à l'aide d'un portail masqué par un objet ensorcelé, comme, heu... comme le vôtre, conclut-il maladroitement.
- ...Vous insinuez qu'une noble pourrait avoir l'idée de voler, à fortiori dans un lieu où elle est si aimablement conviée ? »
Le ton de la dame était toujours calme, mais un peu de fraîcheur venait en parfumer le ton. Madeleine tressaillit un peu. Elle savait pertinemment que sa mère n'apprécierait pas d'être fouillée de toutes façons, puisque la fouille dévoilerait l'ensemble du contenu médical, et que des explications devraient être fournises. Ses parents n'aimaient pas attirer l'attention sur les tracas de leur enfant, et leur enfant n'aimait pas que l'on attire l'attention sur ses tracas. Elle avait toujours une peur bleue que cela entache l'image de sa famille, et que elle et ses parents deviennent une source de ragots et de moqueries à cause de cela. Aussi se permit-elle d'intervenir.
« - Mère, il n'y a rien de réellement nécessaire dans cette sacoche, n'est-ce pas ? »
La femme jeta un coup d’œil surpris à sa fille, et celle-ci se rendit compte trop tard que son intervention pouvait passer comme légèrement insolente. L’anxiété le lui avait fait oublier. Un nouveau regard sévère le lui rappela. L'adolescente baissa la tête, alors que sa mère cédait et donnait sa sacoche à la servante, qui l'ajouta à la pile de vêtements et d'accessoires. Une fois le bazar emporté et la petite troupe de nouveau en marche, les deux femmes discutèrent discrètement.
« - Je suis désolé, mère, je voulais juste-
- Ne m’embarrasse pas en présence de la Reine et de ses représentants de justice. C'est tout ce que je te demande.
En entendant sa mère la tutoyer soudainement – quelque chose qu'elle et son père ne lui réservaient que pendant leurs mauvaises humeurs – Madeleine se sentit très mal à l'aise.
- Mais je... je n'aurais pas besoin de ces potions de toutes façons, je suis en pleine forme.
- Et ton tonique, dis-moi ? »
La jeune blonde sentit une petite boule se former dans son ventre. Sa mère avait effectivement, en plus des potions, pensé à emmener le fortifiant que sa fille prenait tous les midis pour éviter n'importe quel petit souci au cours de la journée. Malheureusement, celui-ci était aussi resté dans le sac. L'adolescente essaya de ne pas s'en faire et haussa les épaules.
- Je n'en aurais pas besoin non plus...
- J'espère pour toi. »
La conversation fut conclue en ces termes, prononcé d'un ton sec. La dame se retourna ensuite vers le devant du cortège, qui arrivait aux portes de la salle à manger. Comme on pouvait s'y attendre, celle-ci était également très luxueuse, lumineuse. La seule chose qui pouvait différer de l'imaginaire collectif d'une salle à manger royale était la table qui y trônait – ce n'était pas une longue table austère où chacun mangerait dans son coin, mais une table ronde, assez large pour permettre un confort optimal, mais assez étroite pour permettre une intimité minimale. La famille fut installée d'un côté de la table, tandis que les sièges réservés à la Reine et à quelques-uns de ses conseillers restaient vides. Madeleine se retrouvait encore une fois entre ses parents.
« Êtes-vous bien installés ? S'enquit le serviteur. Sa Majesté ne devrait pas tarder à arriver, nous avons déjà envoyé quelqu'un pour l'avertir de votre venue. Souhaitez-vous des rafraîchissements en attendant ? »
Les politesses étaient de mise, pour faire oublier l'attente. Le couple ne semblait cependant pas trop regardant sur un peu de retard. Madame était plus occupée à jeter des regards sévères à sa fille, dont la tête maintenant séparée de sa coiffe était baissée, et un peu rouge. Les mains sur les cuisses, l'adolescente attendit de ne plus sentir les yeux de sa mère la fixer pour relever le regard. En face d'elle, au-dessus du siège vide, une pendule d'or indiquait midi et quart.