Les alentours de la ville / Colliding relics [PV]
« le: lundi 29 janvier 2018, 18:21:06 »Tommy avait eu besoin d'un verre. Il avait toujours besoin d'un verre. Simplement cette fois, le quadra avait voulu changer du paysage miteux de son petit appart' qui puait la vieille sueur et la clope froide. Alors il avait enfilé un jeans crade, un t-shirt Iron Maiden délavé dont l'Eddie n'était plus vraiment visible. Une paire de Converses déglinguées et un blouson quelconque plus tard et Oliver traînait sa carcasse à travers les rues de la métropole nippone à la recherche d'un bout d'Amérique, qu'il avait trouvé en suivant une odeur de burger plus grasse que le cul de Kim Kardashian. Le "Joe's Dinner" avait accueilli sa solitude sur un bout de table avec le concours d'un cheeseburger et d'une portion de frites qui baignaient dans l'huile. Bouffer, ça l'aidait toujours à faire descendre la bière.
Et la journée s'était lentement effacée pour laisser place à la nuit tandis que Tommy achevait les maigres économies de son portefeuille dans ce qui devait être la septième ou huitième mousse consécutive.
On lui avait foutu la paix plusieurs heures durant. Oliver n'était pas un mauvais client, pour un soûlard : il enquillait ses bières sagement coincé sur sa chaise et n'élevait la voix que pour réclamer la suivante. Et quand il se sentait devenir mauvais, colérique, l'ex-ranger s'éclipsait pour aller cuver quelque part. Ce soir, ça aurait dû se passer comme ça. Mais des étudiants l'avaient fait chier, trop heureux de pouvoir se moquer de ce gaïjin sonné par la binouze. Tommy avait d'abord décidé de laisser pisser, imaginant que les mômes allaient se lasser tout seuls.
Jusqu'à ce qu'ils décident de le provoquer.
Ca n'avait pas fait un pli. L'espèce de petit leader s'était retrouvé la gueule proprement éclatée sur un bord de table, finissant à chouiner en baragouinant quelque chose à propos de ses dents cassées. Oliver décida de prendre la tangente avant que le patron n'appelle les flics et s'était barré de son pas aléatoire, sans oublier de prendre avec lui la bière d'un des lycéens trop occupé à espérer qu'il ne se ferait pas encaster à son tour dans le mobilier.
Ce fut après vingt bonnes minutes passées à déambuler dans le quartier que l'américain s'aperçu que la nuit était maintenant bien avancée. L'heure de se foutre au pieu. "L'heure de baiser, putain !" jura-t-il en se rattrapant de justesse à un mur alors que la rue semblait dangereusement tanguer, comme une mer alcoolisée qui se démontait peu-à-peu. La bière l'aida à imaginer qu'il pourrait se trouver une bonne femme à soulever -il n'était pas si mal gaulé, après tout- mais le réalisme le rattrapa douloureusement. Qui voudrait d'une épave comme lui ?
On l'entendit pousser plusieurs jurons décousus au fil de sa marche titubante, on le vit lever mollement un poing rageur vers le ciel. L'américain ne savait même pas après qui il en avait. En revanche, il commençait à comprendre qu'il ne rentrerait pas chez lui dans cet état.
Il avisa une ruelle paumée entre deux pâtés de maison. Discrète, encombrée par les sacs poubelle et les bennes malodorantes. Parfait. Pile de quoi aller se vautrer dans une relative tranquillité pour cuver une paire d'heures de façon à retrouver assez de lucidité pour pouvoir rejoindre son maudit appartement, qui lui paraissait être à des années-lumière.
Tommy s'engouffra dans le chemin de traverse et manqua plusieurs fois de se ramasser en butant contre des ordures, jurant en quelques éclats de voix à chaque fois. Et enfin, le Nirvana lui apparut : un tas de sacs empilés dont le confort semblait outrageusement luxueux. Comme s'il avait trouvé un lit digne d'un roi, le quadragénaire se rua pour aller s'étaler dans les poubelles. Qu'on lui foute la paix, bordel de merde. Qu'on lui foute la paix, qu'on le laisse pioncer un peu. Il regretterait en se réveillant.
Quand le bruit de fouille survint, l'homme redressa la tête en maugréant. Rien de menaçant pourtant ; sûrement un chien qui fouillait les déchets. Ou un clodo. Tommy préféra toutefois s'en assurer, pour s'épargner la mauvaise surprise de tomber nez-à-nez avec un gang de rue. Dans son état, il n'aurait jamais pu se battre sans prendre une dérouillée monumentale.
Son regard fouilla l'obscurité jusqu'à s'y habituer et enfin il découvrit l'archéologue de la pourriture, dont la vision lui fit se demander s'il n'était pas plus bourré qu'il ne le pensait -et il s'imaginait assez imbibé pour s'enflammer au contact d'une allumette.
Ce qui se découpait dans la ruelle à la faveur de l'éclairage de l'avenue attenante, c'était la silhouette d'une femme. Dépenaillée, gueuse, elle avait l'air de faire les poubelles. En soi, rien d'étonnant. Des femmes clodos, il y en avait. Mais celle là... Celle là dégageait "quelque chose", bien que Tommy aurait été bien en peine de décrire le sentiment qu'elle lui inspirait. Et puis, quelque chose ne collait pas. La rue abîmait tout, les âmes et les êtres. Pourtant, la fille qui cherchait le Graal entre deux peaux de bananes et un emballage de ramens instantanés avait l'air étrangement parfaite. Ciselée par le sport, l'effort. Entretenue et séduisante. Oh, bien sûr, Tommy aurait trouvé un laideron attirant. Il était en manque depuis plusieurs mois et troublé par la quantité d'alcool que son organisme avait à écluser. Mais pourtant, il en était certain : cette femme ne correspondait pas à son rôle ni à la scène qu'elle semblait jouer, à se traîner là comme un rat entre deux flaques de pisse rance.
Est-ce que la solitude et la bière le faisaient délirer ? Est-ce qu'il perdait les pédales ? Tommy n'en savait rien et se posait la question alors qu'il se redressait péniblement de son matelas urbain. Il allait aller la voir.
Quel con.
- Euuuuh.... salut ?
La pire des approches en temps normal. L'haleine qui daubait et le pas hasardeux de l'alcool n'allait pas aider à mettre la demoiselle en confiance. D'ici à ce qu'elle se barre sans demander de son reste, ou en hurlant, il n'y avait pas long. Putain, mais pourquoi est-ce qu'il continuait ?
L'épaule contre le mur pour s'épargner un peu du roulis qui menaçait de plus en plus de le faire gerber, Tommy ne désarma pas et essaya d'afficher son air le plus sympathique, ce qui au vu de la situation devait être d'une efficacité toute relative.
- T'euh... t'as l'air... ché pas... pas... bien. T'as eu des soucis ? J'peux t'aider ?
Peut-être que cette nana venait d'échapper à un viol, à un mari violent ? Peut-être même que c'était une étrangère qui venait de s'enfuir d'un réseau de prostitution ? Peut-être que c'était la putain de fée Clochette qui venait de quitter le Pays Imaginaire après s'être fait démolir le fion par les Enfants perdus ?
Tommy maugréa contre lui-même. Il pouvait imaginer tous les scénarios possibles, ça ne changerait rien au fait qu'il n'était pas plus rassurant que n'importe quel tordu qui se trimbalait dehors à cette heure là.
Une nausée le saisit et il préféra se laisser glisser contre le mur pour se retrouver le cul par-terre. Le monde continuait de tourner et de se déformer autour de lui, mais dans cette position ça lui semblait moins catastrophique.
Rassemblant ses esprits comme il le put, il ramena son regard sur l'inconnue.
- J'vais pas... aaah, putain, je vais gerber... j'vais pas... t'faire de mal. Il leva mollement la main vers le bout de la ruelle, où brillaient les néons de l'avenue perpendiculaire. J'habite... pas trop loin.... s'tu veux.
En fait, ce qu'il lui proposait, c'était le logis. Pourquoi ? Il n'en savait rien. Peut-être dans l'espoir de la mettre à l'aise, ou dans l'idée de la ramener. C'était sa façon d'aider, en fait. Simplement, Tommy était incapable de formuler ça concrètement.
Se passant une main sur le visage, se tapota les joues en espérant que ça pourrait l'aider à conserver claires ses idées. Sans grand succès.
- Tu m'aides à rentrer et j'te... oooh... j'te laisse dormi c'soir chez moi... deal ?