Dictature d'Ashnard / Décoration [Alexandre Dowell]
« le: dimanche 20 mars 2016, 21:03:28 »Dans une carriole de bois garée dans le marché d'Ashnard, une petite paire de doigts blancs s'activait énergiquement.
Il n'y avait personne pour surveiller leur propriétaire, blottie contre la paroi de sa petite cage de fer, posée sur une énorme caisse en bois au milieu d'un désordre considérable composé de caisses, de cages vides et d'autres outils plus ou moins rudimentaires, tous destinés à chasser et à attraper des proies. Une demeure d'esclavagiste était reconnaissable entre milles, surtout celle d'un esclavagiste ashnardien, parce qu'en général, les trucs entreposés y étaient un peu plus pointus et meurtriers.
Clic. Clic. Clic. Clic.
Dans le cas présent, le marché battait son plein. Les cages étaient vides puisque leur habitants se trouvaient sur les étals, et il n'y avait personne pour surveiller les agissements de cette petite créature fraîchement capturée, et dont on n'avait toujours pas décidé du sort.
L'ex-humaine avait donc tout le loisir de s'affairer à essayer de débloquer cette maudite serrure, qui, par chance, s'avérait assez rudimentaire : un simple cadenas à moitié rouillé, dont le mécanisme était connue de la créature aux doigts habiles et habitués à débloquer les serrures des quelques chanceux qui avaient réussi à la capturer. Flavia n'était pas capable de rivaliser avec ceux dont elle atteignait à peine la cheville. Mais au fur et à mesure de ses captures, elle avait su dévoiler un certain talent pour crocheter les serrures et débloquer les pièges où on la fourrait. Avoir des doigts plus fins qu'une aiguille était un avantage considérable.
La fée avait hâte de sortir de ce guêpier où elle était fourré depuis quelques heures. On ne s'était pas imaginé qu'elle serait capable de se débrouiller toute seule, et son état pitoyable renforçait ce sentiment : sa peau et ses cheveux étaient couverts de suie et de graisse à force de s'être débattu entre les épais gants sales qui l'avaient attrapé, et sa courte tunique était déchirée de part en part - à la base déjà pas très couverte, autant dire qu'elle était presque nue, sans ces quelques centimètres carré de tissu en moins. Flavia ressemblait à une petite poupée que l'on aurait traîné dans la poussière, mais au moins, elle n'était pas blessée.
Clic. Clic. Clic. Clic.
Clac.
Au bout de la troisième tentative de déblocage, la serrure de la petite cage céda enfin. Se retenant de pousser un cri de victoire, la captive retira ses doigts blancs du mécanisme avec un grand sourire.
Avec le moins de bruit possible, elle ouvrit la porte de la cage - cette précaution, cependant, était inutile, vu le vacarme qui régnait dehors.
Activant ses ailes, Flavia se laissa glisser le long de l'épaisse caisse, et vola vers la sortie en raclant le sol. C'était une bonne méthode pour éviter de se faire découvrir, mais ce n'était pas volontaire. Ses ailes étaient déjà faiblardes de base, mais avec la fatigue et son dernier repas qui remontait à loin, la fée ne pouvait pas faire mieux.
Le marché de la grande place d'Ashnard était aussi bondé que celui de Nexus - la différence la plus flagrante étant probablement l'état de l'environnement. Les couleurs dominantes qui le teintait étaient plus sombres, conférant une ambiance un peu plus dérangeante.
Contrairement à ce qu'elle avait pu imaginer, cela dit, les personnes qui flânaient dans cette place n'avaient pas exactement un aspect de bête folle furieuse. Il s'agissait majoritairement de nobles, les seuls capables de se payer quelque chose par ici.
La fée marcha donc avec précaution entre des paires de jambes recouvertes de bottes, de jupons ou de pantalons aux matières précieuses. Quand quelques talons furent sur le point de l'écraser, la créature préféra se glisser sous les nappes des étals, se frayant entre les pieds de leurs propriétaires, escaladant des caissettes de fruits ou de pierres précieuses, et des chaînes de terranides à moitié grignotées. Certains d'entre eux ouvrirent de grands yeux ronds en l'apercevant, observant avec envie cette minuscule chanceuse, qui pourtant, ne risquait pas de faire long feu, au milieu de cette horde de pieds pressés et impitoyables envers le sol et ses occupants.
Un quart d'heure de crapahutage lui fut suffisant pour réaliser : elle ne pouvait pas rester ici. Elle finirait dévoré par un chien, piétiné, morte de faim ou de fatigue. Ou les trois en même temps, dans le pire des cas.
Quand Flavia fut au bord de l'épuisement, elle utilisa la dernière idée qui pouvait lui venir à l'esprit- cette idée fut en plus stimulé par une botte qui la heurta dans le dos sans qu'elle prenne garde, et qui l'entraîna avec elle dans sa cadence.
Désormais assise sur le cuir tanné contre son gré, la fée en attrapa les deux extrémités, et se laissa porter, en espérant que son poids, aussi léger soit-il, ne trahirait pas sa présence... et aussi que cette botte s'en allait vers des contrées un peu plus agréables que celles-ci.