Le Grand Jeu - Forum RPG Hentai

Bonjour et bienvenue.

Ce forum présente des œuvres littéraires au caractère explicite et/ou sensible.
Pour ces raisons, il s'adresse à un public averti et est déconseillé aux moins de 18 ans.

En consultant ce site, vous certifiez ne pas être choqué par la nature de son contenu et vous assumez l'entière responsabilité de votre navigation.

Vous acceptez également le traitement automatisé de données et mentions légales de notre hébergeur.

Voir les derniers messages - Scydia

Nos partenaires :

Planete Sonic Reose Hybride Yuri-Academia L'Empire d'Argos Astrya Hybride Industry Iles Mystérieuses THIRDS Petites indécences entre amis
Inscrivez-vous

Voir les derniers messages

Cette section vous permet de consulter les contributions (messages, sujets et fichiers joints) d'un utilisateur. Vous ne pourrez voir que les contributions des zones auxquelles vous avez accès.


Sujets - Scydia

Pages: [1]
1
Le palais d'ivoire / Anachronique | PV |
« le: dimanche 27 avril 2014, 00:36:19 »
L'odorat se manifesta en premier, son nez légèrement retroussé se fronçant faiblement alors que les pointes acides de la forte odeur de moissisure venaient agresser ses narines. Son esprit encore endormi ne parvint pas à analyser réellement les relents désagréables qui envahissaient sa cavité nasale, mais les effluves se montrèrent peu-à-peu assez persistantes pour activer son cerveau. Comme si l'information de l'odeur enflammait les bûches représentant sa conscience, de petites étincelles commencèrent à embraser son esprit par petites touches. Au fil des secondes qui s'égrénaient toujours un peu plus vite, son cerveau se réactiva. Le magma de ses connexions nerveuses s'insinua partout, réactivant les autres sens au coup par coup.

Le toucher fit suite. Elle ne comprit pas sur quoi elle reposait mais sut que c'était plat, froid et extrêmement dur. La sensation était désagréable, brutale. La matière était aisément reconnaissable mais son cerveau lui refusa l'information, ses capacités de reflexion étant encore très limitées. Son esprit ressemblait toujours à une épaisse mélasse pâteuse dont elle peinait à s'extraire, donc encore incapable de lui être d'un réel secours. Elle ne pensait d'ailleurs pas vraiment et s'éveillait de son long sommeil avec difficulté, son corps remuant péniblement sur la surface ou il était étendu. Ses nerfs fonctionnaient de mieux en mieux : elle sentit s'être fait mal, probablement en se râclant la peau du genou quelque part. Ce ressenti un peu plus pointu que les autres se mêla à la puissance désagréable de l'odeur qui avait amorcé son réveil et ses autres capteurs naturels firent un bond de compétence dans la foulée.

Sa langue était pâteuse, comme lui soufflèrent ses papilles qui suivaient le chemin de sa peau et de son nez. Elle était lourde et lui semblait prendre trop de place dans sa bouche menue, lui donnant l'impression de mâcher un morceau de parchemin. Elle tenta bien d'avaler pour faire passer cette sensation mais n'avait guère encore de salive, ce qui induisit un ressenti qui dépendait du besoin. La soif la tiraillait terriblement et son corps dut bien réagir pour pouvoir combler rapidement la déshydratation. Son corps bougea un peu plus et elle gémit légèrement en se ramassant sur elle-même, sa langue passant frénétiquement sur ses lèvres sèches. Comme un enfant grognon au matin, elle adopta une position presque foetale et plaça instinctivement sa tête entre ses bras.

Elle tendit l'oreille, devenue entre-temps très réactive. Mais il n'y avait rien de plus à saisir qu'un silence si profond qu'il en était inquiétant, obsédant. Nul bruit ne faisait vibrer son tympan à part ceux qui s'extirpaient péniblement d'entre ses lèvres, et des mouvements de sa peau qui frottait contre la pierre froide. Au moins n'était-elle pas sourde. La pensée -bien plus nette que toutes les autres jusque là- la frappa et elle comprit qu'elle était à présent réveillé, même si elle restait pataude. Ses idées devaient trouver un peu d'ordre, les images se mélangeant dans son esprit embrumé. Elle se concentra sur quelque chose de simple et de certain, son prénom. Scydia. Ses pensées se concentrèrent autour de ces six lettres et revenaient peu à peu à une chronologique cohérente, bien que constellées de légers oublis qui se combleraient rapidement d'eux-même. Elle se nommait donc Scydia, elle avait soif et elle devait ouvrir les yeux. Un moment, un refus net s'imposa. Ses paupières devaient rester closes. Scydia se fit violence et les légers voiles de peau se mirent à papillonner, lourdement d'abord puis à un rythme plus preste ensuite.

La luminosité de la pièce était basse, ce qui facilita son adaptation oculaire. Aucune source vive n'agressa ses yeux fragiles et elle en remercia la Déesse-Mère en se relevant lentement de sa couche improvisée, qu'elle découvrit être un très ancien autel de marbre noir. Scydia scruta la pièce, découvrant que l'endroit circulaire et finalement assez exigü ne comportait qu'une seule sortie qui lui faisait face. La lumière artificielle était donnée par ce qui semblait être une nuée de lucioles à la lueur dorée, qui permettait de découvrir les fresques gravées sur les murs. Un jour, il y avait bien longtemps, les aventures des personnages qui s'y retrouvaient représentés devaient avoir été colorisées mais le temps avait eut raison de la patience des artistes. La pièce était petite mais richement décorée, circulaire et totalement hermétique. Nulle fenêtre, aucun vitrail. Des enfonçements dans la roche lui évoquèrent des alcôves qui avaient été bouchées à la hâte. Un temple qu'on avait cherché à dissimuler ? Possible.
Scydia descendit de l'autel sans prendre la peine de le contempler davantage. Les informations religieuses qui ornaient le piédestal l'intéressaient moins que le temps de vue des lucioles qui flottaient dans la pièce. Hors de question pour elle de se retrouver dans le noir ! Sa nudité ne la perturba pas outre mesure, bien que l'absence d'arme la fit grogner. Comptant sur sa vitesse pour la sortir d'un éventuel mauvais pas, l'humaine accompli quelques mouvements pour se décrasser les muscles et comprit rapidement que son corps était loin de pouvoir fournir son maximum. Soudain, elle porta les mains à son ventre. Elle se souvint y avoir été frappé avec assez de force pour y perdre ses organes, mais tout semblait à sa place. Ne devait-elle d'ailleurs pas être... morte ? Si. Il lui semblait que si, même si ses souvenirs étaient encore très confus. Décidant de ne plus y penser, elle avança vers la sortie et se réjouit de voir que les lucioles semblaient la suivre tandis qu'elle s'enfonçait dans les ténèbres d'un couloir étroit.

Impossible de dire combien de corridors elle traversa, combien de salles plongées dans le noir elle se résolut à éviter. Certaines étaient effondrées et impraticables, d'autres ne lui inspiraient simplement aucune confiance. Elle avançait le long d'un couloir qui avait été en s'élargissant, sûrement le principal de l'endroit. Le décorum sur les murs et les restes de statues lui évoquèrent aisément ce que faisaient les Al'huïns et Scydia s'en trouva un peu réconfortée. Même si l'endroit avait souffert du temps, elle était en territoire ami. C'était la première nouvelle rassurante depuis son réveil. Que faisait-elle là, au juste ? Impossible de s'en souvenir. Ce qui s'était passé avant qu'elle ne s'endorme ? Il lui semblait qu'elle s'était battue. La soif et ses membres ankylosés l'empêchaient de se concentrer correctement et la perspective d'un bain chaud lui paraissait être la meilleure motivation au monde.
Pensive, la vagabonde improvisée se retrouva bientôt nez-à-nez avec un mur. Aucune sortie n'était apparemment possible, et Scydia manqua bien de paniquer avant que son oeil ne capte une information gravée à même la paroi rocheuse qui avait été travaillée, comme le reste de l'endroit. C'était une phrase en al'huïn, vaguement dissimulée dans un ensemble d'ornement d'or. Elle expliquait comment ouvrir ce qui était en fait une porte et Scydia s'y employa, cherchant durant quelques minutes le mécanisme dissimulé avant de finalement l'actionner.
Rien ne se passa, avant que ne s'écoulent d'interminables secondes. Un mécanisme ancien mais heureusement fonctionnel s'activa dans les murs, grinçant horriblement avant de forcer sur ses engrenages crispés par la rouille. Lentement, le mur devant lequel se trouvait Scydia se déroba sur la gauche dans un bruit puissant de pierre grattée lourdement contre le sol. Un rai de lumière qui allat en s'élargissant inonda le couloir d'un blanc immaculé qui poussa la jeune femme à s'écarter un peu le temps de s'y habituer, ce qui vint lentement. Le mécanisme rendit l'âme à mi-chemin, ce qui n'empêchait heureusement Scydia de passer. Sans hésiter -parce que de toute façon sa situation ne pouvait que difficilement empirer- elle s'engouffra dans l'ouverture.

Elle baissa le bras qu'elle avait placé devant ses yeux une fois que la luminosité fut correctement supportée par son nerf optique, pour découvrir une pièce bien différente de celle qu'elle avait quitté. De beaux meubles ornaient un grand espace, d'agréables couleurs couraient sur les murs d'un endroit qu'on devinait plein de vie et souvent fréquenté. Scydia s'en félicita et balaya la pièce du regard, satisfaite d'y découvrir un bain. Comme si la Déesse-Mère avait entendu les prières qu'elle lui avait adressée en crapahutant dans les couloirs obscurs et puant, l'eau qu'on devinait chaude aux volutes de vapeur s'en échappant lui tendait les bras. Pour elle qui était nue et sale, quel bonheur !
Son euphorie ne dura pourtant pas. En regardant mieux, Scydia découvrit que des pas humides venaient à peine de quitter l'ondée encore agitée du déplacement du corps qui y avait été plongé quelques courtes secondes auparavant. Logique... Le mur qui avait basculé pour la laisser passer avait fait assez de bruit pour alerter la personne qui se trouvait là. Vu les senteurs florales qui embaumaient agréablement la pièce (sûrement les sels de bains), c'était une femme qui se trouvait là. Et sûrement n'était elle pas loin, à moins qu'elle n'ait détalé comme un lapin.

- Hého, tenta t'elle d'abord sans grande conviction. Hého, il y a quelqu'un ?

Le temps que l'éventuelle réponse n'arrive, la guerrière lorgna sur le bain. Déesse, que c'était ardu de résister à la tentation d'y glisser son corps endolori ! Puisqu'il n'y avait personne dans les environs et qu'elle était de toute façon nue, pourquoi ne pas céder ? Elle ne demandait rien que quelques minutes d'ablutions. Même de petites secondes auraient fait son bonheur ! Se mordillant la lèvre, elle entreprit finalement de mettre au moins les pieds dans l'eau.
Elle regretterait une fois propre, dans le pire des cas.

2
Prélude / Scydia, le Sabre Véloce [Valimercenarisée !]
« le: jeudi 24 avril 2014, 23:12:19 »
Son souffle était saccadé, difficile. L'air qu'elle parvenait à inspirer lui brûlait les poumons, dont elle pensa un instant qu'ils étaient tapissés de cendres. Sur sa peau s'écoulaient les sillons sombres qui charriaient sang et sueur au fil des imperfections de sa chairs et des blessures qui la meurtrissaient durement. Sa gorge était sèche, sa langue pâteuse. Tête baissée, elle se regarda un instant et contempla son corps. Ce qui restait de sa légère armure d'argent était strié par le passage des lames et les marques profondes des impacts magiques qu'elle avait eu à encaisser. Certaines pièces de métal gisaient un peu partout autour d'elle, leur perte ayant dénudé sa silhouette qui se retrouva plus douloureusement exposée encore aux assauts adverses. Le tissu de sa tenue ne semblait plus qu'être un ensemble de haillons imbibés de sang, dont les pans déchirés baillaient pathétiquement autour de ses plaies encore à vif. Ses cheveux, attachés en une natte grossière, étaient étoilés de tâches carmin. Certaines mèches collaient sur sa peau poisseuse, contre sa nuque et sur son front.

Elle était tombée à genoux quand l'évidence l'avait frappée. Ils ne gagneraient jamais. Son impuissance avait pesé sur elle si fort que ses jambes s'étaient dérobées sous elle, son visage se parant d'un masque de terreur et d'incrédulité mêlées. Le dernier de ses compagnons venait de tomber devant ses yeux, alors qu'ils avaient tenté tous les deux un assaut de la dernière chance qui s'était soldé par un échec et une mort supplémentaire. Seule subsistait à présent sa vie, maigre rempart devant un adversaire qu'elle savait désormais inébranlable. Ses yeux glissèrent sur la lame de sa rapière, à la pointe brisée et au tranchant constellé de morsures. Son arme, elle aussi, agonisait. Il ne lui restait pas davantage d'espoir que de force.

Son regard clair se releva, presque timidement. Il balaya la salle dans laquelle tous s'étaient battus et étaient morts au nom d'une cause qui semblait désormais complètement perdue. Les formes des corps brisés de ses camarades se distinguaient parmi les gravats et les colonnes d'ornement tombées à terre, dans les cratères que certains coups avaient creusés. Ces stigmates architecturaux défiguraient l'endroit, pourtant baigné de soleil. L'immense verrière qui dominait la scène avait été éventrée depuis quelques temps déjà, révélant un ciel d'un bleu clair seulement parsemé de fines bandes nuageuses paresseuses. Tout témoignait de la violence du combat qui avait été livrés entre ces murs, dont certains étaient éventrés. Tout sauf cet horizon bleu, qui lui parut aussi insondable que l'océan et plus effrayant encore que les abysses ténébreuses de ce dernier. La fureur de la bataille sembla atrocement futile devant l'immensité tranquille du ciel et, durant quelques secondes d'horreur, elle se demanda pourquoi elle se trouvait là. A quelle fin avait elle brandit l'acier effilé de son épée, pourquoi ses compagnons étaient ils morts ? A quoi rimait la douleur qui vrillait ses nerfs ? Les questions se bousculèrent dans sa tête, lui embrouillant l'esprit à toute allure. Le doute la submergea, tout comme la peine et l'amertume. Soudain, les battements de son coeur se mirent à accélérer et le souffle déjà court lui manqua. Tout se brouilla devant ses yeux et son buste bascula vers l'avant, rattrapé in-extremis par ses bras flageollants. Un intense sentiment de panique enserrant son muscle vasculaire et elle tenta tant bien que mal de reprendre le contrôle de son esprit et de son corps. Elle ne pouvait pas céder à son adversaire plus de terrain qu'elle ne lui en avait déjà accordé. Son affolement se calma sans que son trouble ne daigne complètement disparaître, mais elle eut la présence d'esprit de le muer en autre chose.
En une colère vive et grondante, plus intense encore que le désespoir qui l'alimentait. Non, elle ne devait pas céder. A aucun prix.

La voix lui parvint d'abord étouffée, puis les mots prirent un corps puis du sens dans ses oreilles. "A présent, tout doit finir", entendit-elle. La femme qui venait d'abattre ses camarades s'apprêtait à lui porter le coup de grâce. Ses pas claquaient contre le sol tandis qu'elle comblait la distance qui les séparait. L'abattrait-elle d'un coup de la lance qui avait perforé le ventre de son ami, qui gisait à quelques mètres à peine ? Userait-elle d'un de ses sorts magiques ? La ferait-elle souffrir ? Celle qu'on nommait le Fléau des Ages entendait d'obtenir sa mort pour conclure un âpre combat et achever ainsi ses plans. Si tôt qu'elle serait tombée, le Fléau détruirait le Point de Convergence et ferait sombrer Terra dans un chaos apocalyptique. Ainsi, leur combat s'avérerait vide de sens et les vies qui avait été brutalement arrêtées au cours de la guerre aurait été sacrifiées en vain. Un simple contre-temps pour le Fléau, qui semblait savourer d'avance sa victoire écrasante tandis qu'elle se rapprochait de son opposante agenouillée.

En regardant une nouvelle fois ses mains, elle s'aperçut qu'elle tremblait. Les doigts qu'elle avait posé sur la poignée de sa rapière ne parvenaient pas à se serrer et tout son bras frémissait. Plus que tout le reste, cette vision l'horrifia. La peur lui nouait l'estomac, faisait fondre ses muscles et alourdissait tout son corps. Pouvait-elle le permettre ? Etait-elle finalement assez faible pour renoncer sous prétexte que le sang qui battait furieusement contre ses tempes charriait un effroi qui voulait geler ses veines ? Sur son épée, sa prise s'affirma et la honte d'avoir baissé les bras fut pour elle une raison supplémentaire de se relever. Elle força sur son corps meurtri et se redressa péniblement, manquant même de retomber. Quand elle parvint à tenir sur ses deux jambes et à relever sa garde en menaçant le Fléau de la pointe brisée de sa lame, elle ne doutait plus.

Les deux femmes chargèrent au même instant. Le Fléau psalmodia une incantation qui sembla faire chavirer la réalité, déchirant la salle d'éclairs violacés et crépitants qui se déplaçaient à la façon d'énormes serpents aux anneaux cauchemardesques. De sa main tendue jaillissait un flot de magie plus ancienne que le monde tandis qu'elle achevait du bout des lèvres le derniers mots de son sort destinés à abattre la guerrière qui fonça sur elle. La porteuse de fer avait, elle, hurlé à pleins poumons. Son cri avait parut un bref instant se muer en un rugissement de lion, animal dont la silhouette menaçante se dessina derrière elle. L'image de lumière -l'hallucination , préféra le Fléau- surprit néanmoins l'incantatrice. Juste une seconde durant laquelle le temps suspendit son vol, laissant à la guerrière l'ouverture qu'elle n'aurait pas su manquer. La vitesse avait toujours été sa force, son pouvoir. Jamais elle n'avait usurpé son titre de Sabre Véloce, que les soldats avaient transformé en Sabre à la vitesse divine au cours de la guerre. Elle accéléra comme jamais elle ne l'avait fait jusque là et sentit très nettement les muscles de ses jambes se déchirer, rompre à la manière de lanières de cuir trop sollicitées. Mais elle était lancée, véritable comète nimbée d'un halo de lumière dorée digne des rois. La douleur ne l'arrêta pas, même quand un des éclairs-serpents lui perfora le ventre. Sa vitesse, le temps d'un battement de cils, avait surpassé celle de la transmission nerveuse. Bien que ses intestins se liquéfièrent sous le choc, elle ne le ressentit pas. Son acier trancha le bras de la magicienne à moitié, l'ouvrant sur le sens de la longueur. Le cri de l'incantatrice ne parvint pas à ses tympans et la lame fendue quitta le bras pour continuer sa course vers le coeur, qu'elle empala d'un coup sec. Son corps cessa là ses mouvements et ses nerfs délivrèrent à son cerveau tout la peine qu'endurait ses membres et ses organes. La guerrière cracha du sang et réalisa que le liquide chaud qui se déversait sur ses jambes était mêlés à ce qui restait de ses entrailles, la pensée suffisant à saper ses dernières forces. Elle s'écroula avec son adversaire, restant contre elle alors que leurs vies s'écoulaient dans leurs sangs qui se mêlaient.

Autour des deux femmes, les éclairs-serpents n'avaient pas disparus. Persiflants et menaçants, ils se mêlèrent les uns aux autres en un cercle qui ceignit les deux opposantes agonisantes. Sur le sol où reposaient leurs corps, des symboles apparurent alors dans un léger crépitement électrique. Le Fléau se mit à murmurer quelques mots, que la guerrière n'aurait pas pu entendre si l'une de ses oreilles ne s'était pas trouvée si proche de l'ourlet des lèvres de la magicienne. Malgré son état, elle saisit la cohérence de chaque mot alors même que son cerveau s'éteignait.

"Tu viens d'écrire... l'histoire..."

Quand le bras resté valide de l'incantatrice se posa sur son dos comme pour lui délivrer une étreinte complice et tendre, la guerrière ne trouva pas la force de se dégager ou de seulement afficher un semblant de protestation. Sa vue avait déjà commencé à se brouiller, sa langue ne lui renvoyait même plus le goût du sang et de la bile qui s'y trouvait. Son corps ne réagissait plus à aucun stimulis. Seuls restaient intacts son ouïe et son odorat, qui envahissait son nez d'une légère fragrance fruitée et délicate. La sorcière s'était parfumée avant son dernier combat et l'odeur que dégageait la peau fine de sa gorge n'était souillée ni par les relents acides de sa sueur ni par ceux plus capiteux de son hémoglobine. Cette immonde magicienne apaisait sa mort et la pensée ne la dégoûtait pas tant. Un très léger sourire se dessina sur ses lèvres tandis que ses paupières, trop lourdes pour leur propre poids, se fermaient enfin. Son dernier souffle s'expulsa hors de ses poumons comme une caresse empreinte de tendresse, baume douceureux sur les plaies ouvertes par une guerre qui l'avait épuisée.

"Reviens... pour... l-la.... la Nouvelle Aube... Et contemple... le m-monde que tu auras... forgé..."

Les éclairs rugirent une dernière fois, leurs arabesques orageuses s'intensifiant avant que leurs corps ne s'élargissent et ne s'étendent. Dans un concert sonore dépourvu tant de sens que de rythme, ils façonnèrent de leurs êtres magiques une bulle d'un noir aux accents violacés, qui engloba les deux femmes étendues l'une contre l'autre avant de disparaître dans un flash de lumière. Il ne subsista de l'endroit que des corps mutilés qu'on érigerait plus tard en dépouilles de glorieux héros, pleurant la mort de ceux qui étaient morts l'épée à la main et le coeur fier afin d'éviter que le monde ne périsse dans les flammes.

 L'histoire de la dernière guerrière au Sabre Véloce devint une légende, puis la légende devint un mythe. Et finalement le mythe fut oublié, noyé dans les profondeurs de la mémoire des hommes.

Mais elle, elle se souvenait de tout.



-| Terra, dix millénaires avant notre ère. |-



Quand les navires débarquèrent sur la côte bleue, ce fut la panique.
Les gens qui vivaient là étaient par le passé de paisibles nomades dont les fils avaient fini par se sédentariser, attirés par l'emplacement que leurs pères avaient découvert au fil de leurs pérégrinations à travers tout Terra. Ils ne manquaient ici de rien, puisque le poisson était abondant et la pêche aussi facile qu'elle était bonne. Fruits et gibiers se trouvaient facilement dans les bois qui bordaient le littoral et les chasseurs ne rencontraient que peu de prédateurs capables de les chasser eux, alors que l'endroit était des plus giboyeux. Les malheurs étaient forts rares et lorsqu'ils se manifestaient sous la forme de tribus adverses ou de tempêtes, les anciens nomades trouvaient refuge dans les cavernes que l'érosion avait creusée dans les hautes falaises du littoral le temps que l'orage -ou les brigands, parfois même les deux- ne passent. Ils n'aiment pas la vie cloisonnée entre les murs de pierre et se sentaient bien plus à l'aise dans leurs solides tentes devenues des yourtes au fils des années qui s'écoulaient, chaudes en hiver et fraîches en été, tout à côté du bétail dont ils affectionnaient la présence et la chair généreuse.
Ces nomades avaient vu bien des choses au fil de leurs errances, dont certaines se transmettaient le soir autour du feu qui réunissait l'ensemble de la tribu. On y priait le dieu du Feu et celui du Grain, on partageait la viande de l'autre et on y contait des histoires transmises par les pères et les pères de ces derniers. Ces contes faisaient état d'incroyables créatures et de landes encore plus verdoyantes que celle qu'ils habitaient, mais bien plus sauvages et dangereuses. Pourtant, aucune histoire n'avait jamais parlé de grands animaux de bois aux ailes en peau, qui flottaient à la surface infinie de l'océan.

Ce fut comme ça qu'un guetteur annonça l'arrivée des navires, les comparant à d'incroyables chimères nées dans les flots et l'écume. La panique se répandit comme une traînée de poudre et les gens du village ne mirent pas bien longtemps à rejoindre la sécurité rassurante des murs des cavernes. Dans la peur, ces paysans superstitieux et quelque peu lâche attendirent fébrilement que le chaos n'embrase leur lande et leurs maigres possessions. Les "monstres-sur-la-mer" étaient si gros et si nombreux que certains s'attendaient même à voir leur refuge s'effondrer au-dessus de leurs têtes, la roche engloutissant dans un fracas abominable leur tribu apeurée. Les heures passèrent lentement, l'attente rendue encore plus insupportable par le manque d'information. Aucun bruit ne parvenait jusqu'à leur cachette, bien que les monstres étaient plus gros encore que des nuages d'orage. Beaucoup priaient, nombre d'entre eux pleuraient et tous gambergeaient dans l'expectative d'une fin annoncée qui se faisait désirer. Quitte à mourir, ne valait-il pas mieux que cela se fasse rapidement ?
Au bout d'un temps, quelques voix proposèrent timidement d'aller voir au dehors. Bien que de nombreuses têtes hochèrent leur consentement avec l'idée, personne ne trouva le courage de faire devenir la proposition réalité.

Personne sauf une petite silhouette menue, qui s'était déjà aventurée dans les couloirs de pierre en échappant à la surveillance de ses parents. Son corps enfantin drapé dans une peau de mouton grossière n'avait pas eu de mal à se glisser derrière les maigres barricades sensées calfeutrer les accès menant au coeur du refuge dans la falaise, et l'obscurité n'était pas pour l'enfant un véritable ennemi. Ainsi, aisément, il s'était glissé au-dehors après d'être muni d'un bâton. Une arme bien frêle entre ses petites mains, qui ne tremblaient que de l'excitation de voir de ses propres yeux des monstres comme ceux qu'on décrivait dans les histoires qui naissaient autour du feu. Pourtant, le gosse n'aurait pas rechigné à se battre si il l'avait fallut : le courage ne lui avait jamais fait défaut, bien qu'il se confondait avec l'insouciance et l'inconscience des personnes de son âge. Les monstres venus de l'océan avaient attisé sa curiosité et son habileté à s'échapper des griffes protectrices de sa mère avait fait le reste, l'amenant à l'extérieur. Son petit coeur battait à tout rompre dans sa poitrine quand sa tête dépassa le dernier rocher qui lui bouchait la vue. Qu'allait-elle découvrir, au-delà des falaises ? Un chaos indescriptible, une scène cauchemardesque durant laquelle des créatures infernales seraient entrain de dévorer les pauvres moutons qui composaient le cheptel de la tribu, se battant entre eux pour les meilleurs morceaux ?
Quand sa petite tête laissa dépasser ses yeux après sa crinière sauvageonne d'un blond sale, les deux diamants azurés s'écarquillèrent. Le spectacle était loin, très loin même de ce qu'elle s'était imaginée.

Les "monstres" étaient restés au large, figés sur place par les ancres qu'ils avaient lancées à la mer. De plus petites embarcations s'étaient détachées des navires afin de rejoindre la côte, stationnant sur la plage alors qu'elles laissaient descendre sur la terre des gens en armure d'or. L'enfant pensa à de nouvelles créatures à la peau de métal, qui se permettaient de fouiller les tentes en parlant dans une langue qu'elle ne comprenait pas. Ces gens cherchaient sûrement à voler la tribu et d'ailleurs certains commençaient à garder pour eux des moutons, se congratulant d'avoir trouvé pareille manne sans avoir à se fatiguer. La colère plus que la peur étreignit le coeur de la gamine en peau de bête, qui n'hésita plus très longtemps avant de bondir hors de sa cachette en hurlant et en faisant tourner son bâton au bout de sa main pendant qu'elle dégringolait la pente qui menait du haut des falaises aux habitations de la tribu. Elle fonça vers les marins à l'armure couleur des blés en espérant leur faire peur et les faire fuir. La surprise passée, les nouveaux-venus arrêtèrent la petite sauvage avec plus de mal qu'ils ne l'avaient d'abord imaginaient. Deux hommes furent nécessaires pour entraver cette furie de même pas dix ans, dont le bâton leur occasionna quelques bleus sur la mâchoire. Quand ils parvinrent à la calmer, l'un d'entre eux lui fit comprendre (non sans y laisser bien de la patience et du temps) qu'il désirait aller à la rencontre de son peuple. La sauvageonne accepta finalement, emmenant l'étranger vers le refuge dans la roche et ignorant qu'elle venait de faire la connaissance de l'homme qui allait faire basculer sa vie.

\___________.•.___________/

Quinze années s'étaient écoulées depuis l'arrivée des navires et la peur de la tribu à l'égard des "nomades de l'horizon", comme ils nommaient les marins. Ces derniers s'avérèrent être des elfes, et non pas des moindres : des Al'huïns, la caste elfique dont descendaient toutes les autres à la surface de Terra. Pour la tribu, ça ne signifiait pas grand'chose. Eux avaient découvert et révéré ces étrangers comme des dieux, les Al'huïns leur faisant comprendre qu'ils n'en étaient pas. Une sorte de respect mêlé d'admiration lia les nomades de la terre à ceux de l'océan, qui leur apprirent leur langage et leur expliquèrent les raisons de leur débarquement sur la côte bleue. Les elfes avaient livré bataille aux armées de la Nuit, issues du coeur noir du monde, pour la domination d'une île située dans les très lointaines du sud. Ils avaient perdu la bataille et enduré la perte d'innombrables des leurs. Afin d'éviter une annihilation totale, les survivants avaient prit la mer sous la férule de leur dernier prince, Dyll Aube-Glorieuse. Leur long voyage les mena sur les rivages ensoleillées de la côte bleue, auprès des nomades sauvageons qui acceptèrent leur présence. Aube-Glorieuse, plutôt que de chercher à soumettre un peuple qui n'aurait pas été des plus réticents pourtant à courber l'échine, prit le parti de les éduquer. Les elfes perfectionnèrent les techniques déjà acquises par les hommes. Ils leur enseignèrent la monte à cheval et la maçonnerie, leur transmirent la médecine, se risquèrent à les ouvrir aux arts de la guerre. Les deux peuplades, pour se fondre ensemble davantage, adoptèrent une langue commune. Un mélange de leurs dialectes respectifs qui ouvrit une perspective nouvelle quoique prévue de longue date par les Al'huïns, soit la construction d'une toute nouvelle cité. L'ouvrage devrait sceller dans les pierres de la ville à venir l'amitié de deux peuples qui étaient parvenus à s'apprécier malgré les énormes différences qui les séparaient.
Nul n'aurait toutefois imaginé alors que le petit hameau deviendrait la plus grande ville à la surface du globe, et ce pour plusieurs millénaires.

La sauvageonne qui avait permit le dialogue entre les nomades apeurés et les Al'huïns n'en était plus une. Très tôt, l'elfe qui lui avait demandé de l'emmener vers les siens l'avait prise sous son aile. La mère de la sauvageonne n'avait pas protesté, considérant que l'enfant était un fardeau dont elle était heureuse de se débarrasser. L'elfe n'était pas n'importe qui parmi son peuple : il se nommait Lothor Cinq-Soleils et était le maître d'arme du prince en plus d'un excellent diplomate. L'homme d'épée, excellent bretteur de son état, commença par nommer celle qu'il ne tarda pas à considérer comme la fille qu'il n'avait jamais eu. La mère de l'enfant n'avait jamais lui daigné la chance de posséder une véritable dénomination, ce qui était d'après Lothor un très grand tort. Il nomma sa pupille du nom d'une des premières Val'kyr elfiques, ces vierges-guerrières qui s'étaient illustrées dans le combat contre le mal à de très nombreuses reprises. L'enfant nomade prit donc le patronyme de Scydia et accepta Lothor comme son père et mentor, se montrant une élève attentive et une fille aimante. L'énergie inépuisable de Scydia, l'Al'huïn la canalisa par l'apprentissage du combat à l'épée. La sauvageonne se montra une apprentie des plus douées dont les prédispositions naturelles surprenantes poussèrent Lothor à la faire examiner par la prêtresse du Soleil, Lilandra. Le jugement de la femme de foi fut sans appel ni équivoque, désignant Scydia comme une Syrra'elheìn. Une "enfant du Soleil", élue de l'astre du jour que révéraient les Al'huïns qui voyaient l'étoile du jour comme la manifestation de la déesse créatrice de toute chose. Les Syrra'elheìn portaient en eux -selon les légendes- un fragment même du soleil qui leur conférait d'incroyables dons et les promettaient à une destinée hors du commun. Ainsi, Scydia fut identifiée comme le lien vivant entre les deux races. De par sa nature, c'était une humaine mais la mythologie qu'elle portait en son sein était purement elfique. Dès lors, l'adolescente n'eut de cesse d'attendre que son avenir ne prenne un tournant radicale. A présent instruite et apte à porter l'épée, Scydia ne rêvait plus que d'aventures. Son rêve ? Venger les Al'huïns et récupérer les terres que leur défaite à la guerre leur avait fait perdre. Pour elle, c'était une façon de remercier sa famille elfe des bienfaits qu'elle lui avait prodigué. Ainsi, elle employa désormais son temps à réveiller le potentiel de Syrra'elheìn qui dormait encore au creux de sa chair juvénile. Le fruit de ses efforts se manifesta plus tard sous la forme d'une vitesse que personne ne parvint plus jamais à égaler, faisant de Scydia la guerrière la plus rapide de son temps.

Les Al'huïns n'avaient jamais réellement évoqué le Mal qui les avaient poussé à entrer en guerre puis à fuir leur patrie. Ils n'avaient jamais parlé que des Armées de la Nuit, restant volontairement vagues devant les nomades qui se souciaient de toute façon bien peu de ces histoires. Les esprits se consacraient à l'édification des prémisses de la cité côtières, mais le vent apporta de bien mauvaises nouvelles par le biais d'un bateau qui accosta au port de fortune de la côte bleue un soir d'hiver. A son bord, des émissaires d'une autre faction des Al'huïns, qui avaient prit un chemin différent de leurs frères et soeurs tout en restant en contact avec eux par le biais de moyens magiques. Ce qu'ils rapportaient était terrible, annonciateur d'une catastrophe qui dépasserait leur simple peuple.
Scydia le comprit quand son père adoptif rentra chez eux, tard ce soir là. Dévasté, il expliqua à sa pupille ce qu'avaient annoncé les messagers. D'après eux, les Armées de la Nuit s'étaient reconstituées et s'étaient répandues sur l'île qu'avaient défendue les Al'huïns par le passé. N'y rencontrant aucune résistance, ils étaient parvenus à prendre le contrôle du territoire et surtout du Point de Convergence. Pour l'heure, il était encore défendu par de très puissants sortilèges qui ne seraient pas aisés à abattre, mais le temps était compté car le Fléau des Ages s'était éveillé afin de guider ses légions.

C'était la première fois que Scydia entendait ce titre, prononcé par la voix hésitante de son père. Lothor avait parlé du Fléau des Ages non sans laisser une crainte claire sourder au fond de sa gorge, éveillant la curiosité de son apprentie à qui le maître d'arme accepta de tout révéler.
Le Fléau était une entité née en même temps que Terra et qui pouvait prendre d'innombrables formes pour parvenir à ses fins. Le Fléau était terrible en cela qu'il ne pouvait être totalement détruit mais seulement ralenti, ses opposants ne pouvant que retarder l'éxécution de ses plans. Son idée fixe était de faire tomber ce que les Al'huïns connaissaient comme étant "Le Point de Convergence", le pivot de toutes les énergies qui parcouraient Terra. Les premiers elfes avaient reçu du Soleil un seul ordre lors de leur création : la protection du Point et ce quoi qu'il puisse en coûter. C'était là la mission de chaque Al'huïn, qui en tant que défenseurs de la Déesse Créatrice avaient repoussé les Armée de la Nuit et le Fléau qui était à leur tête depuis des temps immémoriaux. Mais, quinze ans auparavant, les Al'huïns avaient perdu la guerre et s'étaient retrouvés obligés de quitter leur île natale et la défense du Point de Convergence après s'être assurés que les légions du Fléau ne se relèveraient pas de leur dernier assaut, ce en quoi ils s'étaient lourdement trompés.

Les messagers, révéla Lothor, n'apportaient pas pour autant que de néfastes augures. Des explorateurs Ald'huïns avaient découvert l'existence d'un ensemble d'artefacts qui seraient, une fois rassemblés et activés, capables de repousser très efficacement le Fléau. Le plan qui avait été conclu était simple, presque enfantin. Les défenseurs du Point de Convergence enverraient une équipe restreinte récupérer les objets magiques, tandis qu'ils détourneraient l'attention de l'ennemi en l'affrontant de front. L'espoir de récupérer l'ïle n'était pas non plus perdu, d'après les stratèges de guerre qui s'étaient réunis. Ainsi, les Ald'huïns repartaient porter l'épée contre le Mal. Lothor monterait sûrement au front pour mener la phalange armée du prince Aube-Glorieuse, mais Scydia n'envisagea pas une seule seconde de l'abandonner et se réjouissait à l'avance de pourfendre les vomissures infernales sur le champ de bataille. Contre tout attente, son père ne s'y opposa pas.

En effet, le plan réservé à Scydia avait déjà était décidé. En tant que Syrra'elheìn et pupille d'un maître-bretteur reconnu parmi les siens, les elfes la considéraient comme ajout de poids à l'équipe d'aventuriers qui devraient partir à la recherche des artefacts. La jeune femme protesta, arguant que sa place était à côté de son père et nulle part ailleurs. Comme toujours, Lothor trouva les mots justes pour la raisonner. Le mentor lui confia que la mission qu'elle se devait de rejoindre était d'importance et que pour la mener à bien, elle et ses compagnons auraient à payer un tribut de sang tout aussi lourd que celui des soldats qui monteraient au front. De plus, Lothor fit comprendre à Scydia que la mission à laquelle elle allait prendre part serait des plus capitales. De son succès comme de son échec dépendrait l'issue finale du conflit et probablement celui de Terra toute entière.

"Tu écriras l'histoire, ma fille", lui glissa t'il avant de la prendre dans ses bras. "Quoi que tu fasses à présent, tu l'écriras."

Jamais Lothor Cinq-Soleils n'avait eu aussi raison que cette fois là, lorsqu'il étreignit sa pupille avec tout l'amour paternel dont il était capable.

\___________.•.___________/

Scydia prit la mer le matin suivant, pour rallier au terme d'un voyage de deux semaines la cité de départ des messagers qui étaient venus sur la côte bleue. Les Al'dhuïns lui avaient offert une armure en acier blanc, protection aussi légère que résistante qui sortait des forges même de leur ville natale. Lothos lui fit cadeau d'une épée à tête de fauve nommée Coeur-de-lion, animal que Scydia adopta tout de suite comme emblème. Drapée d'une cape immaculée, la Syrra'elheìn fit voile sur son destin, heureuse de le rencontrer enfin mais le coeur lourd de quitter son village. Au fond d'elle, l'humaine craignait qu'à son retour rien ne soit plus pareil... Si toutefois elle parvenait à revenir.

Elle accosta au port de Thyr-Aslïn, florissante ville portuaire qui entreprenait une expansion territoriale de plus en plus gourmande mais momentanément stoppée. En effet, toutes les ressources de la cité étaient mobilisées afin de pouvoir à l'effort de guerre et ce fut une fourmilière de soldat que découvrit Scydia lorsqu'elle traversa les rues pour rallier le palais royal en compagnie des émissaires venus avec elle depuis la côte bleue. On armait de puissants navires de guerre et le port grouillait de portefaix agités et travailleurs tout autant que de soldats qui préparaient leurs légions à voguer vers l'île du Fléau. Scydia était trop inexpérimentée alors pour le comprendre, mais ce qu'elle prenait pour de l'excitation à la veille de la bataille n'était en fait qu'un poisseux sentiment de peur qu'on tentait de dissimuler en fanfaronnades, qu'on espérait oublier en se livrant corps et âme à des tâches pourtant bénignes. Elle rallia le château de Thyr-Aslïn avec sa troupe, s'émerveillant de la grande cité qui s'étalait devant elle. Jamais elle n'avait quitté son village auparavant et bien que Lothor lui avait longuement décrit durant l'enfance les grandes et prestigieuses cités elfiques, les contempler de ses grands yeux bleus était tout autre chose que de les imaginer en rêve.

Les envoyés de la côte bleue furent reçu par le roi Medhaar de la Vigne-d'Or, qui devait mener au front l'ensemble des armées elfiques et humaines qui se préparaient à travers Terra. Medhaar voyait les choses en très grand, comme le découvrit Scydia. Le souverain Ald'huïn comptait écraser le Fléau des Ages pour de bon lors d'une guerre totale et réunissait pour cela depuis plusieurs années des légions hétéroclites de volontaires se ralliant sous sa bannière frappée d'une feuille de vigne couronnée. Toutes les races avaient le droit de prendre l'épée au nom de la liberté de leur terre et force était de reconnaître que Medhaar savait convaincre ses interlocuteurs. Les chiffres qu'il avança furent proprement vertigineux et nombre d'elfes présent ce jour là estimèrent que la quête des artefacts devenait, face à la puissance militaire de la Vigne-d'Or, tout à fait obsolète. Scydia n'en était pas convaincu, elle. Lothor lui avait expliqué que le Fléau ne pouvait être que repoussé mais jamais annihilé et ne croyait pas à une victoire totale de Medhaar et de ses troupes. Fort heureusement pour elle lorsqu'elle fit entendre sèchement son point de vue qui manque de passer pour un crime de lèse-majesté, d'autres voix se firent entendre. Il s'agissaient de ceux et celles qui étaient destinées, comme elle, à retrouver les artefacts et qui refusaient de voir dans la quête qu'ils s'apprêtaient à livrer une simple perte de temps.

Le conseil de guerre décida de les laisser faire. Qu'ils réussissent et la puissance des armées de Medhaar n'en serait que plus écrasante ! Et si ils venaient à échouer, tant pis. Les troupes du souverain n'auraient qu'un peu moins de facilité à reprendre l'île aux Armées de la Nuit et à rétablir leur garde éternelle sur le Point de Convergence. Quelques moyens financiers et techniques furent alloués aux aventuriers, qui se réunirent après le colloque stratégique pour faire connaissance. C'est là que Scydia fit la rencontre de ceux qui allaient devenir ses plus inséparables compagnons. On trouvait d'abord Dale Troischemins, jeune apprenti chevalier d'une petite nation humaine qui avait prospéré grâce à sa proximité avec Thyr-Aslïn. Un garçon timide et très poli, doué à l'épée. Venait ensuite Thralgar, terranide tigré qui comptait sur son incroyable force physique pour triompher de ses adversaires. Tywin Azimov était le mage du groupe, érudit aussi sage qu'il était âgé. Quelque peu vicieux sur les bords, l'homme avait jeté son dévolu sur le dernier membre, Tekha .Elle était une voleuse-assassin qui avait pour passion de créer toutes sortes de machineries et ambitionnait de créer un jour une cité qui serait dirigée par les seules femmes qui y vivraient. Bien que personne ne pouvait alors seulement s'en douter, le rêve de Tekha lui survivrait, érigeant bien des siècles après elle la cité matriarcale en dernier rempart de défense contre une plaie venue des étoiles.
Le groupe fit connaissance tout en mettant son itinéraire au point après que Tywin leur eu donné l'emplacement des artefacts. Trois parties d'une arme sacrée dépositaire d'un immense pouvoir, capable d'anéantir les Armées de la Nuit. D'après les aventuriers, la seule façon de repousser efficacement le Fléau, bien que tous espéraient que Medhaar et ses troupes obtiennent des résultats plus que probants. Pour les aventuriers comme pour tous ceux qui brandiraient le fer durant ce conflit, il était tout bonnement impensable que la plus grande armée du monde faillisse.

Les cinq compagnons quittèrent Thyr-Aslïn dès le lendemain pour prendre la route des terres de l'ouest afin de retrouver la première partie du bâton, tandis que l'armada de Vigne-d'Or levait l'ancre depuis le port et le large de la cité de Medharr, noircissant l'horizon des centaines de voiles qui chevauchèrent les flots ce jour là. La Guerre des Ages débutait, prête à changer la face du monde au son des tambours de bataille et des épées s'entrechoquant.

\___________.•.___________/

Le sommet du bâton, la partie la plus puissante de l'artefact, fut paradoxalement la plus aisée à récupérer pour les cinq comparses. Ils avaient chevauché vers l'ouest durant plusieurs jours pour se rendre dans les marécages de Bry, dans lesquels devaient se trouver les ruines d'une ancienne société secrète tombée depuis en désuétude. Tywin expliqua aux quatre autres qu'il existait par le passé une multitude de Syrra'elheìn comme Scydia, tous dotés d'impressionnantes capacités. Rendus prétentieux par plusieurs victoires d'importance contre les forces du mal, les Syrra'elheìn de cette époque s'étaient tous rassemblés sous une même bannière et un même nom, prenant le nom d'Ordre du Crépuscule. L'Ordre se terra dans les marécages de Bry afin de consolider leur formation et y érigèrent une petite ville, avant de se faire balayer par un traître à la solde du Fléau des Ages. Les Syrra'elheìn furent exterminés et leur cité naissante balayée par la boue alors qu'elle conservait en son sein l'une des trois parties du Bâton.

Les cinq aventuriers eurent donc à retrouver les restes de la cité de l'Ordre du Crépuscule, ce qui constitua en fait le plus dur de cette partie de leur voyage. L'avancée dans les marécages était pénible, entrecoupée de rencontres avec des monstres belliqueux qui eurent le mérite de les faire combattre côte-à-côte. Les assauts bestiaux répétés leur permirent à tous de découvrir les capacités des autres, comblant les faiblesses de chacun en tirant partie de leurs forces respectives. Scydia s'illustra par sa vitesse et son talent à manier une épée même dans des conditions aussi dures, alors que la boue et la végétation ralentissaient ses mouvements. Finalement, au terme d'une route aussi ardue que salissante, les compagnons découvrirent les restes de la ville et parvinrent à en extraire sans trop de mal grâce à la magie de Tywin -qui avait brillé jusque là par les mains passées aux fesses des filles et sa lenteur de progression- le premier artefact. Ils s'en réjouirent tous et s'échappèrent des marécages pour prendre la direction de l'emplacement du second objet de puissance, faisant escale dans les différentes villes et villages qu'ils trouvaient sur leur route.

En chemin, Scydia et ses compagnons prirent des nouvelles de l'armée de la Vigne-d'Or. Le temps que les cinq compagnons traversent les marais pour y prendre l'artefact, près de deux semaines s'étaient écoulées et l'armada coalisée était arrivée sur l'île du Fléau, parvenant à sécuriser leur première position acquise. Depuis lors, le conflit s'était enlisé dans une guerre de position stérile, les terrains conquis le matin étant quasiment systématiquement perdus dès le soir venu. Toutefois, l'armée de Medhaar semblait gêner les plans du Fléau et à défaut de bouter ses légions, elle les empêchait de se renforcer tout en gênant les plans de leur maître. L'obstination du roi elfe faisait gagner du temps aux aventuriers, qui n'entendaient pas gâcher le sacrifice des soldats coalisés. La magie du vieil humain dans leur groupe transmit la nouvelle de l'acquisition de la première partie du bâton tout en révélant leur prochaine destination, à savoir la Forêt des Murmures, qui se trouvait à l'est de leur position actuelle.
Le groupe se remit donc en branle sans tarder, comprenant que la situation risquait de dépendre de plus en plus d'eux si Medhaar et ses troupes ne parvenaient pas à remporter de victoire réellement significative. Scydia et ses amis auraient peut-être dans les mains la seule chance de victoire des coalisés, si le conflit s'éternisait. Conscients du poids des enjeux, les compagnons chevauchèrent à bride abattue vers le morceau suivant, espérant rallier la Forêt des Murmures sans trop de peine.

Les bois faisaient peur à ceux qui vivaient aux alentours. Pourtant, comme le constatèrent les aventuriers qui accompagnaient Scydia, l'orée était calme et remplie de gibier facile à chasser. La troupe croisa également quelques cueilleurs qui ramassaient baies, châtaignes et champignons. De ce qu'on leur raconta, c'était le coeur de la forêt qu'il fallait craindre car là-bas les arbres étaient si hauts et touffus qu'ils ne laissaient que très peu passer la lumière du soleil, cette obscurité perpétuelle ayant fait pousser des plantes maléfiques qui étaient animées d'une vie propre, leur sève pleine de vices. Les cinq compagnons n'eurent pas d'autre choix pourtant que de s'enfoncer vers les ténèbres. Leur progression y fut à peine plus aisée que dans les marais, la faune sauvage des bois mettant sur leur chemin des loups plus gros que des ours, des araignées hautes comme des hommes dont les fils de soie étaient plus résistants que de l'acier elfique quand il était utilisé pour la capture. Ils combattirent vaillamment en se soutenant mutuellement, se dressant contre les dangers qui menaçaient leurs vies à chaque instant supplémentaire passé dans les profondeurs obscures de la Forêt Murmurante. A force de combats, les comparses arrivèrent dans la seule clairière qui existant au creux des bois. C'était un endroit peu accueillant, dont le sol était jonché d'ossements de petits animaux qui craquaient sous leurs pas. Depuis les ténèbres environnantes qui ceignaient l'endroit, tous pouvaient apercevoir des multitudes d'yeux luisants qui guettaient le premier faux-pas pour bondir, comptant certainement profiter de la brume basse qui tapissait le sol qu'ils foulaient. Ce fut Tekhas qui repéra la première l'arbre mort dont le tronc était serti du morceau du bâton tant convoité. La hampe dorée se trouvait là, prise dans une écorce pétrifiée qui la gardait jalousement de tout vol.
La jeune femme s'en approcha et tenta de libérer l'artefact de sa gangue pourrie à l'aide d'une lame, lorsque le sol se mit à trembler et l'arbre qu'elle pensait mort à bouger. Ses racines se soulevèrent et des nœuds de son tronc surgirèrent deux yeux orangés qui brillaient d'une lumière obscène et maléfique. L'arbre dont les branches et racines se meuvaient dans gestes anarchiques et menaçants se mit à attaquer le petit groupe. Des côtés chargèrent les loups, dont Dale et Thralgar décidèrent de s'occuper. Du faît des arbres descendirent de véritables légions arachnéennes dont la vitesse et la légèreté se retrouvèrent opposées à Scydia, seule membre du quintet capable de rivaliser avec elles sur le plan de la vitesse. Tywin se retrouva à épauler par des sortilège de soutien l'ensemble de ses compagnons tandis que Tekha eut à affronter l'Arbre Mort, qui manqua de la balayer plus d'une fois. Agile et preste comme un félin, Tekha parvint à échapper aux attaques sans avoir le temps de parvenir jusqu'au tronc. La voleuse savait pertinemment que ses amis seraient rapidement mis en difficulté par les créatures qu'ils avaient à affronter pour lui permettre d'atteindre la hampe. Tout sembla s'accélérer et se perdre quand Scydia intervint.

Après avoir repoussé les vagues d'arachnides qui lui fondaient dessus, la guerrière avait obtenu un très léger répit. Les araignées avaient reculé l'espace d'un instant, juste ce qu'il fallait de latence au Sabre Véloce pour retourner à son avantage la situation. Elle utilisa sa vitesse pour foncer vers Tekha et l'Arbre-Mort pour attaquer ce dernier, coupa la majeure partie de ses branches en un éclair. Là où ses compagnons n'avaient vu qu'un seul coup de lame, l'humaine en avait délivré plus d'une trentaine et avait laissé une ouverture significative à sa coéquipière qui s'empara du morceau d'artefact. L'arbre tomba en poussière après un cri d'agonie surnaturel tandis que Scydia rejoignit l'homme et le terranide afin de mettre en déroute les derniers loups, qui filèrent sans demander de leur reste.
Quand le magicien combina entre eux les deux morceaux du bâton qu'ils étaient parvenus jusque là à récupérer, un cri de joie explosa dans la clairière sombre. Les compagnons pansèrent leurs plaies et sortirent de la forêt sans rencontrer davantage d'opposition, puisqu'ils en avaient mit en déroute le gardien. Une fois reposé, le petit groupe prit la direction des montagnes pour rallier l'ultime étape de leur épopée.

Leurs pas les menèrent, d'après les instructions de Tywin, sur les chemins escarpés de la chaîne montagneuse du Kazaï. C'était un endroit périlleux, et ce avant même d'en entreprendre l'ascension. En effet, le pied de la montagne était un territoire dangereux, peuplé de tribus très sauvages. Des humains aux moeurs très animales y vivaient en compagnie de terranides peu évolués, les deux peuples se mêlant pour s'entre-dévorer et copuler. C'était là une contrée mystérieuse et méconnue qu'aucun explorateur ne s'était jamais avéré en mesure de fouler. Dès son arrivée, le groupe de la Syrra'elheìn eut fort à faire pour repousser les incessantes et brutales attaques des autochtones. Bien que les sauvages n'avaient pas de réelle organisation, leurs assauts compensaient par une brutalité aveugle presque auto-destructrice qui leur fut d'une grande aide contre les cinq compagnons. Ces derniers ne perdirent pas le temps à repousser les hordes furieuses, décidant de se réfugier dans les montagnes qui étaient de toute façon leur but. Pourtant, les escarmouches les ralentirent douloureusement jusqu'à ce qu'ils puissent semer la majeure partie des sauvages, dont certains continuèrent à la traquer même sur les chemins escarpés que Scydia et les siens empruntaient. D'après le mage du groupe de la bretteuse, la base du bâton et donc le seul élément qu'il manquait pour compléter l'artefact se trouvait sur les sommets de la chaîne du Kazaï, protégé par "une force sans âge ni égal". Préférant ne pas penser à ce qui les attendraient en haut, les aventuriers se concentrèrent sur leur survie avant toute chose, que le climat et les derniers poursuivants compromettaient très sérieusement.

Comme à tous les chapitres de leur odyssée, les cinq comparses se démenèrent pour rester en vie et y parvinrent malgré tout, parvenant à un plateau non loin du sommet. Là, ils découvrirent un autel grossièrement taillé dans le corps de la montagne, resplendissant de l'éclat irréel du morceau de métal blanc superbement gravé. Le dernier fragment se trouvait là, seulement gardé par les vents mordants des hauteurs. Les membres de la horde sauvage qui les avaient suivis jusqu'à cet endroit s'apprêtèrent à les attaquer, avant de s'arrêter net alors que les cinq compagnons tiraient leurs armes hors du fourreau pour leur faire face. Les poursuivants hésitèrent avant de reculer, comme poussé par une peur viscérale qui amusa d'abord les compères qui allèrent pour s'emparer du dernier élément... Avant que le bruit du vent ne soit couvert par un souffle encore plus puissant, titanesque. Le ciel se voila alors d'une ombre qui les poussa à lever les yeux vers les nuages, découvrant un spectacle qu'aucun n'attendait. Une aile gigantesque, couverte de cuir et d'écailles dorées, qui se soulevait avant d'être imitée par une seconde. De la crête rocailleuse et abrupte qui couronnait le plateau surgit alors une gueule béante, plus longue et large encore qu'un navire elfe. Tous le virent les fixer après qu'un seul de ses rugissements eut ébranlé la terre enneigée qu'ils foulaient, manquant de tomber à terre. La bête n'attaqua pas, ses pattes antérieures venant accompagner l'apparition de sa tête au bout de son cou déployé. Comme si le dragon avait été capable de soulever la montagne à lui seul.
A l'instar d'animaux pris au piège devant un prédateur qu'ils savaient bien trop puissant pour eux, les cinq compagnons ne parvinrent pas à esquisser le moindre mouvement. Même lorsque les flammes de l'enfer commencèrent à embraser la langue persiflante et les crocs acérés, aucun des aventuriers ne fut en mesure de faire bouger ses muscles. Aucun sauf Scydia, qui dépassa sa peur grâce à son courage et l'excitation qui s'y mêlaient. D'une main tremblante, l'humaine menaca la bête titanesque à la pointe de sa lame. Hurlant à s'en briser la voix, le Sabre Véloce s'adressa au dragon dans la langue des Ald'huïn.

"Je suis la syrra'elheìn Scydia Cinq-Soleils, dragon ! Je te défie, Créature !"

Avant que les compagnons de la bretteuse ne puissent l'interpeller, le dragon d'or frappa. De sa patte gauche, il râcla la terre pour y creuser d'un coup de griffe une véritable crevasse qui força les aventuriers à reculer et se mettre à l'abri. Tous pensèrent que Scydia avait périt, jusqu'à ce qu'une forme armurée d'argent ne soit aperçue entrain de remonter le long du membre draconique. La bête dorée n'avait pas été assez rapide pour surprendre la syrra'elheìn, qui avait bougé plus vite qu'elle et esquivé son attaque. L'humaine avait profité de la détente du bras griffu y meurtrier pour gravir les mètres qui la séparaient de la tête de l'animal. Quand le dragon réalisa enfin où elle se trouvait, il était trop tard : la bretteuse s'était élancée depuis son épaule pour lui crever l'oeil en offrant un spectacle incroyable à ses compagnons. Une lumière solaire irréelle l'avait drapée alors qu'elle avait crié avant de livrer son assaut et l'espace d'une seconde, tous virent un lion d'or bondissant se dresser dans la silhouette de Scydia.
Elle rata toutefois l'oeil. Le dragon n'avait eu qu'à fermer la paupière pour dévier une lame qui n'était malheureusement pas aussi puissante qu'elle était rapide et Scydia se retrouva confrontée à un bouclier écailleux dont la densité la repoussa en arrière, le choc manquant de peu de lui briser les bras. Elle retomba mais fut rattrapée au vol par l'agile terranide du groupe, Thralgar. Il épargna à l'héroïne une mort douloureuse mais n'eut pas le réflexe de se mettre tout de suite à l'abri. Le dragon cracha ses flammes et déversa un magma fluide et crépitant sur le plateau, signant la fin du groupe d'aventuriers.

Du moins, c'est ce que l'histoire aurait retenu sans l'intervention de Tywin Azimov. Le vieux magicien avait mit à profit le temps grappillé par Scydia afin d'assembler le dernier morceau du bâton aux deux autres. L'artefact légendaire reprit alors vie et Tywin n'hésita pas une seule seconde quand il sentit son pouvoir démultiplié. Usant de l'arme reconstituée et puisant dans ses ressources, le mage protégea ses amis derrière un bouclier d'une incroyable intensité qui les défendit tous de flammes à l'appétit ravageur qui dévorait même la roche environnante. Quand le feu draconique cessa enfin, il ne laissa qu'une lande désolée sur laquelle couvaient encore quelques modestes foyers épars et une bulle de lumière bleutée. L'animal en fut surpris et s'apprêta à cracher ses flammes une nouvelle fois lorsqu'il croisa le regard de Scydia, qui le fixait avec une intensité féroce. Plus que de la peur, c'était du défi qui irradiait de la jeune femme. Quand Tywin incanta un sort de téléportation pour profiter une nouvelle fois de la puissance du bâton, la syrra'elheìn adressa quelques mots à la bête d'or. "Je reviendrais achever ce combat, dragon.". Avant que la bulle ne s'estompe sous le sort lancé par Tywin, Scydia aurait juré que l'écailleux avait incliné légèrement la tête en guise d'assentiment. Ou peut-être n'était-ce qu'un mouvement anodin afin qu'il ne rugisse sa colère ?

Les aventuriers tenaient entre leurs mains le but de leur quête, conduits par magie sur l'île où Medhaar et ses troupes tenaient tête au Fléau des Ages. Bientôt se joueraient les derniers actes, sous la clameur sourde des tambours de guerre et des cris de soldats.

\___________.•.___________/

Medhaar n'avait pas chômé pour reprendre l'île des Ald'huïn et enfin remettre la main sur le Point de Convergence qui dormait dans les profondeurs de cette terre isolée, mais il avait eu fort à faire. L'Armée de Nuit qui obéissait au Fléau était un ensemble de créatures grotesques et maléfiques qui ne parvenaient pas à s'organiser en phalanges distinctes à la stratégie établie et cohérente, mais qui compensaient ce défaut par un surnombre écrasant et une férocité que les soldats coalisés ne parvenaient pas à égaler. Les gens de la Vigne-d'Or fatiguaient, ployant de plus en plus sous une marée infâme qui ne cessait de se briser contre leurs boucliers. Il n'était pas trop pessimiste de dire que la partie serait bientôt jouée au désavantage des hommes de Medhaar, qui croyaient de moins en moins dans leurs chances de remporter la victoire. Même le roi avait à présent envie de croire dans le succès de Dale, Tekha, Thralgar, Tywin et Scydia. Que lui restait-il, à part cet espoir un peu fou ? Peu de choses. Les troupes étaient toujours un peu plus démoralisées et seul un miracle aurait su les relever. Certains pourtant gardaient la foi, priant le Soleil de les bénir de ses rayons nourriciers. A ces derniers l'astre du jour sembla répondre lorsqu'une sphère azurée apparut au centre du camp fortifié, qui s'effaca pour laisser apparaître les cinq compagnons exténués. La vision de ces aventuriers blessés et exténués eu quelque chose de miraculeux, cette vision renforcée par la prestance du bâton légendaire qu'ils étaient parvenus à reconstituer.

Si l'arrivée intempestive du groupe avait galvanisé les troupes et poussé un peu en avant l'effort de guerre, les nouvelles n'étaient pas pour autant des plus reluisantes. Comme le révéla Tywin à ses compagnons, à Medhaar et aux conseillers de ce dernier lors d'un conseil stratégique qui prit place quelques jours après que le groupe eut été téléporté sur l'île, le bâton légendaire avait perdu plus de la moitié de ses pouvoirs. Affronter le feu d'un dragon d'or (premier né de sa race, le plus puissant de cette ère) avant de lancer un si important sort spatio-temporel avait réduit les réserves magiques de l'artefact à une peau de chagrin. Sa puissance totale aurait été suffisante pour bannir le Fléau et l'Armée de la Nuit hors de Terra, mais demeurait à présent trop négligeable pour accomplir cet exploit. Néanmoins, le mage assurait que la puissance du bâton restait assez conséquente pour saper les forces du Fléau même, ce qui permettrait de le tuer. Toujours pas de façon définitive certes, mais le repousser une fois encore. Il fallait pour cela lui faire face armé du bâton, ce qui sous-entendait de pouvoir pénétrer et avancer au coeur de sa citadelle érigée au milieu de l'île et ce au-dessus même du Point de Convergence. Là où le Fléau serait le plus puissant. La situation semblait inextricable, jusqu'à ce qu'une proposition ne soit faite. Complètement inconsciente, en vérité.
Elle émanait de Dale Troischemins, qui osa évoquer à voix haute ce que la plupart de ses compagnons pensaient tout bas. Il fallait provoquer l'Armée de la Nuit de front dans un assaut massif et total qui forcerait le Fléau à y envoyer toutes ses forces, à l'image de la Vigne-d'Or qui y risquerait toutes les siennes. Cette bataille ne serait pourtant qu'un leurre destiné à faire passer le groupe des aventuriers au revers des défenses ennemies pour qu'il puisse aller rencontrer et défaire le Fléau grâce à l'aide du bâton si durement acquis.

Combien de temps Medhaar médita t'il la réponse ? Nul ne le sut. D'aucuns prétendirent qu'il l'avait accepté la proposition dans la seconde après qu'elle fut formulée, d'autres disent qu'il chassa tout le monde pour peser le pour et le contre seul, face à la déesse-mère créatrice de toute vie. Tout roi qu'il était, Medhaar pouvait-il se permettre de sacrifier des milliers de soldats pour la réussite de la mission d'une poignée d'entre eux seulement ? Il annonca la stratégie le soir, faisant se préparer ses troupes à l'ultime bataille. Pour se donner meilleure conscience, il rappela longuement aux cinq compagnons qu'ils portaient le poids des vies qui s'éteindraient pour qu'eux puissent vivre et remporter le combat. Aucun des amis de Scydia ne sut dire si les mises en garde de Medhaar faisaient également office d'encouragement et chacun décida de passer la soirée qui précéderait le tragique matin à sa façon. Dale aida par exemple des soldats à vérifier leurs armes, armures et boucliers avant de tomber de sommeil. Thralgar discuta de longues heures avec d'autres terranides qui se battaient sous la bannière coalisée, s'enivrant pour oublier qu'il avait peur. Tywin pria plus qu'il ne dormit, demandant à ses dieux de lui accorder assez de force pour être utile lors du combat final. Scydia passa quelques heures à s'entraîner seule avant d'être rejoint par Tekha, qui finit par l'attirer dans sa tente pour l'initier aux plaisirs de la chair.
D'eux tous, Tekha avait le plus peur. Quand les deux femmes eurent fini de faire l'amour, elle expliqua à Scydia combien l'idée de se battre contre le Fléau la tétanisait. La voleuse raconta comment elle avait quitté la petite communauté féminine à laquelle elle appartenait, révéla combien elle s'était sentie bien à combattre aux côtés des autres aventuriers. A mi-mots, elle déclara son amour à Scydia qu'elle avait toujours convoitée et celle-çi ne sut comment lui répondre. La syrra'elheìn avait toujours été malhabile pour comprendre les gens, pour les rassurer et les réconforter. L'amour était un sentiment abstrait pour elle, bien moins clair à ses yeux que l'honneur et l'abnégation. Elle s'estimait guerrière plus que femme et ignorait comment calmer la peur qui agitait son amie. Maladroite et gênée, Scydia se contenta de dire que le Fléau des Ages serait vaincu le lendemain.
Elles s'endormirent l'une contre l'autre, Tekha plus rapidement que Scydia qui en remercia la déesse-mère. Elle aurait détesté que sa compagne la sente se ramasser sur elle-même en tremblant à l'idée de ce que l'aube apporterait comme malheurs. Les pleurs, pensait-elle, étaient indignes d'une guerrière.

Voir les milliers d'hommes en armure qui s'étaient dirigés vers le coeur de l'île et la Forteresse du Fléau construite sur les ruines d'un ancien palais elfique était un spectacle grandiose et saisissant que les compagnons contemplèrent de loin, depuis le passage dérobé qu'ils avaient emprunté avec une petite troupe de soldats coalisés. En contre-bas s'alignaient les forces de la Vigne-d'Or et celles des Armées de Nuit, prêtes à en découdre. Une mer d'or et d'argent faisait face à un véritable océan noirâtre pailleté de l'orangé des brasiers infernaux qui permettaient à certaines créatures du Fléau de se mouvoir. Les coalisés étaient inférieurs en nombre, dominés par l'ombre de la grande forteresse. Lorsque la charge fut ordonnée et que les archers décochèrent une nuée de flèche si dense qu'elle en couvrit momentanément le ciel, ce fut le signal qui poussa la petite troupe isolée à avancer. De loin et à mesure qu'ils progressaient vers les murs latéraux du bastion, les compagnons pouvaient suivre la bataille. Le chaos qu'elle était plutôt, indescriptible à la distance depuis laquelle ils se trouvaient. Des catapultes pilonnaient les lignes de la Nuit depuis l'arrière de celles de la Vigne-d'Or, attaquant murailles et barricades adverses. Les démons répliquaient en vomissant leur lave et leurs sorts infernaux, chacun des deux camps décidé à éliminer l'autre de façon définitive.

Pour les cinq et leur escorte, les choses étaient différentes. Arrivée à portée des murs de la citadelle et armés de grappins, ils parvinrent tous à se hisser et à s'introduire au coeur des fortifications ennemies qu'ils eurent le bonheur de trouver désertes. Alors qu'ils comptaient évoluer en silence pour surprendre le Fléau des Ages, une voix qui semblait surgir d'outre-tombe leur indiqua le chemin à suivre pour accomplir leur objectif, avant de mourir dans un rire sadique. Ils s'y risquèrent -que pouvaient-ils faire d'autre, à présent qu'ils se savaient repérés ?- et traversèrent le château de long en large pour se présenter devant ce qui devait être les portes de la salle du trône. Gardées par une dizaine de démons mineurs, elles s'ouvrirent pourtant comme une invitation que les cinq n'eurent que le choix d'accepter. Ils s'engouffrèrent à l'intérieur, les battants de bois noir se refermant brutalement sur Dale qui fermait la marche. Les soldats n'avaient pas eu le temps de la franchir, leurs cris stridents témoignant du sort funeste que leur avait réservés les démons.
Ainsi ne restaient plus en vie que les cinq amis, qui avancèrent vers le trône en découvrant la salle dans laquelle le Fléau semblait les attendre. C'était une pièce aussi haute que profonde, son volume délimité par d'imposantes colonnes. Le toit (une verrière aux vitraux représentant ce qui devait être la déesse-mère des Ald'huïn) laissait passer l'éclatant soleil de ce début de journée. Bien que les compagnons se trouvaient profondément enfoncés derrière les épais murs de la citadelle, quelques échos de la bataille extérieure leur parvenait, étouffés par la pierre.
Enfin, le Fléau se révéla. Comme sorti du néant, un imposant trône taillé à même le tronc d'un arbre blanc se dévoila à leur vue et se révéla strié d'hideuses veines noires et palpitantes. Un rai argenté baigna alors l'assise royale et le Fléau apparut, faisant jour face à ceux qui venaient le terrasser.

Il ne s'agissait pas là d'un homme, comme tous s'y étaient attendu, mais d'une femme. Cornue et magnifique, sa peau était d'ivoire et l'armure d'argent qui la protégeait se fondait dans sa chair. Ses yeux ne brillaient que d'un éclat vide et morne qui les transperça tous tandis qu'elle les fixait. Sur le trône reposaient les plis d'une grande cape aux teintes carmin, dont il sembla un instant à Scydia qu'il s'agissait là de cuir.

"Je suis ce que vous nommez le Fléau des Ages, mortels", commença t'elle. "Vous ne parviendrez jamais à repousser mes armées, et encore moins à me vaincre. Maintenant que le Point de Convergence m'appartient, je condamne votre engeance à la destruction. Ces guerres m'ont lassée et je vais y mettre un terme définitif. L'histoire de votre monde s'écrit sous vos yeux, mortels. Contemplez votre réalité chavirer."

Ils hurlèrent, l'insultèrent et feignirent de passer à l'assaut avant de s'écarter pour dévoiler Tywin qui incantait déjà grâce au bâton. Voyant l'artefact, le Fléau se dressa d'un bond et fit apparaître dans l'une de ses mains une lance d'or qu'elle s'apprêta à lancer sur le magicien. Azimov fut le plus rapide, pourtant. L'énonciation de son sort fut si puissante que les murs de la citadelle tremblèrent sous sa voix. L'onde magique qu'il avait généré, véritable raz-de-marée d'énergie, frappa le Fléau de plein fouet. A cet instant précis, tout se mit à trembler et un hurlement de douleur indicible résonna dans la salle du trône où voletaient les images d'anciens mages elfes. C'étaient leurs esprits qui avaient alimenté le bâton à travers les siècle, s'en extirpant pour asséner un coup dévastateur à l'entité la plus puissante sur Terra.

Pages: [1]