Deux jours s'étaient écoulés depuis l'accident de Frolov et la découverte du slime dans un entrepôt à marchandises à proximité de l'une des jetées les plus fréquentées du port de Nexus. Deux jour et...rien. Rien sinon des témoignages tous plus fantasques les uns que les autres sur une jeune fille aux cornes plates et noires, aux cheveux longs couleur ailes de corbeau, au chaussures à talon d'une hauteur excessive et à la tenue bariolée. Mais aucun des témoignages sur cet étrange individu ne fait état de compétences magiques très poussées. Elle aurait été aperçue par un pêcheur alors que le sloop allait jeter l'ancre, mais celui-ci n'aurait pas vu la créature gélatineuse avec elle. Il avait affirmé l'avoir vu chevaucher un dauphin ou un poulpe. Ce pêcheur étant un ivrogne notable, les enquêteurs de Griselda avaient archivé ce témoignage sans trop croire à son utilité. Cependant, une enquête plus poussée à bord du vaisseau révéla qu'un mousse avait été la victime d'une créature gélatineuse ressemblant au slime ayant causé la colère des clients de Georges. L'état du mousse suggérait qu'il avait été mis au contact des sucs corrosifs produits par la créature.
À partir de cette découverte, les services de renseignements prirent au sérieux le témoignage du pêcheur et firent de leur mieux pour trouver un individu correspondant au signalement donné par celui-ci. Il était clair que le mage, le démon, le détenteur du slime avait voyagé clandestinement jusqu'à la citée de Nexus et vidé la cale du sloop pour les besoins d'une expérience. À moins qu'il n'ait laissé sa créature faire sa vie à l'intérieur de la cave à vin. Peut être avait il souhaité bien faire en remplaçant la cargaison par de la drogue…
Toujours est il qu'il fallait retrouver cette jeune fille, ce terrible archimage, ou ce démon et s'enquérir de ses intentions avant que d'autres accidents ne se produisent. Des accidents pouvant causer d'autres pertes financières à la compagnie d'assurances de Georges.
Griselda et Valor faisaient de leur mieux pour mettre la main sur leur cible en mobilisant tous les yeux et leurs oreilles à leur disposition, des bas-fonds au palais d'Ivoire. Mais le faisceau d'indices était des plus minces et Nexus se trouvait être la plus grande agglomération de Terra. Une formidable citée, suffisamment vaste pour recouvrir deux ou trois royaumes. À cela il fallait ajouter la magie, si pratique pour changer d'apparence, se rendre invisible et faire taire les témoins gênants.
Quelques agents avaient bien fait parvenir des rapports à leurs intermédiaires de la maison Flemens pour signaler de menus larcins, de petites incivilités, des farces de mauvais goût de la part d'une jeune femme portant une paire de cornes plates sur la tête...mais aucun acte laissant supposer que la cible de Georges était dotée de terribles pouvoirs magiques et d'intention belliqueuses.
Bien sûr, Georges avait demandé à ses services de renseignement de trouver à quoi ils avaient affaire. Démons, autre créature non-humaine ou puissant mage ? Pour l'instant, aucune réponse ne lui avait été apportée à ce sujet.
Deux jours d'enquête pour n'avoir aucune réponse.
Bien sûr, Valor et Griselda répétaient inlassablement qu'il ne servait à rien de s'inquiéter, que cet individu ou cette créature ne s'intéressait pas à la maison Flemens, que la meilleure façon d'éviter les ennuis en la matière était de continuer comme si de rien n'était, qu'une enquête ne pourrait qu'attirer une attention malvenue sur les affaires de la maison Flemens. Pourtant, Georges ne les avait pas écouté. Toute perte financière lui était insupportable. Il fallait éviter d'autres catastrophes. Pour ce faire, il était plus que jamais nécessaire de retrouver le responsables des accidents du port et de s'assurer de ses intentions.
Le jeune noble n'était pas resté deux jours à se morfondre dans son fiacre, devant l'entrepôt dévasté par le slime. Les hommes de Valor Innokenti avaient capturé la créature pour l'enfermer dans une cuve de verre renforcé à l'épreuve des substances corrosives telles que les sucs de la bête. Georges avait demandé aux scribes de son service assurances transport et déclarations en douanes de faire le nécessaire devant les juridictions nexusienne afin d'assigner en justice les propriétaires de l'entrepôt. Bien sûr, Georges avait dû remplir les obligations mondaines que lui imposait son rang dans la citée-état. Réunions d'affaires sous couvert de dîners mondains ou de galas, chantages et menaces échangées sous le voile de la bonne humeur et d'échanges de présents. Tout le charme des hautes sphères nexusiennes.
Aujourd'hui, les obligations mondaines de Georges l'avaient mené dans l'un des jardins publics de la citée-état, non loin du quartier du quai des chats. Il s'agissait d'un gigantesque jardin illustrant parfaitement la domination de l'humanité sur la nature. Symétrie et forme géométriques diverses étaient au rendez vous. Georges appréciait cet endroit lorsqu'il devait rencontrer ses sympathisants politiques. Pour lui, ce jardin était une source d'inspiration, tant par le message véhiculé par son agencement que par la facilité avec laquelle son service de sécurité pouvait sécuriser ce lieu. Ici, aucun vandale, aucun saboteur, aucun assassin ne pouvait se dissimuler bien longtemps. Certes, le jardin n'était clôturé que par des haies de cyprès mais il s'agissait d'un lieu public. Cependant, le service de sécurité de la maison Flemens envoyait toujours des hommes patrouiller en bordure du jardin, en civil ou en armures, pour être paré à tout éventualité.
Pour le coup, cette matinée avait été enrichissante. Plusieurs des sympathisants politiques de Georges étaient venus l'écouter et discourir à leur tour sur la décadence de la société nexusienne, sur l'engeance hybride et non-humaine pouvant à tout instant plonger la citée-état dans une ère de destruction et de panique pour tous les êtres humains y vivant. Bien sûr, personne ne critiquait la reine, ni le conseil de régence. Tout le monde avait en tête les exactions de la cellule inquisitoriale en charge d'enquêter sur la mort du défunt roi et de son épouse ; bénies soient leurs âmes damnées ; mais le ton était posé : La ville était mal dirigée du fait de conflits d'intérêts et de la paraisse de certaines élites nexusiennes complètement déconnectées des réalités.
Georges était content. Pas heureux, mais content. Il était rare qu'il soit entouré de sujets de la couronne partageant ses opinions sur les terranides. Sa bonne humeur était telle qu'il s'était permis de boire un verre de vin blanc avec le seigneur Strodza, un agent souscripteur avec lequel coopérait la compagnie d'assurance de la maison Flemens.
Assis sur un banc, adossé à une haie de cyprès, son garde du corps favori à proximité, Georges savourait ce qui avait été une matinée extraordinaire.
«Il est l'heure de revenir votre demeure, monsieur. Vous avez rendez vous avec le seigneur Talianov au sujet de sa cargaison perdue.»
Georges garda le silence une petite minute, le temps de faire aller son regard d'un groupe de badauds à un autre, admirant cette perfection, cette image de société paradisiaque dépourvue de non-humains et d'autres hybrides. Il finit cependant par se détourner de cette scène idyllique pour se lever et suivre son garde du corps.
Cependant, un mouvement en périphérie de sa vision, un petit détail attira l'attention. À quelques mètres de lui se tenait une jeune femme aux cheveux ailes de corbeau, à la tenue bariolée, ayant des chaussures à talons hauts à ses pieds...et des cornes plates sur la tête.
Georges riva son regard sur la jeune fille
«Valor ? Vos hommes ont laissé passer quelqu'un que nous recherchions depuis un petit moment.»
Dans un cliquettement d'acier, Valor tourna la tête vers la jeune femme et s'approcha de son employeur pour poser une main sur son épaule.
«Éloignons nous le plus naturellement du monde et laissons nos services de renseignements travailler.»
Georges se dégagea d'un mouvement sec avant de rétorquer.
«Certainement pas ! Entamons immédiatement la discussion avec elle. Vous, faites votre travail.»
Gorges se dirigea vers la jeune femme, un sourire factice aux lèvres, la main crispée sur sa canne. Il attira son attention en levant sa main droite, l'autre étant posée sur le pommeau de sa canne.
«Bonjour, j'espère que vous allez bien. Quelle belle matinée ! Mais vous semblez nouvelle en ce lieu. Je peux peut être vous aider ?»Dit il en arrivant à proximité de la jeune femme.
«Si vous avez envie de manger, je peux vous procurer beaucoup mieux. »Dit il en désignant la lombe que la jeune femme tenait dans ses mains. Le fruit d'un larcin à n'en pas douter.
Pour toute contrepartie, je ne demande qu'une seule chose : Que vous me fassiez plaisir en acceptant, pour un bref moment, ma compagnie à la terrasse d'un café que je connais plutôt bien : Le trident du rétiaire »