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« le: dimanche 09 juillet 2017, 21:38:50 »
Un rire moqueur résonna le long de la gorge déployée du Souverain du Purgatoire, un rire profond et sardonique, grondant comme s’il émanait d’une sombre et abyssale caverne. Le plus enthousiaste des prêtres se serait signé à plusieurs reprises en entendant ce rire tandis que le plus preux des paladins n’aurait put réprimer un frisson d’angoisse face à cette expression de moquerie émanant d’un être que le terme diabolique aurait été considéré comme un odieux euphémisme.
Nãar se redressa et s’éloigna d’Eris, ses mains soutenant ses hanches à mesure qu’il riait encore, comme s’il allait céder et exploser d’un instant à l’autre. S’arrêtant alors, il secoua lentement la tête, son sourire de squale se faisant plus large. L’éclat de ses crocs était très inquiétant. On aurait dit un lion au rictus moqueur.
« La nature humaine dans sa plus banale et pourtant fascinante simplicité. Desfleurs serait presque attachant. On dirait un gamin qui, après avoir accomplis quelques tâches ménagères, pense avoir mérité les gâteries de ses parents. Mais en ne recevant aucune récompense il pique une petite colère et s’en prend à quelque chose qui a de la valeur aux yeux de papa. »
Les humains pouvaient être si prévisibles, des fois.
Se retournant lentement, il fixa de haut la jeune femme au teint halé, caressant distraitement le bout de sa barbe d’un air pensif.
« Des conflits, j’en ai vu tout comme j’en ai vécu durant ma longue, longue existence. À l’époque où ton premier ancêtre apprenait à marcher sur ses petites pattes j’ai témoigné de batailles qui ont brisé des montagnes, des titans qui se sont entrechoqués, des mers qui se sont soulevées et des légendes qui naquirent dans le sang et la douleur. J’ai vu des guerres civiles, des sièges qui durèrent des siècles, des scènes d’apocalypse sur différents plans, des empires réduits en poussière et d’autres qui furent bâtis sur les cendres des peuples massacrés et affamés. Mon regard a couvert des lignées royales prestigieuses, admirant leur naissance, leur apogée, puis leur lent déclin jusqu’à l’oubli. »
Quand il parlait, le sol à ses pieds semblait retranscrire ses paroles dans le sable gris, prenant des formes complexes de peintures aux représentations fidèles, d’un tel réalisme qu’on pourrait croire qu’ils étaient dotés de vie. Elle pouvait voir les formes se déplacer, interagir et suivre les contes de l’archidémon.
« Prenant l’exemple des Sables Blancs. Voilà bien trois millénaires, ce désert aride était le berceau d’une riche civilisation qui avait développé sa propre culture, économie, force militaire et politique. Forts et sages, ils avaient surmonté l’âpre caresse du désert et avaient dompté le soleil implacable. »
Le sol prit alors la forme de vastes cités à l’architecture particulière, bandées de peuples aux formes humanoïdes qui s’affairaient à diverses tâches du quotidien.
« Un jour, la famille royale donna naissance à une femme du nom de Neferhamûn. Elle était réputée être très intelligente, une maîtresse incontestée des arts occultes et des magies anciennes, une femme d’une beauté telle qu’elle faisait de l’ombre à toutes les reines des royaumes voisins et d’une ambition débordante. Ayant prit les rênes de l’empire, elle était devenue une personne toute-puissante. Mais son orgueil la poussa à en demander toujours plus, car sa place actuelle ne lui suffisait guère. »
La poussière, qui avait fait le portrait de la sublime Neferhamûn à la couronne plus brillante que le soleil, forma de nombreuses scènes rappelons les peintures sur les murs des antiques mausolées.
« L’empire ancien vénérait de nombreuses entités et Neferhamûn les connaissaient toutes et savaient comment les appeler. Elle avait besoin de celui qui pouvait exaucer les souhaits, le dangereux être si séduisant de part sa puissance et aux promesses plus douces que mille rivières de miel. On l’appelait Ghûrur. »
Un grand personnage fit son apparition dans les peintures magiques, souriant avec dédain. Eris avait un esprit assez vif pour qu’elle puisse deviner, en comparant le dessin et le narrateur, que Ghûrur n’était autre que Nãar. Les bijoux qui lui recouvraient le corps semblaient aller de paire avec le style vestimentaire de ce peuple oublié.
« Elle était déjà puissante, mais désirait avoir un fils qui franchirait les limites du pouvoir et conquerrait tout le monde connu d’une poigne de fer. Elle rêvait depuis sa tendre enfance d’enfanter l’ultime guerrier, celui qui honorerait réellement la lignée royale. Elle ne souhaitait guère s’unir à aucun mortel et implora Ghûrur de lui faire porter un enfant. Ce dernier n’accordait jamais ses faveurs gratuitement et lui proposa un pacte. Une fois que son enfant atteindrait une gloire sans-précédent, il devra la céder à ses fils le temps venu. Neferhamûn ne tarda guère à acquiescer, s’imaginant que son fils sera aussi sage. Ghûrur lui accorda donc son souhait. »
Brièvement, on put témoigner sur le sol d’une scène de luxure et de perdition telle entre la souveraine et l’archidémon que même la plus frigide des divinités aurait eut le sang bouillonnant de désir et d’excitation. Le sexe avec un archidémon était toujours une expérience … renversante.
« Quelques mois plus tard elle donna naissance à Vazul, qui grandit vite et maîtrisa l’art de la guerre et de la politique. Il était doté d’une force surhumaine et d’un courage immense. Guerriers, démons, morts-vivants et autres abominations tombaient sous sa poigne comme des épis de blés et il conduisit son empire vers une vaste conquête, soumettant dans le feu et le sang chaque cité, chaque pays et chaque nation proche. L’or coulait à flot, l’empire avait atteint une prospérité jamais vue avant et Vazul était devenu un dieu vivant. Son harem composé des anciennes reines conquises lui avait donné de nombreux fils tous aussi compétents et talentueux. Des princes qui méritaient de voler de leurs propres ailes et diriger avec leur père ce vaste empire. Mais Vazul était touché par la malédiction de son sang démoniaque et la vanité coulait dans ses veines. Soucieux de garder le pouvoir pour lui tout seul malgré les conseils de feu sa mère, il opta pour une solution radicale. »
Le sable prit une teinte sanglante lorsque, soudain, la figure héroïque de Vazul devint sombre et torturée à mesure qu’on le voyait poignarder ses enfants dans leur sommeil. Le réalisme atteignit une toute nouvelle dimension car on pouvait entendre le choc de la lame s’enfonçant dans le tissu et la chaire, des cris étouffés des victimes … et l’odeur métallique du fluide vital.
« Ainsi, il rompit le pacte de sa mère avec Ghûrur, perdant ainsi la bénédiction de ce dernier. Hors il ne fallait jamais rompre un pacte tracé dans les anciennes lois en toute impunité. Les conséquences furent désastreuses. Vazul fut frappée d’une terrible malédiction et sa vie devint un enfer sur terre à mesure que son empire se disloquait et tombait en poussière. Famine, catastrophes naturelles, invasions ennemies, épidémies, anarchie et trahisons se multiplièrent. Le chaos régna et bien vite l’empire disparut de toutes les pages de l’histoire. »
Nãar se frotta lentement les mains, indiquant ainsi que son récit était finit. Il laissa planer un long silence tandis que lentement le sol reprenait sa structure ordinaire et grisâtre, effaçant les traces de ruines et désolations qui représentaient le fabuleux empire avant que les sables ne l’engloutissent. Tout ça à cause de l’orgueil d’un homme.
« Oui, tout ceci ne vaut pas grand-chose à mes yeux. Ce ne sont que les chamailleries d’enfants gâtés. Mais ce que tu dois retenir dans ce récit, c’est qu’il ne faut jamais, jamais violer les termes d’un contrat. Le châtiment qui en suit est d’ordre plus que divin, crois-moi. Même les dieux n’osent violer leurs pactes avec les mortels. C’est des forces au-delà de l’imaginable qui y interfèrent. Voilà pourquoi je t’ai amené ici. Ton protecteur risquait de déclencher quelque chose que lui-même ne pouvait contenir. »
Il regarda le ciel sans couleurs ni soleils un moment avant d’ajouter.
« Je n’agirais pas au-delà des termes de notre contrat. Tâche d’en faire pareil et de te montrer docile. Je m’en voudrais de devoir te soumettre par la force et te briser autant physiquement que psychiquement. Après tout, j’ai promis de te garder en vie. »
Il a dit qu’il s’en voudrait. C’était un mensonge. Si, comme la dernière fois où elle s’était laissée emporter par la colère, elle essayait de se rebeller, Superbia prendrait un plaisir pervers à la châtier car tel était les délices qui divertissaient son existence suprême.