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« le: mardi 24 mai 2016, 13:25:31 »
Mimer la serviabilité? Ça devrait pas être trop dur. Après tout, c'était déjà ce qu'elle était entrain de faire dans une certaine mesure. Elle s'attendait plutôt à devoir passer pour une sorte d'esclave et à l'appeler maitresse, excellence ou une autre connerie du style. Tant mieux que ce ne fut pas le cas, Limuna n'appréciait pas vraiment ce genre de rapports. Pour quelqu'un qui a presque toujours vécu seule, et de surcroit dans la nature, le principe même d'échelle sociale avec le rapport dominant/dominé impliqué uniquement à cause de la naissance était pour le moins singulier. Elle ne connaissait que le système proie/prédateur, beaucoup plus simple. Soit tu es assez fort pour tuer l'autre, soit tu es assez rapide pour fuir. Alors quand elle tombait sur des êtres "civilisés", il y avait parfois quelques soucis de compréhension. Elle se servait régulièrement sur les étals des marchands, oubliant la définition même du mot "voler". C'était là, elle avait faim, alors elle se servait. Mais les gardes avaient en général tôt fait de lui rappeler que quand on est civilisé il vaut mieux mourir de faim que de manger un fruit qu'on ne peut pas payer. C'était totalement absurde. L'une des raisons qui faisaient qu'elle ne pouvait s'attacher à aucun endroit. C'était une sauvage, une barbare, selon les gens. Ce qu'elle ne reniait d'ailleurs pas. Sa mère lui avait expliqué être la seule survivante d'une tribu dite barbare. Peut-être qu'un jour elle trouverait une culture qui partagerait sa façon de voir les choses et qu'elle s'installerait, mais il y avait peu de chances.
En attendant, elle ne pouvait pas se permettre de se faire remarquer en ces lieux. C'est pourquoi elle avait adopté une forme de fuite en avant par le consentement de son infériorité à Keleth. Ça ne lui plaisait pas vraiment, mais elle ne s'en sortirait jamais seule. Et au final elle se révélait être plus sympathique que ce à quoi elle ce serait attendu. Elle attendait de connaître le monde démoniaque plus en profondeur pour pouvoir se prononcer, mais étrangement, les dires de la démone rendent la société infernale plus attirante pour l'hybride que celle des humains ou semblables. Certes la naissance est importante ici aussi, mais de manière différente. Telle ou telle famille semble avoir une autorité sur les autres de par son nom, mais parce que ce nom est synonyme de force. Si une famille respectée devenait faible tout d'un coup, nul doute qu'elle serait immédiatement remplacée par une autre. Contrairement aux humains où c'est le nom en lui-même qui est puissant, beaucoup plus que les individus le portant dans la majorité des cas. Du coup elle voyait plus le monde démoniaque comme une sorte de méritocratie, où les nobles étaient nobles car ils étaient en mesure d'écraser les autres, pas parce que les facéties de l'Histoire les avaient placés là. D'un côté la puissance fait le nom, de l'autre le nom fait la puissance. Et ce sont le démons que l'on dit décadents et dégénérés... C'est peut-être le cas, mais pour l'instant ils avaient plus d'attrait que les humains à ses yeux.
Conformément à la demande, elle s'accrocha un peu plus fort, s'écrasant un peu plus contre Keleth le temps du saut. Avoir enserré sa taille avec ses jambes avait été une riche idée sans laquelle elle serait partie comme un pendule à se balancer à son cou. La descente reprit de plus belle, et en jetant un coup d'œil en bas il semblait que le plus gros du chemin ait été fait.
"Une dinde? Je n'ai encore jamais vu cette coutume. Il faut dire que je ne m'entends guère avec les humains. Pour eux je suis une barbare, une sauvage élevée par la nature qui ne reconnaît que la loi du plus fort. Et j'aurais du mal à leur donner tort, cependant je ne vois pas en quoi c'est une justification au fait qu'on me donne la chasse dans certains villages. Pour être tout à fait honnête, vous êtes plus agréable avec moi que ne l'on été la majorité de ceux qui partagent la moitié de mon sang. Il y a toujours des exceptions, comme ces fanatiques vénérant les dragons qui m'ont prise pour une demi-déesse. Ils voulaient se priver de manger pour m'offrir un banquet. A quoi bon avoir la foi si ça mène à sa propre perte?"
Il était vrai que pour la plupart des gens, les demi-dragons sont des êtres très puissants aux formidables pouvoirs. Bien que ça ne semble pas être le cas de Limuna, elle en vint tout de même à se poser la question. Allait-elle en acquérir d'autres? A quel point se renforcerait ses compétences? Et surtout, quelle était son espérance de vie? Celle d'une humaine, une vie plus longue, ou l'immortalité des dragons? Elle ne le saurait peut-être jamais. Quoiqu'en même temps, il existe tous types de pouvoirs, il se peut que quelqu'un soit capable de déterminer ça pour elle. Elle décida d'en faire part à celle qu'elle tenait fermement. Avec un peu de chance, elle serait intriguée et pourrait lui donner des renseignements utiles.
"A bien y réfléchir, je ne sais pas grand-chose sur moi. Je vis seule depuis mes 10 ans, alors j'ai développé mon contrôle du feu par nécessité, mais suis-je capable d'autre chose sans le savoir? Serai-je "puissante" si je m'entrainais aux arts guerriers? Quel est mon potentiel dans les différents aspects de la vie? De combien de temps est-ce que je dispose pour répondre à ces questions? Car oui, je ne connais même pas mon espérance de vie. Me reste-t-il quelques années, des centaines voire des milliers d'entre elles, ou est-ce que je bénéficie d'une jeunesse éternelle, comme mon lézard de père? J'ai essayé de répondre à cette question il y a quelques temps, mais les rares informations sur mes congénères ne m'aidèrent pas, leur mort étant toujours violente sans confirmation possible de leur âge. Mais c'est aussi pour ça que je voyage. Je cherche ma place, mon rôle dans ce monde, le rôle du monde lui-même. Un sens à ma vie, peut-être, mais plutôt un sens à l'existence de notre univers en soi. Vaste programme, n'est-ce pas?"