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« le: jeudi 10 septembre 2015, 17:35:25 »
« Non seulement une tâche difficile. Mais en vérité, impossible. J’ai vécu suffisamment longtemps, pour voir qu’à travers toutes les difficultés, ou les pires cataclysmes, ces confréries survivent tout le temps. Qu’une maladie, qu’une guerre, ou même que la paix la plus éclatante possible survienne dans un pays, dans une ville… Ils seront toujours présents. C’est un fait que l’on ne peut nier. C’est pour ça qu’il faut pouvoir les diriger. Pour gouverner, il faut accepter l’existence de toutes les choses. Les plus belles, comme les plus sombres. Il faut pouvoir les garder à un niveau plutôt proche, car si l’équilibre se perd… »
Elle soupira et hocha la tête d’un air un peu absent aux autres paroles d’Elena. Puis commença à marcher, ouvrant une porte pour s’enfoncer dans un couloir. Les lumières étaient plutôt tamisées, mais éclairaient suffisamment pour que des yeux humains puissent admirer à leur guise les tableaux qui parcouraient les murs, ou jonchaient le sol. Sur les murs étaient accrochés surtout des œuvres du passé. Un passé qui remontait à l’Italie ancienne, montrant des scènes qui avaient tenu, immortelles, par-delà le temps. Pour le duo, cela ne devait pas voir vraiment de sens, ou ressembler à un art quelconque, une vision de l’esprit torturé que pouvait avoir la Vampire et ses siècles d’errances. Les tableaux sur le sol, eux, n’étaient que des esquisses ou peintures que Prisca avaient tracés ou peints. Parfois, ils étaient magnifiques. Et si Adamante ou Elena s’attardaient sur eux, alors, elles pourraient voir des dessins étranges. Particulièrement, une scène.
C’était une chambre, avec, contre le mur du fond, un grand lit à baldaquin. Pour sûr, cinq personnes auraient pu tenir dedans sans vraiment de problèmes. Les draps semblaient de satin blanc, légèrement froissés, avec un coffre dessus. Le coffre était ouvert, et si l’on s’approchait suffisamment du tableau. Un cœur battant apparaissait, peint. Seulement… le drap était taché. Du bord du lit jusqu’au coffre, un écoulement de sang était visible. Sous le lit, qui dépassait sur le sol, un tapis brodé, rouge. Et dans l’ombre du lit, un corps sans vie. Sur les côtés de la pièce, on pouvait apercevoir quelques meubles tous détaillés. Une commode, fermée, aux dorures incroyables. Un endroit avec un miroir, encastré à même le mur, avec une chaise rembourrée. La pièce dans son ensemble était assez sombre, et nulle fenêtre ne donnait sur l’extérieur. Mais au coin droit, on pouvait voir une forme sombre recroquevillée. Malgré un sourire large, l’ombre avait un air résolument triste. Des larmes de sang coulaient. Sur son cou gracile, des traces de morsures.
Mais la vampire, elle, continua sans s’arrêter devant ce spectacle, ce dessin qui était posé sur les autres. Comme un souvenir qui la poursuivait à jamais. Elle revint à la conversation que tenait la reine, et … qui semblait bien plus intéressante qu’un passé révolu.
« Je pense que je peux même faire mieux. Et… sans avoir à vous emprunter des crédits. Je vous l’ai dit, Reine Ivori, je suis riche. Mais j’irai plus loin que cela. »
Elle commença à faire quelques pas en rond, en pleine réflexion. Ses yeux brillaient d’émotion. Parfois un peu malsaine, mais terriblement attirante. Puis reprit :
« Vous voulez offrir une nouvelle jeunesse à ces quartiers. De tous temps, la seule chose qui peut élever les êtres est l’éducation. Non seulement, je vais suivre vos conseils et créer un atelier. J’embaucherai. Je nourrirai. Mais aussi, je ferai construire une école. Un dortoir. Cela… me rappellera des souvenirs. Tous pourront venir. Riches et pauvres. Hommes ou femmes. Adultes ou enfants. Je recruterai aussi d’éminents professeurs. Lettres. Arts. Armes. Réflexions… La seule sera la volonté, et le travail à fournir. Ils seront logés, nourris, blanchis. S’ils échouent, par manque de volonté. Si leur cœur ne se révèle que empli de mal. Alors ils seront chassés, après leur avoir laissé une seconde chance. »
Elle éleva les bras, en arrivant dans son salon. Le salon était plutôt grand. Déjà, la vampire avait dû acheter deux maisons, et les faire relier. On pouvait voir la trace, d’ailleurs, de quelques travaux. Les senteurs de peintures étaient présentes… Mais cela pouvait surtout être expliqué par le fait qu’un des murs étaient occupé par une énorme toile qui prenait tout le long. Il représentait un vaste paysage, qui n’était pas terminé. Seul le quart du dessin était fait. Mais… pour peu qu’on ait fait attention au tableau précédemment posé sur le sol. On pouvait reconnaître assez facilement le côté gauche du tableau, malgré le changement de certains détails. Les meubles étaient les mêmes, encore plus détaillés, mais cette fois, dessus étaient posés divers objets. Un peigne, taillé dans un bois riche, et décoré. Des petites toiles blanches, prêtes à être peintes s’amoncelaient dans un coin. Des grands miroirs posés sur le sol reflétaient un spectacle terrifiant aux teintes pourpres et noires. Un spectacle qui n’était pas encore peint, de l’autre côté.
« Je ferai de cet endroit un lieu brillant. Seulement. Malgré tous mes moyens. Je ne peux le faire seule. La richesse que je créerai donnera lieu à des convoitises. Et c’est là que vous pouvez agir. Il faut de la protection. Et des assurances. Qu’après la sortie de cette magnifique création, ils devront pouvoir continuer leur vie, et non pas retourner à ce qu’ils étaient avant. Si tout est réuni… Alors le visage de la basse ville pourrait changer. Au fil des ans. »
Et encore… il y avait plein de choses à voir. Mais ce qui était bien, quand on était vampire, c’est que le temps n’importe guère. Un visage aussi désastreux que celui de la ville basse ne se récupérait pas en quelques claquements de doigts. Mais si elle pouvait y travailler, et réaliser son projet. Alors, il se pourrait que quelques lueurs apparaissent ici et là. Elle observa un instant Adamante, puis Elena.
« Seulement, malgré toute la force de l’Art. De l’Éducation. Ou de tout ce que je peux offrir. Cela ne suffira pas à combler ma soif. »
Elle s’avança, de deux pas, vers Elena. Elle souriait, d’un air doux, fascinée par la jeune reine. Et encore un autre pas.
« Je suis une Vampire. Mes goûts sont plus hauts que la moyenne. Je n’irai ô grand jamais me nourrir sur une personne récalcitrante. Et seul un corps appartenant à un être d’une grande bonté, au cœur pur, peut me satisfaire. Et jamais, je ne tue. Il faut savourer. Partager la tendre innocence. »
Elle s’éloigna, résistant à une pulsion qui traversa son échine, ses yeux brillèrent un peu plus, globes jaunes luminescent dans le salon peu éclairé. Bien sûr, elle mentait. Elle voulait savourer l’innocence, jusqu’à la fin. Sentir son souffle chaud contre sa peau. Sentir cette peau gracile sous ses doigts d’albâtre. Caresser ses jambes fines. Lui griffer doucement le dos… Laisser ses dents percer cette peau nue… puis…
Puis elle se détourna un peu plus. Ce n’était pas le moment. Elle devait résister. Pour certaines personnes, elle avait déjà réussi à se retenir d’aller jusqu’au bout. Et là… Elle avait de plus en plus une folle envie de savourer cette Reine au grand cœur. Mais se retenir jusqu’au bout faisait partie du jeu. Ce jeu qui donnait une saveur toute particulière à cet acte qu’elle vénérait.
« Certains pensent que les vampires ne sont là que pour dévorer des personnes. Certains nous ont chassés. D’autres nous ont vénérés. Il n’en est rien. Nous sommes… Nous étions humains. Nous sommes devenus Vampires. Il ne s’agit ni d’une bénédiction. Ni d’une malédiction. Mais juste d’un autre état. »
Pourquoi elle parlait de cela, elle n’en avait strictement aucune idée. Peut-être était-ce même plus pour elle que pour le duo, que ces paroles étaient sorties. Le cœur de la jeune Elena lui faisait monter une faim irrépressible. Souvent, elle s’était nourrie au fil des années sur des jeunes enfants au cœur innocent et pur. Au maximum ses proies habituelles allaient sur leur onzième année. Mais ce qui était si impressionnant chez Elena, c’était que, à son âge, elle n’avait pas été corrompue par tout ce qui l’entourait, par la folie qui étreignait le monde de ses bras gigantesques. Elle était là, sur sa tour d’ivoire, ne voulant que le bien du monde.
Les mains de la vampire se serrèrent un instant, et elle se détourna à nouveau pour se détendre juste après. Son visage, lorsqu’elle revint vers le duo était empli de douceur. Si ses yeux étaient illuminés par la faim, il n’y avait maintenant plus qu’une grande admiration. Presque, un amour. Sûrement, vous avez déjà entendu parler de coups de foudre pour une personne. Pour Prisca, c’était presque pareil. Elle tombait amoureuse du caractère et du cœur de certains humains. Et si ces émotions étaient particulièrement dirigées vers la jeune reine. Adamante n’était pas en reste. Pour la peintre, si Elena avait pu garder ce cœur, outre sa grande noblesse, c’était aussi grâce à la magicienne. Nul doute que le monde aurait corrompu et sali cette pureté s’il n’y avait pas eu les actions salvatrices de cette protectrice particulière. Et pour cela, elle admirait la magicienne.