Engrangé dans le poitrail du robot, la source d’origine n’était pas dans un état impeccable. Très légèrement rouillé, une bosse à un endroit, elle était néanmoins encore assez fonctionnelle pour émettre une faible lueur clignotante. Le cercle de vitracier, au centre même de la source énergétique, se gorgeait de lumière avait de s’éteindre et de recommencer encore.
Mais la machine ne donnait aucun signe de… vie… apparente. A une vingtaine de mètres de là, cachés derrière un monticule de cochonneries rouillées, les ferrailleux restaient en alerte, observant la scène avec l’espoir que l’intruse penchée sur la machine inanimée finisse enfin par décamper. Ils étaient déjà en train d’élaborer un plan pour s’approcher discrètement de Nu, tout occupée qu’elle était par sa trouvaille, de l’assommer et de la trainer jusqu’à leur repaire pour jouer d’elle selon leur bon vouloir, ignorant parfaitement, bien entendu, son état de cyborg.
Armés de vieux lances-fléchettes tazer, d’une matraque électrique, de câbles et d’un simple gourdin au cuir rongé, ils allaient passer à l’action. Mais ils n’eurent que le temps de sortir la tête de leur cachette pour s’y dissimuler de nouveau, ayant remarqué du mouvement en face d’eux.
Une faible lueur bleue était apparue au cœur des énormes pupilles de l’androïde. Une leur qui se mit à grossir, à s’étaler jusqu’à englober toute la surface de ses yeux. Un léger déclic se fit entendre, suivit d’un doux ronronnement qui ne tarda pas à se taire. Alors Moïra bougea enfin. Ce fut d’abord un tressautement de sa seule main valide avant quelle ne se redresse, comme le plus naturellement du monde, en position assise.
Comme regardant droit devant elle, l’androïde ne bougea plus, statufiée. Brusquement, ne s’étant absolument pas rendue compte de la présence de sa sauve, Moïra se dressa élégamment sur ses jambes. Contre son flanc, son bras droit, presque décroché de son épaule, pendait misérablement, inutilisable. Indifférente, elle se contenta de regarder droit devant elle, de tourner la tête à droite, puis à gauche, s’étonnant de l’endroit dans lequel elle venait de se réveiller : Des collines de ferrailles, des plaines de carcasses métalliques et des ilots d’épaves abandonnées.
Loin devant, un monstre s’activait à dévorer toute la pitance qui s’offrait à lui. La grue à la mâchoire de fer boulotait voracement des monceaux de ferrailles pour les compresser de son estomac, les faire fondre et les régurgiter ensuite sous la forme de gros cubes métalliques parfaitement lisses. Des cubes qui d’autres robots s’empressaient de récupérer entre leurs pinces pour les emmener vers un nouvel. Moïra pencha la tête sur le côté, raisonnement qu’elle aurait du logiquement finir dans cet état.
— Hum... Bonjour, mon nom est Nu... Tu as un nom? Qu'est-ce que tu fais ici alors que tu as l'air neuve? Oh, il te manque quelques morceaux aussi, mais on va t'arranger ça, t'en fais pas... Enfin, si tu veux venir avec Nu bien entendu.
Sursautant et poussant un petit son étrange et rauque, l’androïde pivota pour faire face à la plus charmante femme qu’elle eut vu de toute sa courte carrière (même s’il ne lui eut pas été donné d’en voir beaucoup.). Une peau pâle, un visage exprimant la sévérité et l’amusement, une généreuse poitrine, de beaux cheveux et une tenue toute particulière si on ne comptait pas son bandeau de pirate qui lui couvrait un œil.
Un être humain, tout simplement. Du moins d’après ce que Moïra analysa, ses capteurs n’étant pas assez puissants pour constater qu’un cyborg lui faisait face. L’androïde en était charmée, dodelinant de la tête. Elle avait été toujours fière de faire savoir son individualité en étant capable d’apprécier les belles choses. Et c’était effectivement une belle chose.
Ses joues émirent doucement une très légère teinte pourpre, une coquetterie de la part du concepteur de la chaîne de production. Comme tous ses semblables, Moïra était capable de rougir.
Elle se décida donc à réponse. Mais en guise de voix, ce ne fut qu’un ensemble de gazouillis stridents et de cliquetis brusques qui s’extirpèrent du robot. La seconde d’après, une petite pétarade raisonna de la tête de l’androïde, suivie d’une fumée opaque qui s’échappa du cône à l’arrière de sa tête.
Encouragée par les mauvais traitements que l’androïde avait reçus durant ces dernières heures, sa boîte vocale venait simplement de rendre l’âme. Moïra ne bougea plus, comme éteinte.
Brusquement, elle se mit à agiter le bras, faisant des signes de la main, pliant et dépliant ses doigts, dessinant des arabesques, en proie à une étrange panique tandis que son bras cassé fouettait ses flans.
Sous la frénésie du petit robot, des morceaux de carcasse glissèrent et se détachèrent du monticule, lui faisant perdre l’équilibre. Sous les yeux de l’adorable Nu, Moïra bascule en arrière, pirouetta, roula, arrachant d’autres vieux trucs et machins sur son passage avant de finir sa course en bas contre une voiture incendiée. La tête dans le sol, les jambes pliées et la pointe de ses « pieds » touchant son bassin, le robot resta un moment dans cette position avant de s’extirper tant bien que mal. Elle était intacte. Du moins presque…
Le crachat de petites étincelles sur son épaule attira son attention. Alors, elle se dressa follement, constatant que son bras droit était désormais purement et simplement arraché. La machine devenue dingue, Moïra se fit le devoir de retourner les gravats de fer, cherchant désespérément son membre manquant.
Elle finit finalement par se remettre debout, tenant son bras dans la dernière main qui lui restait. Les doigts ouverts, le poignet plié, son attribut avait triste mine. L’androïde leva la tête vers le monticule, observant la silhouette de Nu derrière qui le soleil se levait, projetant toute son ombre sur le robot en contrebas.
Désormais incapable de s’exprimer, Moïra se mit en tête de suivre la belle Nu, acceptant l’idée d’être réparée. En tous les cas, sa logique ne trouvait aucune solution de rechange. Son employeur avait été mécontent de ses frasques et ce n’était pas pour rien qu’elle s’était retrouvée dans cette déchetterie. C’était une sensation étrange que de n’avoir aucun objet précis ni d’ordre de mission. Et suivre la belle Nu jusqu’à son antre était désormais tout ce qu’elle avait, une solution à laquelle le petit robot se raccrochait avec conviction.