Les terres sauvages / Re : Les imprévus du mage de Locmirail [Orphéo]
« le: jeudi 15 janvier 2015, 01:22:58 »Orphéo était de ceux là. La tente miteuse de la diseuse de bonne aventure l'avait attiré et il n'avait pas rechigné à dépenser quelques pièces pour qu'une vieille femme toute fripée à l'haleine chargée de relents de vinasse et de parchemin sorte une boule de cristal fissurée afin de lire dans les volutes de fumée argentée qu'on pouvait voir danser dans la sphère. Tout n'était probablement que spectacle dans les prétendus arts de cette femme, mais la scène était passée de mode depuis longtemps déjà : les lourdes teintures qui décoraient la tente étaient déchirées et leurs couleurs jaunies, les bibelots divers couverts de poussière n'effrayaient plus personne et les encens que la voyante faisait brûler ne dispensaient plus que le souvenir d'une vague odeur fruitée. Le jeu de la femme aux dents gâtées et à la chevelure hirsute était lui aussi passé de mode et ses effets de manches n'impressionnèrent que très peu un Orphéo pourtant assez naïf pour s'émerveiller d'à peu près tout.
Elle ne lui avait rien prédit d'étonnant et Orphéo s'apprêtait à la quitter quand elle lui attrapa l'avant-bras pour le retenir avec assez de force pour le surprendre. Il s'était rassit en déglutissant, voyant que les yeux de la voyante avaient adopté une curieuse teinte laiteuse alors qu'il avaient été couleur noisette jusque là.
- Tu es né sous les étoiiiiiiiiiles, petit. Et les étoiiiiiiiiiiles ont de grands projets pour toi ! Une constellaaaaaation brille pour toaaaaaaa ! Trouve la divinité et l'aaaaaaarmure pour proooooootéger ! L'aaaaaaaarmure... MAGIIIIIIIIIQUE des étOIIIIIIIIIIIIIILES ! La COOOOOONSTELLAAAAAAAAAAATIOOOOOOOOOOON !
Et elle était tombée. Pouf, comme ça, sur la table basse, face en avant. La boule avait roulé dans un coin de la tente et Orphéo n'avait pas tardé à se ruer sur la vieille pour s'assurer qu'elle vivait -ce qui était le cas. Une fois assuré de la bonne santé de la voyante qui piquait en fait un petit roupillon, le garçon s'était éclipsé sans demander de son reste.
Néanmoins, la prophétie de la diseuse de bonne aventure avait fait son petit bonhomme de chemin. Pensez donc ! On y parlait armure magique, étoile et divinité, tout le genre de vocabulaire qui séduisait un esprit aussi vagabond que celui d'Orphéo. Lui avait prit cela pour argent comptant et s'était mit en quête d'une armure douée de pouvoirs quelconques, bien décidé à accomplir la prophétie pourtant bien décousue.
C'était ainsi que le gamin avait quitté le village de Delguéo, son baluchon sur une épaule et la lanière du fourreau de sa fidèle épée de fer sur le dos.
Après tout, c'était un parfait prétexte pour une nouvelle aventure !
Le parchemin froissé qu'il tenait à la main lui avait beaucoup servi, depuis hier qu'il était arrivé en Castelquisianni. Orphéo ne lisait que très mal et difficilement, ce qui faisait qu'il peinait à déchiffrer l'adresse qui était griffonnée sur le petit carré de velin. Alors le gamin s'était il efforcé de montrer les lignes aux gens qu'il croisait dans les différents quartiers de la cité et ce depuis son arrivée. Bon, son chemin n'avait pas été une ligne droite : parfois Orphéo avait-il mal compris ce qu'on lui avait indiqué, d'autres fois s'était-il retrouvé à flâner devant les échoppes et les belles devantures des maisons pour se retrouver perdu dans les allées pavées et passantes. Quelques points de vue disséminés ça et là dans les recoins de l'île principale avaient fait son bonheur pour avaler une petite collation, avant qu'il ne se décide pour de bon à se rendre au siège de cette étrange Gilda dont on lui avait assuré qu'elle pourrait lui produire cette fabuleuse armure dont il n'avait cessé de rêvé depuis sa visite chez la vieille diseuse de bonne aventure.
Rejoindre le siège de la Gilda avait été la partie la moins agréable de son voyage. En vérité, ça avait été la partie la moins agréable de tout ce qu'il avait accompli jusque ici; jamais Orphéo n'avait traversé de si miséreux quartiers dans lesquels on menaçait de le voler à chaque coin de rue, jamais Orphéo n'avait eu à subir si frontalement la déchéance et le malheur. Pour quelqu'un d'aussi innocent que lui l'était, cette côte était un véritable crève-coeur et il l'avait traversé en baissant la tête pour éviter de trop se faire remarquer. Peut-être était-ce aussi là de la lâcheté ? Le vagabond manquait de ce zeste de courage qui faisait les héros.
Il avait été plus rassuré sur les derniers mètres qui menaient à la grande tour de la Gilda et avait pressé le pas pour pousser la porte avant de la refermer sur lui en soufflant un grand coup. Enfin au chaud, notre Orphéo aux bottes crottées écarta les pans de sa vieille cape de voyage et abaissa le col qui surmontait cette dernière. Le gamin avait remonté le couloir qui se présentait à lui en admirant les décorations qui s'étalaient sur ses pas, finissant par tomber sur un guichet derrière lequel se trouvait une femme qui lui tomba dessus verbalement.
- Je peux vous aider, monsieur ?
- Je... o-oui, sûrement. Je pense.
- Vous pensez. C'est déjà une bonne chose.
- Euuuuh... vou-voui...
- Et vous venez pour ?
- Euuuuuuuh...
- Seriez-vous apparenté à un batracien ? Vous coassez.
Orphéo, qui virait au rouge, préféra ne rien répondre. Se précipitant sur ses poches pour les fouiller -ce qu'il dut faire en trois fois sous la montée de stress qui l'avait saisi- afin de mettre la main sur le papier qui l'avait guidé jusque là. Il le donna à la bonne femme, qui s'en saisi pour le parcourir rapidement des yeux.
- Vous voulez rencontrer Walter Zaccaria, donc.
- Voilà. Le monsieur qu'est marqué sur le papier.
- Passez dans la salle d'à côté, vous aussi. Je lui envoie un picci.
- Un quoi ?
- Un picci.
- ...Ah.
Pas plus renseigné alors que la secrétaire haussait mollement une épaule avant de disparaître pour fouiner sous son bureau à la recherche d'un second automate ailé, Orphéo se détourna pour rejoindre la direction indiquée. Il n'avait pas spécialement envie de continuer à discuter avec cette femme au ton sec qui avait l'air de le considérer comme un fameux crétin; aussi fila t'il vers la salle d'attente sans demander de son reste alors que le message mécanique s'envolait par la fenêtre, spectacle que le jeune humain n'aurait pas été sans apprécier.
- Toi aussi, tu veux un bisou ?
- Gnhein ?
Le clodo n'avait redressé la tête que pour lui sourire avec ses dents jaunies quand elles n'étaient pas manquantes. Son regard (dont Orphéo n'aurait pas été capable de dire si il était juste sérieusement imbibé d'alcool frelaté ou naturellement du genre à déconner tout seul) s'était fixé sur le vagabond qui avait arqué très haut l'un de ses sourcils en faisant un petit "O" avec sa bouche, ce qui n'était visiblement pas sans amuser très franchement le clochard. Ce pauvre type qui puait la marée décida d'asticoter le vagabond en lui envoyant quelques baiser sonores de ses lèvres sales avant de faire mine de se lever de son banc, ce qui poussa sérieusement Orphéo à réagir.
Le garçon n'avait clairement rien d'un foudre de guerre et n'était vraiment pas intimidant; seulement, il portait une épée et cela savait parfois l'aider à décourager quelques importuns. Avec vivacité, Oro porta la main à la poignée couverte de vieux cuir qu'on voyait dépasser de son épaule gauche et tira sur l'arme. Le bruit de l'acier frottant légèrement contre le fourreau fut suffisamment parlant pour que le loqueteux ne se ravise en grognant un peu. Orphéo affecta d'afficher un visage de dur, ce qui ne trompait jamais personne, et alla s'asseoir non loin du troisième larron de la scène qu'il n'avait pas eu le temps de remarquer avant ça.
Un garçon pas bien plus vieux que lui, de ce que pouvait en juger le pêcheur au premier coup d’œil. Cela eut tendance à le rassurer un peu et Orphéo lui adressa de façon tout à fait naturelle un petit sourire amical en s'installant sur le banc, entre le clochard et le type au capuchon. Le pue-la-rue se ramassa un peu sur lui-même en jetant un oeil méfiant à l'arme du vagabond, ce dernier se retrouvant finalement plus près de la capuche.
- Désolé, hein, mais il pue drôlement l'autre type, lui glissa t'il discrètement pour justifier la proximité. Moi, c'est Orphéo !
L'ainsi nommé présenta sa main dans un nouveau sourire. Candide et amical au tout premier abord, Oro l'était toujours. La présence du clochard ne changeait pour lui rien à l'affaire. Et puis, quitte à attendre, autant s'occuper. En faisant connaissance avec le premier venu par exemple, ce qui ne serait pas forcément venu à l'idée de n'importe qui.