Les contrées du Chaos / Re : L'Éclat [Oneiros]
« le: dimanche 08 décembre 2024, 11:35:12 »Oneiros avait hérité de ces deux défauts puissants que partageaient son père et sa mère. Certes, il était courant d’admettre qu’il s’agissait là de deux défauts typiquement divins, mais il fallait reconnaître qu’une déesse comme Héra les incarnait avec une certaine grandeur.
Depuis sa naissance, orgueil et colère fermentaient en lui : non seulement sa personnalité s’y était enracinée, mais c’était là les deux pans du tempérament du jeune dieu les plus sensibles et les plus inflammables. Oneiros avait une très haute opinion de lui-même : il était après tout le fils de la reine des divinités olympiennes, celle devant laquelle on courbe l’échine avec déférence, et du dieu de la guerre dont le nom fait trembler ses plus féroces ennemis. Il caressait le rêve secret d’un jour susciter les mêmes réactions ; en somme, d’être respecté parce que craint par une humanité qu’il méprisait franchement et dont la seule valeur, à ses yeux, reposait sur la dévotion dont ils pouvaient faire preuve vis-à-vis de leurs dieux et déesses. Ce trait de sa personnalité chagrinait Héra, même si elle était lucide sur ce point : elle avait eu autrefois exactement la même opinion que lui sur les mortels. Seule sa petite escapade parmi eux lui avait permis de changer d’avis ; elle en était revenue plus humble. Néanmoins, elle n’avait jamais réussi à agir sur l’opinion désastreuse – à son sens – de son fils ; il considérait d’ailleurs la « fugue » de sa mère comme une marque de faiblesse.
Oneiros écouta Chryséis non sans froncer les sourcils, particulièrement au moment où cette dernière lui pinça la langue entre ses doigts. Le geste, s’il était familier, était vécu comme humiliant pour le jeune dieu ; humiliation renforcée par la demande de sa sœur. S’il comprenait qu’elle puisse chercher à comprendre ses projets et ses intentions, l’idée même de devoir rendre des comptes le répugnait au plus haut point.
Il était un dieu, merde, et pas n’importe lequel : le fils de la reine des divinités.
Le jeune dieu recula sa tête, échappant à l’étreinte de sa sœur. Elle put constater, à ses traits froissés, qu’elle l’avait fortement contrarié.
- Zeus n’a pas la bêtise de ma mère, quand on parle des mortels, répondit-il en esquissant une sorte de grimace de dégoût au moment de prononcer ce dernier mot.
Nul besoin de préciser qu’il n’aurait jamais assumé de dire cela devant sa mère. Héra avait beau aimer son fils, elle n’avait aucun scrupule à user de châtiments corporels pour le remettre à sa place.
- Je vais te raconter une histoire, Chryséis.
Joignant le geste à la parole, Oneiros fit apparaître un cumulonimbus au-dessus de leur tête, invitant sa sœur à lever les yeux au ciel pour assister à une projection onirique sur la surface nuageuse. Elle put voir apparaître une forme qui, peu à peu, se fit plus nette : la prophétesse en larmes, sur le sol de son temple, levant les yeux vers le dieu pour prononcer la prophétie fatidique annonçant la venue d’un être qui ravagerait Olympe – et que seul Oneiros parviendrait à vaincre. L’image de la prophétesse disparut, pour laisser place à une vue aérienne de Meisa.
- Meisa : tu connais ce royaume, non ? Celui qui règne dessus est décrit comme un destructeur – le messager de la fin de temps. Il est, d’après la prophétie, celui qui mettra fin au règne des divinités. Lorsque son règne viendra, tout sera destruction. Alors, il viendra pour nous, les dieux et déesses de l’Olympe ; il viendra pour nous détruire, car il aura le pouvoir de le faire.
On pouvait sentir une forme d’inquiétude solennelle dans la voix d’Oneiros, comme s’il avait pris conscience de l’importance d’une situation, s’apprêtant à agir avec la sagesse d’une profonde maturité. Quiconque le connaissait pouvait néanmoins en douter.
- J’en ai parlé à notre souverain, bien entendu – enfin, je lui ai parlé de Meisa, je ne lui ai pas dressé tout le tableau. Je lui ai demandé s’il tenait à ce royaume, et comme il réagirait si, par mégarde, il venait à disparaître. Tu sais ce qu’il m’a dit ? « Pfeuh, ce ne sont que des mécréants – qu’ils vivent ou qu’ils crèvent, peu importe ». Alors, j’ai pris cette initiative pour nous sauver, chère sœur : infecter Meisa de mes plus sombres cauchemars pour vider le royaume de sa substance, et n’en laisser que des ruines hantées par des fous.
Alors qu’il s’apprêtait à ajouter un mot, quelque chose dans le nuage se brouilla. Le cumulonimbus s’étendit dans toute la pièce, descendant sur Oneiros et Chryséis pour les envelopper de sa fumée sombre et cotonneuse ; une texture si dense qu’ils ne pouvaient plus se voir, perdu dans une sorte de brouillard traversé ici et là d’éclairs. Le jeune dieu ne savait pas si sa sœur était habituée à ce genre d’évènements ; aussi prit-il l’initiative d’attraper son poignet, un geste maladroitement tendre. Et là, la Princesse de Meisa se matérialisa, comme si elle se tenait à leurs côtés.
Les sourcils froncés, Oneiros mit un petit moment avant de comprendre ce qu’il était en train de se passer. Quand il comprit qu’une petite mortelle venait de s’inviter dans son aile du palais, dans son nuage, dans son monde, la colère monta en lui aussi vivement que violemment. Le jeune dieu se jeta sur elle, attrapant sa mâchoire entre ses doigts pour la serrer, tout en plongeant son regard noir dans le sien.
- Tu oses approcher des dieux sans leur accord, mortelle ?
Là, il venait d’utiliser sa voix de dieu – vous savez, la voix caverneuse et profonde qu’ils prennent quand ils veulent faire peur aux humains. Les doigts d’Oneiros se déplacèrent sur le visage de l’humaine, plongeant dans ses cheveux, les tirant en arrière dans un geste vif pour la forcer à relever le visage. C’est alors qu’il injecta dans son esprit son pire cauchemar.
Une façon de la punir pour son outrecuidance, mais aussi de révèler son identité : elle faisait face à la divinité des songes, et pouvait reconnaître dans l'empreinte qu'il laissait sur elle la marque des dieux olympiens.








