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« le: lundi 30 décembre 2013, 12:43:10 »
Oh oui, Shahin était fort. Le matou maouss voyait parfaitement quelle utilité tirer des capacités de danseuse d'Ophélie et son sourire s'étendit alors que l'idée se dessinait plus clairement dans sa tête. Voilà qui ne serait pas pour lui déplaire, comme en témoignait l'inquiétant rictus carnassier que la lynx pouvait découvrir sur les babines habituellement vides de toute expression un tant soit peu sympathique. Certes, celle qui reposait à présent sur la gueule de Shahin n'augurait rien de bon, mais toujours était elle différente de son sempiternel tirage de gueule. Il fallait voir ça comme une évolution, quelque chose du genre, même si le tigré donnait l'impression d'avoir envie de bouffer même du prédateur.
Le sourire s'effaca au fil des pas et la conversation reprit son cours tandis que les deux compagnons avalaient les kilomètres, la lande défilant tout autour d'eux. Au loin, le village dans lequel ils s'étaient retrouvés n'était plus qu'un point à l'horizon et face à eux la forêt qui se trouvait après le bras de la Belle-Véreuse que le duo envisageait de passer commençait tranquillement à se découper. Bientôt, ils apercevraient certainement les premiers volutes de la cheminée qui sera leur halte pour la nuit.
Ophélie revint sur ses capacités de chasseresse. Pas de quoi écrire une histoire, d'après le félin mal léché. La lynx n'était peut-être pas de ces terranides à la naïveté agaçante et au comportement plus cliché qu'intéressant mais elle restait presque d'une pureté virginale comparée à un Shahin qui avait roulé sa bosse partout sur Terra et surtout là où il ne le fallait pas. Ainsi, le petit discours de l'escortée tira au tigre testostéroné un soupir entre la lassitude et l'agacement.
- T'es comme tous ces terranides qui, à force de singer les hommes, oublient qu'ils sont des bêtes. M'fais pas rire avec tes dix putain d'années d'vie sauvage, tu veux ? C'quoi, dix ans pour un terranide ? Rien. Le jour où les terranides pigeront qu'ils sont des prédateurs et pas des putains d'proies, on parlera d'vraie révolution.
Shahin, bien qu’asocial au possible, accordait une certaine importance au sort des siens. D'après lui, la race c'était endormie sur des stéréotypes qu'on lui collait depuis des lustres et s'en contentait tant et si bien que ça se transmettait aux nouvelles générations. Voilà pourquoi les hybrides animaux restaient une marchandise avant d'être autre chose : parce qu'ils se contentaient de leur sort. Pourtant, si les terranides venaient à se réveiller, les rapports de force à la surface de Terra s'inverseraient en leur faveur. Tout ce dont manquait la race, c'était d'un leader à poigne. Mais si Shahin en avait les idées, il n'était pas homme de commandement. Ainsi, si il déplorait le sort de son peuple qu'il en était venu à détester pour sa passivité, il ne ferait sûrement jamais rien de concret pour l'en sortir. Le tigre se contentait d'espérer qu'un jour quelqu'un viendrait.
Quand Ophélie s'indigna du peu de considération que le matou semblait lui accorder, lui se contenta d'hausser les épaules. Pour qui la prenait-il ?
- Tu pue l'hormone à dix mètres, chérie. Il se tapota le museau du bout de la griffe. Tu fais bien ce que tu veux d'ton cul, r'marque. Mais que ça ne nous attire pas d'emmerdements, c'tout.
Il ne releva pas pour le lit à partager. Ophélie n'était pas bien épaisse, mais lui était imposant et large. Et pas du genre à juste dormir quand une femelle se trouvait dans la même couche que lui, ce qui aurait été d'après Shahin faire offense à sa propre nature. Alors, pour respecter ses fiers gênes, il n'hésitait parfois pas à forcer la main de la donzelle. Pour le coup, le faire avec Ophélie ne le dérangeait pas plus que ça mais il avait conscience qu'un viol avait souvent tendance à plomber une ambiance. Autant éviter les drames, du moins pour le moment.
Quand la Belle-vaseuse fut en vue, Ophélie accéléra le pas et laissa Shahin un peu en arrière. Le matou ne s'en soucia guère et conserva son rythme de croisière, arrivant au niveau de sa comparse tandis que celle-çi estimait la température de l'eau. Le félin la regarda faire tandis qu'elle parcourait la berge pour trouver un petit ponton à quelques mètres deux, avancée sur laquelle la lynx s'aventura. Mauvaise idée...
Le bois céda et la petite terranide partit saluer les poissons dans une belle gerbe d'eau, le spectacle faisant lever à Shahin les yeux au ciel avant qu'il ne se passe lassement une patte sur le visage. Il approcha d'Ophélie qui revint sur la rive à la nage et apprécia sa sortie de l'ondée, se pourléchant les babines alors qu'il découvrait le corps souligné par le pelage humide et les vêtements collants. Un mâle restait un mâle.
- Ça t'apprendra à rester prudente.
Il fouilla dans son baluchon, tirant du sac la couverture dans laquelle il lui arrivait de coucher parfois. A défaut de serviette, cela ferait l'affaire ! Il la jeta négligemment à la face de la lynx sans mot dire, avant de lui faire signe de rester à sa place. Shahin s'écarta alors, fouillant les hautes herbes derrière eux. Après quelques instants, le tigre revint vers sa compagne de roue en tira une petite barque rudimentaire qu'il mit à l'eau sans effort.
- Les gens du coin sont prévoyants, se contenta t'il d'argumenter. Monte.
Lorsque la femelle fut installée, le tigre s'empara des rames qui gisaient dans l'embarcation et les employa pour avancer sur le cours d'eau. Non loin, la rive opposée leur tendait les bras alors que la nuit tombait tranquillement et l'auberge qu'on pouvait voir se découper au bord de la route semblait déjà recevoir ses premiers clients. Shahin ne dit rien, se contentant de ramer et de les mener à bon port. Ils atteignirent sans encombre le petit ponton et y amarèrent la barque avant de s'en extirper, le matou veillant à aider Ophélie. Pas qu'il se montrait particulièrement galant, mais comme il y avait du monde, il voulait éviter une nouvelle gaffe de sa part...
Le matou entraîna la lynx à sa suite et ils pénétrèrent dans l'auberge qui ne s'animait pour l'heure que de discussions pataudes et tranquilles, interrompues par leur arrivée. Ophélie intéréssa quelques regards qui retrouvèrent vite le fond de leur verre lorsqu'ils passèrent sur son garde du corps. Des paysans, tous autant qu'ils étaient. Pas de quoi leur causer des problèmes.
- Une chambre pour deux et une tablée pour ce soir, aubergiste. Ils étaient arrivés au niveau de ce qui devait faire office de comptoir.
- 3 pièces d'or l'tout, l'ami.
- Nan. Je t'propose d'l'animation pour ce soir, alors en compensation tu m'fais l'service gratuit, aubergiste.
Le tenancier parti d'un rire gras, avant de s'accouder sur le bois au vernis écaillé depuis longtemps.
- Quelle animation, j'te prie ?
- Danse du cul. Dans un geste impérieux et sec, Shahin ôta la couverture de sur Ophélie la dévoilant à semi-dénudée à l'assistance et à l'aubergiste, qui sembla presque la palper du regard. Elle remue comme une déesse, mon vieux. Tu pourras te rincer avec la clientèle supplémentaire, c'est pas beau, ça ?
L'homme sembla réfléchir un moment, profitant de ce temps de battement pour décortiquer la belle Ophélie de ses yeux globuleux. Nul doute que bien des idées lui passaient en tête à cet instant et c'était bien ce que Shahin escomptait. Comme l'aubergiste s'éternisait, le félin grogna légèrement. Cela suffit à rappeler à l'ordre le commerçant et lui faire annoncer son verdict.
- Ça marche. J'espère que ta poule sait bien remuer son fion, on est des gens d'qualité dans l'coin !
Concluant sa tirade par un rot qu'il ne prit pas la peine d'étouffer, il tendit une clé à Shahin et indiqua l'escalier qui disparaissait vers l'étage. Le félin hocha simplement la tête en guise de remerciements et attrapa Ophélie par le bras pour qu'elle le suive.
- Je t'avais dis que ta danse serait utile, non ?