«
L’avidité est toujours récompensée de la manière la plus cruelle qui soit, noble Déesse. »
Le vieil homme à la longue barbe blanche parlait avec une voix assurée. Sha avait décidé d’en savoir plus sur la mine d’Ellëndrill, car elle avait, malgré elle, un mauvais pressentiment, et s’était donc rapprochée d’un des érudits de la ville, afin d’obtenir des informations. Il était agaçant de devoir parler avec un homme, mais celui-là ne la prenait pas de haut. Il était malgré tout pénible de lui parler, car il radotait, et avait du mal à trouver l’ordre de ses pensées. Après tout, l’homme était centenaire, et était entouré de ses petits-enfants, et de ses arrières petits-enfants.
«
Et ? Où voulez-vous en venir ? -
La richesse de la mine provenait de minerais qu’on trouve dans les profondeurs de notre sol. De l’ébonite, du mithril... Il faut creuser très profondément pour trouver les sillons exploitables. Alors, les nains d’Ellëndrill ont creusé, et ont continué à creuser, sans relâche, allant toujours plus loin, taillant des galeries toujours plus profondes, forçant des camps de gobelins à s’éloigner, avant de progressivement envahir le royaume... Les nains ont également utilisé des vers géants, des Gloutons, qui se nourrissent de la terre, pour tailler les galeries, et, depuis lors, ces monstres continuent à errer dans la mine, à rôder... Mais c’était encore insuffisant pour assouvir la soif d’argent des nains. Non, bien insuffisants... Et la ville a toujours eu besoin de fonds, après tout... -
Alors, pourquoi la mine a-t-elle été scellée, si tout se passait bien ? »
L’homme eut une moue sur le visage, et répondit après plusieurs secondes d’hésitation :
«
Les nains ne sont pas entièrement responsables des évènements qui ont ensuite eu lieu, même si les livres d’histoires sont assez injustes à leur sujet. Non, belle Déesse, le Conseil municipal a également sa part de responsabilités. Mes ancêtres avaient reçu des avertissements sur ce qui se terrait là-dessous, sur les rêves des nains, sur les crises de folie des mineurs... Des crises qu’ils ont attribué au fait d’être trop longtemps sous terre, à affronter sans cesse des gobelins, et les autres créatures de la région. Les signes avant-coureurs se sont effacés devant la cupidité de notre village... Les nains ont creusé trop profond, et il sommeille dans cette mine une effroyable bête... »
Sha l’écoutait attentivement, tout en se sentant de plus en plus nerveuse. Avait-elle envoyé Kiriko à la mort ? Elle se refusait à y croire, mais il y avait des chances que ce soit le cas... Quelque chose de terrible rôdait dans cette mine, et, pour l’heure, Kiriko avait réussi à se débarrasser de Mirmirion.
«
Salope ! rugit-il, furieux, en frappant contre les barreaux le retenant, tandis que les gobelins l’entouraient.
Mais tu as du cran ! Je t’aime bien ! Je te dresserai, ma chérie, car tu as osé abîmer mon beau visage ! »
Mirmirion s’était alors retourné vers les gobelins, et cracha du sang sur le sol. Il sortit alors un petit miroir de poche, et grogna en contemplant son nez massacré.
«
Je ne ressemble plus à rien... Ah, les femmes ! s’adressa-t-il aux gobelins.
Ce sont toutes des salopes, mais c’est bien pour ça qu’on les adore. Et puis, dans le fond... »
Il laissa un gobelin venir vers lui, l’attrapa à la gorge, et sortit une dague avec son autre main, l’égorgeant sur place, continuant à soliloquer :
«
...C’est grâce à ça qu’on les adore ! »
Loin de là, Milka tâtonnait en effet dans le noir, se remettant de sa chute contre l’adversaire. Il était surtout navré pour Kiriko, et essayait en fait de faire demi-tour pour la sauver. Quand elle lui parla en filant devant lui, il ne put s’empêcher de répliquer :
«
Je sais faire de la mousse au chocolat, noble dame ! Partez devant, et n’ayez crainte ; tant que la force du Chocolat sera avec vous, vous vous en sortirez ! »
Il emprunta un chemin différent que celui de Kiriko. La Celkhane se retrouva ainsi face à l’un des Gloutons dont le vieil homme avait parlé. Dans l’ombre, ce dernier la suivait, sa couleur de peau se confondant avec la paroi. Il ne faisait aucun bruit. Sa gueule commençait à s’ouvrir, révélant une rangée de dents, alors qu’il se trouvait désormais au-dessus de la Celkhane. Quel magnifique repas ! Bien différent des gobelins ! Le Glouton plongea alors sur Kiriko, quand quelque chose s’enroula autour de sa tête. Cette dernière fut ainsi déviée, et s’empala sur un stalagmite. Le Glouton poussa un grognement de douleur, alors que des gerbes de sang se mirent à gicler de son corps dégoûté. Il remua faiblement, mais le stalagmite s’était directement enfoncé dans son cerveau. La corde en bois était une corde elfique, extrêmement résistante, et Kiriko pouvait remarquer qu’elle était attachée à un solide pilier.
«
Je te remercie beaucoup, Celkhane. Tu as été un appât magnifique ! »
La voix semblait venir de nulle part, et il fallait suivre le tracé de la corde pour comprendre que la femme se trouvait juste au-dessus de Kiriko. Une femme s’était confondue avec le décor, invisible et méconnaissable. Elle utilisait en effet un petit dispositif la dotant d’un camouflage optique et thermique, qu’elle désactiva, se laissant tomber sur le sol. C’était une femme à moitié nue, la représentante de la Déesse de la Ruse,
Kelly ! Kelly fit un clin d’oeil à Kiriko.
«
T’es vraiment sexy, toi... Putain, les uniformes celkhanes, ça te donne un de ces culs... ! J’en ferais presque des complexes ! Je suis Kelly, comme tu le sais déjà sûrement ! Et je crois que tu as besoin de toi, ma belle, tout comme j’ai besoin de ta lame. Ces dispositifs tekhans sont efficaces, mais bon, je ne suis pas une guerrière comme toi. »
Kelly s’avança le long de la galerie, discutant avec Kiriko :
«
Si jamais t’as un uniforme en trop, ou si tu connais ton tailleur, je suis cliente ! Maintenant, chut, nous approchons d’une zone à risque. Il y a d’autres Gloutons dans le coin... »
Le tunnel les conduisit à un ancien tunnel manufacturé, et elles s’avancèrent. A droite, il y avait un éboulement, et, à gauche, le couloir descendait, menant à un balcon d’où on avait une vue impressionnante sur une immense grotte.
«
L’impressionnant savoir-faire des nains... murmura Kelly.
Un château souterrain ! »
La grotte était immense, si grande qu’on peinait à en voir les bouts. Il y avait plusieurs murs en contrebas, de hautes palissades partiellement effondrées. La lumière émanait de petites boules phosphorescentes que les nains avaient mis dans des espèces de cages en verre, et qui éclairaient depuis des siècles le château d’Ellëndrill. Sur la droite, on pouvait voir un lac souterrain, avec, au centre, une tour, et, sur le chemin menant à ce lac, un bâtiment avec une cour et un mur.
En somme, on pouvait représenter ainsi le royaume d’Ellëndrill :
La cour comprenait une espèce de petit village, avec des tentes. Les deux enceintes des châteaux avaient également des cours internes, mais aussi des structures qui se dressaient fièrement en l’air.
«
Il faut se rendre dans la tour, là-bas... Mais en silence, ma belle. Je sais que tu aimes trancher tout ce qui passe sous ton sabre, mais il faut à tout prix éviter de faire du prix. Il y a ici bien pire que ces gobelins qui ont envahi les lieux, les Gloutons, et les kikimorrhes. Il y a... »
A quelques mètres d’elles, le mur explosa soudain, révélant passage à un torrent aquatique qui se mit à tomber sur le camp des gobelins.
«
J’en ai marre de ta saloperie de flotte ! Tu veux bien arrêter de me coller, oui ?! »
Une espèce de torche humaine sortit alors du feu, et Kelly reconnut...
Atil, le représentant du Dieu de la Feu, tandis qu’une espèce d’elfe faite d’eau apparut dans le trou. Il ne pouvait s’agir que de son opposée,
Bul.
«
Si tu n’avais pas essayé de me faire flamber, sale con, je n’essaierai pas de te noyer ! Je hais les flammes ! -
Oh, tu me fends le cœur, ma grande ! Mais, tu auras beau essayer de refroidir mes ardeurs avec ton cœur de glace, sache que je suis en feu ! »
Et Atil répliqua en envoyant deux langues de feu droit sur Bul. Bul répliqua en envoyant des rayons de glace, les deux rebondissant avec fureur. Des cristaux de glace s’envolèrent dans tous les sens. La Glace était peut-être l’élément magique opposé du Feu, mais le Feu était l’un des éléments magiques élémentaires les plus puissants.
«
Quelle bande de cons, ces deux-là ! La magie... La magie est ce qui l’attire ! C’est pour ça que les mages ont conçu des sceaux magiques autour de la mine, afin de la contenir ! Merde ! »
Difficile de raisonner Bul et Atil, qui se haïssaient cordialement. Bul explosa alors en des montagnes d’eau, et se rematérialisa derrière Atil, tentant de lui décocher une flèche d’eau. La torche vivante se déplaça soudain dans des gerbes de feu, et attrapa Bul à la gorge, l’envoyant s’écraser contre un mur dans des explosions de flammes.
«
Lâche-moi ! -
Pas avant que tu ne m’aies embrassé, ma chérie ! -
Plutôt crever ! »
Kelly grogna alors, et prit Kiriko par le bras, l’éloignant.
«
On doit rester éloignées de ces deux dingues ! Ils vont le réveiller ! »